Europe: traité ratifié, abstention confirmée? edit
Le Congrès a approuvé, le 4 février, la révision de la Constitution française nécessaire à la ratification du traité de Lisbonne. Ses partisans estiment qu’il réconciliera les citoyens avec l’Europe, notamment à la faveur des prochaines élections au Parlement Européen. Y parviendra-t-il? On peut en douter. La participation aux élections européennes restera structurellement faible. Mais pour regrettable qu'elle soit, elle ne doit pas être prise au tragique.
L’abstention résulte généralement de trois facteurs.
La « compétence civique » et le degré d’insertion sociale des électeurs : il est patent que les citoyens n’ont qu’une faible connaissance de l’Union, du Parlement Européen et des enjeux du scrutin. Les électeurs qui ne saisissent pas bien le sens ou les modalités des élections européennes, sont peu enclins à faire l’effort de voter. En outre, le sentiment d’appartenance des citoyens à l’Union en tant que système politique est souvent très ténu ; la motivation leur fait donc défaut pour participer aux élections européennes.
Des éléments d’ordre idéologique, tels que le rejet du système représentatif ou de la classe politique : ici encore, les citoyens ont de nombreuses raisons de se détourner du scrutin européen. Dans les pays où la vie politique est fortement bipolarisée, ils sont peu susceptibles d’apprécier ou de comprendre le fonctionnement « consensuel » du Parlement Européen. Même dans les pays habitués à la logique consensuelle, la complexité des textes soumis à la délibération du Parlement Européen, les subtilités de celle-ci et le caractère incertain de son impact sur les politiques et décisions de l’UE contribuent à entretenir l’apathie des foules.
La conjoncture et l’offre politique : là encore, le bât blesse. D’une manière générale, les élections européennes sont vécues comme un scrutin sans réel enjeu. En premier lieu, elles ne sont pas susceptibles de provoquer une alternance politique : le Président de la Commission n’est pas un chef de gouvernement et la notion de coalition majoritaire n’a pas de sens à l’échelle de l’Union. Par ailleurs, la mobilisation des médias, des partis politiques et des pouvoirs publics dans la campagne électorale est traditionnellement faible. Enfin, les élections européennes, qui ont lieu simultanément dans tous les Etats membres, interviennent souvent à contretemps de la vie politique nationale. Elles sont de ce fait fréquemment détournées de leur objet pour servir de référendum sur la politique gouvernementale ou de sondage d’opinion à très large échelle. Même lorsque le contexte politique national ne vient pas interférer avec cette échéance, la crise de confiance qui affecte l’Union depuis le début des années 1990 tend à faire des élections européennes un test des convictions européennes des citoyens. La confusion qui entoure les finalités et les modalités de cette élection n’échappe pas aux citoyens, et retentit sur leur mobilisation.
On peut déplorer le manque d’intérêt des citoyens pour l’institution qui est appelée à représenter leurs intérêts dans le système politique de l’Union. Il faut toutefois se garder de considérer, comme le font de nombreux commentateurs et acteurs de l’Union, que la forte abstention qui affecte les élections européennes met l’assemblée ou l’Union en péril. Il faut relativiser l’impact de l’abstention en rappelant que le fonctionnement de l’Union ne dépend pas de la capacité du PE à soutenir et légitimer l’action d’un gouvernement pour mener une politique donnée, mais des interactions entre trois institutions indépendantes les unes des autres : le Parlement Européen, la Commission et le Conseil. Dans l’Union, la légitimité ne découle pas seulement de la participation électorale, mais d’une multiplicité de logiques de représentation (nationale, régionale, économique et sociale), du recours à l’expertise et d’un contrôle poussé du respect du droit et des procédures. Même si le Parlement Européen a vu ses pouvoirs s’accroître constamment depuis le début des années 1970, la logique représentative ne reste qu’un vecteur de légitimation parmi d’autres. En ce qui concerne l’impact de l’abstention sur le PE, on peut avance que, même s’il est « mal élu », il reste l’institution intuitivement perçue comme la plus à même de défendre les intérêts des citoyens à l’échelle de l’Union. En outre, la légitimité d’une institution élue ne se mesure pas nécessairement au taux de participation. Si la légitimité d’une institution représentative entretenait un lien direct avec le taux de participation, il suffirait de rendre le vote obligatoire dans tous les Etats membres, comme c’est le cas en Belgique ou en Grèce. Mais le regard des citoyens belges ou grecs sur le Parlement Européen est-il fondamentalement différent de celui des autres Européens ? Dans le contexte actuel, la légitimité et la représentativité du Parlement Européen se mesurent plus sûrement à la lumière de sa capacité à refléter les préoccupations des citoyens et à défendre efficacement leurs intérêts.
Relativiser la portée de l’abstention aux élections européennes n’est pas tout ; encore faut-il comprendre pourquoi elle inquiète tant les responsables politiques. Pour les leaders nationaux, elle constitue, tout d’abord, un symptôme de leur incapacité à faire œuvre de pédagogie en matière européenne, et des carences de leurs réflexions et discours à cet égard. On ajoutera que l’abstention est particulièrement préjudiciable aux partis de gouvernement. A une époque où de nombreux pays de l’Union vivent des situations d’alternance rapide des majorités, les dirigeants en place craignent qu’un faible taux de participation soit propice à un vote sanction spectaculaire – comme ce fut le cas en 2004 dans presque tous les Etats membres. Quant aux députés européens, leur aspiration ancienne à faire de leur assemblée un « vrai parlement » les incite à vouloir bénéficier de la même mobilisation électorale que leurs homologues nationaux, sans s’interroger sur les spécificités d’élections supranationales.
La participation aux élections européennes restera faible, et on peut le regretter. Mais il ne faudrait pas surestimer sa signification politique.
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