Pour sauver les banques, regardons leurs dettes edit
Un renflouement massif des banques occidentales semble nécessaire s’il faut réamorcer le crédit et éviter une récession plus grave encore. Comment agir ? À regarder un bilan de banque comme d’ailleurs celui de toute entreprise, il n’y a que trois façons possibles. Soit on opère du côté de l’actif du bilan des banques, celui qui porte les prêts et titres financiers qu’elles ont acquis, dont pas mal d’actifs malsains. Soit on regarde du côté du passif de leur bilan, celui qui décrit leurs sources de financement, ce qui donne les deux autres façons possibles : la deuxième agit sur les fonds propres de la banque, en pratique par injection directe de capital par les États ; la troisième et dernière façon consiste à agir sur les emprunts et dettes qu’elles ont contractés, en prenant en compte que les banques commerciales se financent grâce aux dépôts bancaires (comptes à vue ou à terme par exemple) de leurs clients, mais beaucoup aussi par emprunts directs sur le marché.
Les mesures prises côté actif ont donné la spectaculaire initiative TARP aux États-Unis, fonds public mis sur pied par Hank Paulson, secrétaire américain au Trésor à la fin du mandat Bush au terme d’une pénible lutte devant le Congrès américain. Elle est reprise aujourd'hui par tous les pays sous le nom de bad bank, c'est-à-dire de cantonnement des actifs toxiques dans des structures extérieures au bilan de la banque, et financées par la puissance publique. Tim Geithner, nouveau secrétaire au Trésor, a annoncé ainsi le 10 février la création d’un nouveau fonds pour le rachat de tels actifs. Ce fonds serait à la fois à capitaux publics et espère-t-il privés, pour un montant de 500 milliards de dollards, portés dans un second temps à 1000 milliards de dollards. L’idée est double : en achetant des créances malsaines aux banques, on restaure une certaine liquidité à ces actifs, on permet leur valorisation et peut-être la réanimation de certains marchés aujourd'hui fermés. De plus, le cantonnement assainit le bilan de la banque, espérant ainsi qu’elle reprenne un comportement normal de prêts.
La critique immédiate n’a pas manqué lors des différents débats tenus au Congrès américain : à quel prix le transfert d’actifs doit-il avoir lieu ? Trop bas, et on accroît les problèmes de solvabilité de la banque, qui doit enregistrer des pertes ; trop haut, et c’est une forme cachée d’injection de fonds propres, qu’on peut directement faire par le second mode d’intervention décrit plus haut. Des estimations faites par le Congrès indiquent que les premiers achats opérés par TARP auraient surestimés la valeur des actifs pour 78 milliards de dollards !
Une seconde faiblesse du schéma est moins souvent rapportée, bien que plus critique sur la durée : est-on certain que la bad bank saura gérer au mieux les créances acquises ? Si mauvaise qu’ait été la banque qui les porte depuis l’origine, n'est-ce pas encore elle qui est le mieux à même d’en assurer la gestion ? Elle garde le plus souvent les équipes pour le faire. Si ce n’est pas le cas, lorsque par exemple elle souhaite mettre fin à une activité précise de marché, elle pourra vendre le moment venu le portefeuille malsain auprès d’une autre banque qui souhaite conserver cette compétence. Quel agent recruté à la hâte dans la bad bank publique saura discuter du bon prix de la créance avec le banquier privé qui la connaît par cœur et qui a son bonus en jeu ?
Il vaut mieux alors passer à la seconde façon d’intervenir sur la solvabilité de la banque. L’injection de fonds propres est la méthode la plus simple et la plus directe. À preuve que devant les difficultés de mise en œuvre de TARP aux États-Unis, les gouvernements, à commencer par celui de Gordon Brown, ont préféré cette solution. Paulson a lui-même très vite réorienté le TARP vers des recapitalisations bancaires. L’avantage est qu’il est plus facile avec cette position dans le capital de demander des contreparties aux banques, d’où les demandes très médiatiques sur le contrôle des bonus. Sauf que les montants exigés pour les budgets publics sont considérables, en l’absence de possibilités de lever des fonds sur les marchés privés ! Pour donner une image, on se limitera à la France, dont le système bancaire est très loin d’être le plus malade.
Imaginons que suite aux développements de la crise financière et économique, les actifs au bilan des huit grandes banques françaises devaient se déprécier de 3%. Il faudrait alors doubler les fonds propres de ces banques (qui représentent en 2007 3,1% de leurs actifs totaux) pour absorber le choc, ce qui représenterait un montant de près de 200 Md€ ! Les montants seraient considérablement plus importants au Royaume-Uni ou aux États-Unis. On comprend que les gouvernements et les parlementaires rechignent et qu’on en revienne à la version initiale d’une intervention sur les actifs des banques. Aux États-Unis, on redirige à nouveau le TARP vers une fonction de bad bank et Tim Geithner a le projet de lancer un nouveau fonds, le Financial Stability Trust, chargé de prendre des participations au capital des banques. Cette valse-hésitation montre les difficultés à agir avec des fonds publics dans ce processus de recapitalisation.
Il ne reste plus alors que la troisième façon à explorer, par action sur l’endettement des banques. Les États ou les banques centrales ont déjà agi de ce côté, mais timidement, par exemple en offrant leur garantie aux créances interbancaires pour réanimer le marché monétaire, ou encore en réaffirmant leur garantie sur les dépôts bancaires jusqu'à un certain montant. Et l’effet sur le bilan de la banque est négligeable. Ils ont aussi commencé, comme en France, à prêter aux banques plutôt que de leur offrir des fonds propres, mais ce n’est qu’un autre mode, certes plus sécurisé, plus rémunérateur, d’injection de fonds propres, dès lors que ces prêts doivent avoir les caractéristiques de quasi-fonds propres pour accroître la solvabilité et donc la capacité de la banque à prêter.
Pour rester dans cette voie, une dernière mesure, assez radicale, est à disposition des autorités. Elle consiste à décréter qu’une banque en mal de solvabilité est dans un quasi-état de sauvegarde. Il est légitime alors d’obliger créanciers et actionnaires des banques à s’entendre pour une recapitalisation de la banque. Pour éviter les délais de négociation et la myriade de situations individuelles qui rendent cet accord impossible, on agit par la loi en obligeant à une conversion forcée des titres de dette en fonds propres. Pour fixer les idées, on obligerait tous les porteurs de dette financière des banques à convertir 20% de leurs dettes, à leur valeur nominale, en actions ; pour les porteurs de dette subordonnée ou hybride, la conversion se ferait à disons 40%. Les dépôts bancaires, à vue ou à terme, seraient bien évidemment exclus de cette conversion forcée. De même, on peut envisager des conversions moindres pour les titres de dette à court terme ou bien définir des seuils en deçà desquels il n’y a pas conversion, pour ne pas pénaliser les ménages qui détiennent, souvent sans le savoir, des titres bancaires via leurs fonds de placement. Il faudrait aussi se poser la question du traitement des prêts interbancaires. Enfin, pour éviter une dilution trop grande des actionnaires en place ou pour tenir compte de la forte présence des banques mutualistes, la conversion pourrait se faire en actions à dividende prioritaire sans droit de vote, ne faisant pas perdre à l’excès leurs droits politiques aux actionnaires en place.
L’effet serait massif et immédiat. Partant à nouveau des bilans bancaires français, une telle conversion sur la dette obligataire ou mezzanine ferait plus, avec un montant de 240 milliards d’euros, que doubler les fonds propres.
Il y a certes expropriation des obligataires et dilution forcée des actionnaires, d’où le recours à la loi. On ne nie pas les difficiles problèmes juridiques qui s’ensuivraient, notamment dans un cadre international. Mais les quelques expériences conduites dans le passé, notamment par l’administration Roosevelt au moment de la Grande Crise ou en Suède au moment du sauvetage de leur système bancaire dans les années 90, montre que l’expropriation ne nuit pas forcément aux créanciers. Pourquoi cela ? Simplement, comme on le voit dans tout sauvetage d’une entreprise en défaut, parce que la banque retrouve une structure de passif saine et limite le risque et les coûts d’un défaut. La preuve en est que leurs titres de dette montrent aujourd'hui une forte décote, qui reflète le risque de faillite de l’établissement et l’illiquidité des titres. A nouveau, le mérite d’une telle procédure, imposée par la loi et à valeur immédiate, est d’éviter les longs délais de négociation entre créanciers et actionnaires, où le jeu des intérêts individuels empêche toute coordination, créant dans l’intervalle incertitude et risque pour l’établissement, et assèchement de l’offre de crédit.
Et puis, argument final, c’est du bon sens ! On dit que la crise vient d’un endettement trop grand des économies, en particulier d’un levier excessif du secteur financier. Et comment voudrait-on le régler ? En empilant encore plus de dette, cette fois de la dette publique, pour des États déjà surendettés. Désendetter, cela veut dire réduire la dette et augmenter les fonds propres, et non la faire passer des bilans bancaires vers le bilan de l’État. Si la mesure marche, il ne serait pas absurde d’imaginer un moratoire de la sorte pour des entreprises non financières, propre à retourner d’un coup des anticipations et enrayer l’inquiétante glissade de la conjoncture.
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