Lisbonne : à quoi sert le Traité ? edit
Le Traité réformateur a donc été finalisé par la Conférence intergouvernementale. Il reste aux chefs d’Etat et de gouvernement à le signer à Bruxelles le 13 et 14 décembre prochain. Ce traité n’a rien de particulièrement excitant. Pour autant, il mérite d’être ratifié car il va permettre à l’Union à 27 de continuer sa progression, en espérant qu’elle retrouvera d’ici quelques années le souffle permettant de passer à une réforme plus ambitieuse.
Comparé au Traité constitutionnel européen, le Traité réformateur ne conduit pas à un document unique puisqu'il amende formellement le Traité sur l'Union européenne et le Traité établissant la Communauté européenne qui s'appelle maintenant le Traité sur le Fonctionnement de l'Union. Il faut regretter que l'on continue ainsi à avoir plusieurs traités, ce qui ne facilitera pas la tâche de compréhension du citoyen. Il en va de même pour certains éléments de contenu. Comment en effet comprendre les mesures transitoires sur la mise en œuvre du nouveau système de vote à la double majorité au Conseil? Il faut aussi regretter que des dénominations comme " loi " ou " loi cadre ", qui existaient dans le Traité constitutionnel, n'aient pas été reprises dans le Traité réformateur. Elles ont tout de même plus de sens pour le citoyen que " règlements " et " directives ". Même " ministre européen des Affaires étrangères " est plus parlant que " Haut représentant pour la politique étrangère et la défense ". Ces termes ont été enlevés pour des raisons essentiellement symboliques, tout comme les références à l'hymne, au drapeau et à la devise. Cela est dommage, car si l'on poursuit l'objectif de créer une Union de citoyens et non d'Etats, les symboles ont leur importance.
Il y a et il y aura encore longtemps des discussions visant à comparer le Traité Réformateur avec le Traité constitutionnel. S'agit-il du même texte, comme le dénoncent les Eurosceptiques britanniques du Parti conservateur et leurs alliés français Jean-Luc Mélenchon et Marie-George Buffet? Nul doute que les dispositions institutionnelles sont à peu près les mêmes, qu'il s'agisse du nouveau système de vote à la double majorité au Conseil, de la réforme de la composition du Parlement européen et de la Commission, des domaines d'extension de la majorité qualifiée, ou de la présidence permanente du Conseil européen. Ces réformes ont surtout été conçues comme une réponse politique à l'angoisse des citoyens, et plus encore des politiciens, de certains anciens Etats membres face à un élargissement de 12 à 27 qui menacerait de bloquer la machine institutionnelle. En réalité, aucun fait précis n'a jamais pu prouver que les élargissements de 1995 et de 2004 avaient ralenti le processus décisionnel de l'Union. Les études faites par les spécialistes montrent au contraire que l'élargissement n'a eu aucun impact négatif sur l'efficacité de la prise de décision à Bruxelles. Mais la politique est faite de croyances, et il est donc bon qu'une réforme vienne rassurer ceux qui pensent que l'élargissement a cassé l'approfondissement. Il y a en a beaucoup en France, y compris parmi les pro-européens sincères qui se sont fait piéger par leur vision trop simpliste de l'élargissement et qui, sans le vouloir, ont ainsi renforcé le camp des eurosceptiques.
Si le problème essentiel de l'Union, depuis Maastricht, est d'accroître sa légitimité auprès du citoyen, la création d'un poste permanent de Président du Conseil européen va dans le bon sens en permettant une plus grande représentation de l'Union à l'intérieur et sur la scène internationale. La légitimité de la présidence permanente dépendra beaucoup du titulaire du poste. En revanche, on peut être moins convaincu par le poste de Haut Représentant pour la Politique étrangère et la Défense. Le doute n'est pas lié à une question de dénomination, mais au fait que le titulaire recevra ses instructions à la fois du Président du Conseil européen et du Président de la Commission, deux sources de légitimité différentes. Pour faire face à la schizophrénie de cette double appartenance, il faudra un politicien avisé.
Il est fait référence dans le Traité réformateur à la Charte des droits fondamentaux et on peut se réjouir que cet acquis ait été sauvé. En effet, si l'on considère l'importance pour le citoyen de se sentir membre d'une communauté politique européenne (on dirait en anglais de ressentir un " we feeling "), il est important qu'un texte européen recense des principes qui protègent sa vie quotidienne et que ceux-ci soient opposables. La Grande-Bretagne et la Pologne ont obtenu une exemption précisant que la Charte ne créerait pas de droits justiciables et n'étendraient pas à leur territoire le pouvoir d'une quelconque cour ou tribunal. Cette exemption n'est pas un problème européen, mais britannique et polonais. Pour ce qui est de la Pologne, le nouveau Premier libéral Tusk semble vouloir conserver l'exemption, en dépit du souhait d'y renoncer exprimé par certains membres de son parti pendant la campagne. Pour la Grande-Bretagne, l'exemption s'expliquerait comme une demande des entreprises qui ne souhaiteraient que les droits sociaux de la Charte leur soient opposés par les salariés et puissent ainsi bloquer les réformes de la " Révolution thatchérienne ". Très soucieux de ses bonnes relations avec les entreprises, le gouvernement du New Labour en a fait l'une des ses fameuses " lignes rouges ".
A y regarder de plus près, on est en fait en plein dans le registre du symbolique. Malgré la " Révolution thatchérienne ", la Grande-Bretagne dispose toujours d'un droit social (ce que certains semblent ignorer en France) et il y a peu de chances que les droits de la Charte viennent beaucoup accroître la capacité de blocage des syndicats. Mais pour beaucoup de Britanniques, qui ont profité de la nouvelle économie depuis dix ans (surtout à Londres et au sud de l'Angleterre) et qui peuvent aussi bien voter pour le New Labour que pour le Parti Conservateur, il y a la crainte d'un retour à une époque - symbole de déclin - où des syndicats tout puissants faisaient le beau temps et surtout la pluie... Il est faux de penser que les Britanniques seraient plus pragmatiques et rationnels que les continentaux en politique. Il n'y a qu'à lire les productions ou assister aux réunions des think tanks eurosceptiques. On est loin d'y dénoncer d'abord une Europe qui ne procède pas à la délivrance de bonnes politiques publiques. On fustige plutôt une Europe qui porte atteinte à " notre " souveraineté, à " notre " histoire glorieuse, à " notre " parlement inaliénable.
Pour ce qui est du reste du Traité réformateur, le moins que l'on puisse dire est qu'il n'apporte pas vraiment de révolution en termes de politiques publiques. Sur des domaines importants pour les citoyens comme l'environnement ou l'énergie, on aurait pu espérer beaucoup franchement davantage. La mention spécifique de la lutte contre le changement climatique ou l'objectif de renforcer le marché de l'énergie vont dans le bon sens mais sont trop limités. Le domaine le plus innovant est sans conteste le Titre IV du traité sur le Fonctionnement de l'Union sur l'espace de liberté, de sécurité et de justice. Conformément aux évolutions qui marquent ce secteur depuis le Traité d'Amsterdam, on renforce la communautarisation des procédures, ce qui veut dire pour les Etats une envie de progresser ensemble dans des secteurs concrets comme la lutte contre l'immigration clandestine ou encore la coopération judiciaire en matière pénale. Une fois encore, la Grande-Bretagne a signé un protocole qui la laisse à l'écart de la plupart des innovations dans ce secteur. L'Union doit accepter cette différenciation dont le bien-fondé doit être débattu à Londres et non à Bruxelles. Est-ce bon ou non pour les Britanniques de rester à l'écart? Cela les regarde. Ce qui est en revanche certain, c'est que pas participer à cette politique (comme à l'euro) empêche la Grande-Bretagne de prétendre à un leadership au sein de l'Union. Mais, à l'exception de quelques libéraux-démocrates, les politiciens britanniques considèrent -ils vraiment si important l'exercice d'un leadership au sein de l'Union européenne?
Deux remarques enfin pour conclure. La première est que le Traité réformateur insiste constamment à travers ses 250 pages sur la protection des compétences nationales. Il est de ce point de vue en ligne avec les opinions publiques dans les anciens comme dans les nouveaux Etats membres. " L'Etat nation obstiné ", comme l'appelait le politologue franco-américain Stanley Hoffmann après la Crise de la Chaise Vide de 1966, semble ainsi avoir gagné. Il n'est pas certain cependant que cette victoire sera le meilleur moyen d'affronter les défis d'un monde global dans lequel chaque Etat membre de l'Union (y compris l'Allemagne, la France et le Royaume Uni) apparaît bien petit. La deuxième remarque est qu'il sera à l'avenir de plus en plus difficile de réformer les traités, car il faudra trouver des éléments de contenu politique (quelle politique au-delà de la fameuse lutte contre le changement climatique peut faire consensus ?) et passer le cap de ratifications nationales de plus en plus difficiles. La procédure de ratification simplifiée, prévue par le Traité Réformateur pour la seule réforme des politiques communautaires, n'a pas remplacé la procédure ordinaire avec ses ratifications nationales qui n'empêchera jamais un Etat membre ou deux de faire échouer l'ensemble d'un processus de réforme, comme cela fut le cas pour le Traité constitutionnel.
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