Le Parti socialiste face à ses responsabilités edit
Les hasards de la vie politique placent aujourd’hui le Parti socialiste dans une situation où sa représentation à l’Assemblée nationale lui offre l’opportunité de jouer un rôle majeur pour contribuer à sortir le pays de la crise profonde et dangereuse qu'il traverse. En participant à la formation d’un Front républicain s’opposant à l’alliance objective entre La France insoumise et le Rassemblement national, qui totalisent à eux deux près de la moitié de l’électorat, il pourrait stabiliser la situation politique et empêcher l’arrivée au pouvoir de l’extrême-droite. Mais les quelques signaux positifs relevés par la presse ces derniers jours ne changent pas grand-chose sur le fond. Dans la période récente, après avoir manifesté quelques velléités de participer à la re-parlementarisation du fonctionnement de notre système politique, terrifié, sans doute, par sa propre audace, tout se passe comme s’il avait finalement décidé de demeurer lié à LFI au sein du Nouveau Front populaire. Tout montre cependant qu’il s’agit là d’un choix tactique et non stratégique. En réalité, le PS est un parti sans boussole, qui risque de payer au prix fort son incapacité à reconquérir une réelle autonomie stratégique. Comment expliquer ce choix qui ressemble en réalité à un non-choix ?
Le refus du Front républicain
La culture politique du PS refondé par François Mitterrand demeure profondément marquée par le modèle de la Ve République présidentielle à l’intérieur de laquelle il a mené son action et gouverné. S’il n’a cessé de réclamer l’instauration d’une VIe République parlementaire qui mettrait fin au « pouvoir personnel », en réalité, qu’il s’agisse de l’élection présidentielle ou de la bipolarisation gauche/droite, longtemps favorisée par le mode de scrutin majoritaire à deux tours, il continue à se comporter comme si rien n’avait changé depuis les élections de 2024 qui ont pourtant affaibli le pouvoir présidentiel, redonné son rôle au Parlement et confirmé l’effacement de la bipolarisation gauche/droite au profit de la tripolarisation de la vie politique. Ses dirigeants, contrairement à certaines de leurs déclarations, ne sont nullement ouverts à l’élaboration de véritables compromis avec des forces politiques qui n’appartiennent pas à la gauche. Leur décision de ne pas participer à un gouvernement qui ne serait pas dirigé par une personnalité de gauche issue du NFP, alors qu’un tel gouvernement, dans la configuration politique actuelle à l’Assemblée nationale, n’aurait aucune chance d’échapper à la censure, le prouve, de même que leur exigence qu’un éventuel gouvernement de coalition applique son propre programme, tout particulièrement sur la réforme des retraites. Olivier Faure, ayant affirmé qu’« aucune des conditions du pacte de non-censure » proposé par la gauche à François Bayrou avait été respectée, a déclaré : « il y aura censure ». Il condamne la « dépendance (à) l’extrême droite » du gouvernement sans s’aviser que dans un régime parlementaire, pour combattre l’ennemi principal, il faut rechercher des coalitions majoritaires et que le NFP n’en est pas une aujourd’hui. À cela s’ajoute l’exigence de renoncer au « passage en force avec le 49.3 » alors que, pour éviter de transformer un régime parlementaire en régime d’assemblée, notamment en l’absence de majorité absolue, cet alinéa est indispensable pour qu’un gouvernement puisse gouverner. Rappelons que c’est la SFIO, elle-même, qui avait insisté pour introduire cet alinéa dans la Constitution de 1958. Enfin, il est étrange que le PS, qui a toujours inscrit dans ses programmes le rétablissement de la proportionnelle, soit aussi discret aujourd’hui sur cette question alors que seul ce mode de scrutin lui permettrait d’échapper à l’alliance électorale avec LFI. Bref, les socialistes ne souhaitent pas la re-parlementarisation du régime de la Ve République, sans qu’on sache d’ailleurs quel type de régime politique ils souhaiteraient voir fonctionner aujourd’hui. Il ressort de ces considérations que les socialistes ne font plus de l’exercice du pouvoir leur priorité et préfèrent une opposition qui, pensent-ils, protègent leurs positions électorales. Le « long remords du pouvoir » les a, une fois encore, étreints. Le PS n’arrive plus à se penser comme un parti de gouvernement ni ne souhaite vraiment le redevenir. Face aux crises qui s’approfondissent et un environnement européen et international qui appellerait une forte présence de la France, il ne montre pas le sens des responsabilités qu’on serait en droit d’attendre de son passé.
Il est significatif que si le choix de l’opposition par les socialistes a été récemment soutenu par Lionel Jospin lui-même, le 16 décembre dernier, dans la mesure où « ils n’avaient pas été appelés par le président à former le nouveau gouvernement » et que selon lui, il ne fallait pas entrer dans « une confusion politique », il soulignait, en même temps, qu’ils devaient contribuer à ce que « ce gouvernement dure » et que « Jean-Luc Mélenchon était dans l’illusion de la radicalité », en pensant que « la situation en France est d’une certaine façon révolutionnaire » alors que s’il y avait un risque, c’était « plutôt un risque de contre-révolution ». On peut dans ces conditions se demander pourquoi l’ancien Premier ministre souhaite la continuation du NFP tel qu’il est. La confusion qu’il condamne n’est pas d’un seul côté.
L’alliance mortifère avec LFI
Lionel Jospin a raison sur un point central : Jean-Luc Mélenchon a fait le choix de la radicalité. Sa stratégie, assumée, est celle du chaos. Cette réflexion juste devrait suffire à elle seule à repousser toute alliance du PS avec LFI. Le PS a toujours été un parti réformiste quand il était au pouvoir. Compte tenu des nombreux et graves désaccords existants entre les deux partis il est évident qu’ils ne pourraient gouverner ensemble.
Notons d’abord que Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen ont désormais pour objectif commun de chasser le président. Ce n’est pas celui du PS. Rima Hassan, députée LFI, estime que la composition du gouvernement Bayrou est « un appel à la Révolution » et qu’il faut « occuper l’Élysée ». Mathilde Panot a appelé à de nouvelles élections présidentielles rapidement : « Oui 2025 sera une belle année. Celle où nous réussirons à faire partir ce président arrogant et autoritaire ». Le PS est-il prêt à se joindre à cette opération ? À l’Assemblée le groupe LFI ne se sert de sa représentation que pour en faire principalement, une force d’obstruction, sans reculer devant l’injure. Les socialistes préfèrent-ils comme eux la rue au Parlement ? Souhaitent-ils, comme Jean-Luc Mélenchon, une re-bipolarisation, mais cette fois où les deux partis extrêmes seraient dominants ? « LFI ou RN », a déclaré ce dernier, « Nous y sommes, c’est eux ou nous, il n’y a rien au milieu. » Rien au milieu c’est à dire pas de Front républicain… et pas de PS autonome, devenu alors un simple supplétif de LFI.
Olivier Faure se dit fier que son parti refuse de soutenir la candidature de Mélenchon à la prochaine présidentielle. Mais alors quel candidat soutenir ? Le but du leader de LFI est de marginaliser définitivement le Parti socialiste. En est-il conscient ? En admettant que les prochaines élections législatives précèdent la prochaine présidentielle, croit-il que les candidats socialistes présentés par le NFP reproduiront le score de 14% réalisé par Raphaël Glucksmann aux européennes sur une ligne qui était alors clairement anti-LFI ? Rappelons qu’à la dernière présidentielle la candidate socialiste a obtenu 1,7% et que les sondages présidentiels situent aujourd’hui les éventuels candidats socialistes entre 4% et 7%. Le NPF, toutes tendances confondues, représente moins de 30% des suffrages. En outre Mélenchon et LFI sont très majoritairement rejetés par l’électorat. Une enquête IPSOS montre que les Français estiment à 72% que LFI attise la violence et qu’à 69% elle est dangereuse pour la démocratie. Le PS souhaite-t-il partager cette image avec eux ? L’alliance mortifère avec LFI leur ferme toute perspective d’une victoire électorale. Demeurer dépendants de LFI aura probablement pour résultat soit la victoire du RN soit l’aggravation de la crise. C’est ce que souhaite Mélenchon. Est-ce aussi le souhait des socialistes ?
Plus importantes encore à nos yeux sont aujourd’hui les questions désormais centrales de la politique étrangère et européenne. LFI refuse d’aider les Ukrainiens à empêcher leur défaite qui ferait de l’Ukraine une colonie de l’empire russe, en refusant les livraisons d’armes offensives. Poutine, chacun n’en est pas encore conscient, mène déjà la guerre contre l’Occident. L’OTAN qui est le principal protecteur de notre sécurité a toujours été l’adversaire principal pour Mélenchon. La question ukrainienne est vitale pour une Union européenne que LFI ne souhaite nullement renforcer. Le PS va-t-il continuer, pour ne pas mettre en danger le NFP, à se faire discret sur ces enjeux capitaux ? Quant à Israël, les liens étroits entre les Frères musulmans et LFI ont pour conséquence que les appels à une « Palestine qui irait du Jourdain à la mer » sont favorablement accueillis par elle, ce qui signifie un refus pur et simple de l’existence d’Israël. Rima Hassan vient ainsi d’appeler les « Franco-Palestiniens de « rejoindre la résistance palestinienne armée. » Qu’en pensent les socialistes ? Nous ne voulons pas croire qu’ils ignorent cette situation ou qu’ils partagent les idées et la stratégie de Jean-Luc Mélenchon. Mais alors, pourquoi ont-ils préféré le NFP au Front républicain ?
La première raison est d’ordre matériel en quelque sorte. Ils pensent, probablement à tort, que seul le NFP leur permettra, comme ce fut le cas en 2024, de conserver leurs sièges à l’Assemblée nationale, objectif premier pour le Premier secrétaire du parti. C’est sur cette ligne qu’Olivier Faure espère gagner son congrès, espoir qui pourrait être atteint vu le silence assourdissant des minorités du parti. La seconde est leur crainte d’être accusés de trahison s’ils opèrent un changement d’alliance, estimant que les électeurs socialistes sont trop attachés à l’union de la gauche pour accepter ce tournant stratégique. Ils devraient relire le discours de Léon Blum le 29 août 1946 au 38e congrès de la SFIO : « Je crois que, dans son ensemble, le Parti a peur. Il a peur des communistes. Il a peur du qu’en-dira-t-on communiste. C’est avec anxiété que vous vous demandez à tout instant : “ Mais que feront les communistes ? Et si les communistes ne votaient pas comme nous ? La polémique communiste, le dénigrement communiste, agissent sur vous, vous gagnent à votre insu et vous désagrègent. Vous avez peur des électeurs, peur des camarades qui vous désigneront ou ne vous désigneront pas comme candidats, peur de l’opinion, peur de l’échec. Et s’il y a eu altération de la doctrine, déviation, affaissement, ils sont là, ils sont dans la façon timorée, hésitante dont notre doctrine a été présentée dans les programmes électoraux, dans la propagande électorale. » Il suffit aujourd’hui de remplacer dans ce texte « communistes » par « insoumis » !
Comme hier, le PS craint, à juste titre, les réactions des militants et des électeurs, mais seulement parce que, n’ayant pas conquis une autonomie stratégique lui permettant de présenter et de défendre un tel tournant devant les électeurs, il n’a en réalité pas grand-chose à proposer comme alternative au programme de LFI, leur propre programme étant le sien moins 20%, pour reprendre une image que François Mitterrand, en 1975, appliquait au programme du CERES de Jean-Pierre Chevènement. Il n’a dans sa besace, pour se définir, qu’un anti-libéralisme qui ne peut pas commander toutes les politiques à mener, comme l’ont montré tous les exercices passés du pouvoir.
À cela s’ajoutent l’absence de leaders ayant comme objectif principal de refaire du PS un parti de gouvernement, capables d’adopter une stratégie permettant de l’atteindre, et la fatigue générale de militants ayant éprouvé sous le quinquennat de François Hollande la difficulté de gouverner, contents, finalement, de retrouver le confort de l’opposition où tout est beaucoup plus simple.
Le problème est que ce choix de l’opposition au sein du NFP plutôt que celui du Front républicain au pouvoir est en réalité un non-choix qui pourrait avoir pour le PS un coût élevé. En effet, hostiles à Mélenchon et considérant que le centre n’est qu’une droite manipulée par l’extrême-droite, ils risquent, assis entre deux chaises, de perdre leur électorat des deux côtés, les électeurs les plus radicaux votant pour l’extrême-gauche tandis que les électeurs plus modérés rejoindraient le centre. Privé de ses deux bouts, l’omelette socialiste risque de ne plus être très roborative ! En votant une nouvelle fois la censure en compagnie des deux partis extrêmes, les socialistes contribueraient à l’aggravation d’une crise qui pourrait finalement amener le RN au pouvoir et faire du PS la principale victime d’une histoire qui pourrait désormais s’écrire sans lui.
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