Un ancien président ne devrait pas faire ça edit

2 décembre 2024

François Hollande a déclaré le 28 novembre sur France Inter qu’il voterait la motion de censure si le gouvernement Barnier utilisait le 49.3 pour faire passer le projet de budget. Ensuite, il « faudra chercher un Premier ministre qui puisse avoir l’assentiment d’une majorité à l’Assemblée nationale. Il y aura forcément à chercher autour d’une nouvelle personne nommée par le président de la République pour gouverner jusqu’en 2027 ou alors il faut admettre de rester dans l’opposition », a-t-il déclaré. Dans la postface de son récent ouvrage, Le Défi de gouverner, il écrivait : « Seuls les socialistes sont convaincus qu’un espace démocratique est possible s’ils l’incarnent dans le respect des engagements pris auprès des citoyens comme auprès de leurs partenaires de gauche et dans l’esprit du Front républicain. » L’ancien président pensait donc possible alors de demeurer dans le même temps aux côtés de Jean-Luc Mélenchon au sein du Nouveau Front Populaire (NFP) tout en nouant des relations, sans préciser lesquelles, avec les partis du Front républicain appartenant à l’actuel gouvernement. La décision unanime du groupe socialiste de voter la censure atteste le caractère chimérique de cet espoir.

En votant la censure avec LFI, offrant ainsi au Rassemblement national la décision de renverser ou non le gouvernement, François Hollande et les socialistes ont tranché en faveur du NFP et contre le Front républicain. Certes l’importance d’une telle décision crée pour le PS un certain embarras. C’est ainsi que Boris Vallaud, qui préside le groupe socialiste à l’Assemblée, a fait une étrange déclaration visant à en atténuer la portée. Une fois la censure votée et donc la chute du gouvernement Barnier obtenue, il proposera « à tous les présidents de groupe du Sénat et de l’Assemblée nationale de l’arc républicain de poser la question des conditions d’une non-censure. On verra si ceux qui ne se sentent responsables de rien seront au rendez-vous. » Jean-Luc Mélenchon a immédiatement rejeté cette proposition, accusant le Parti socialiste d’être « en train d’organiser un nouveau socle commun » à la place de l’actuelle alliance du NFP et lui reprochant de « tendre la main » au-delà de la gauche. « Le PS cherche des alliés. Mais ce sera sans LFI », a-t-il clairement affirmé.

Dans ces conditions, la proposition évoquée par Boris Vallaud est doublement irréaliste. D’abord parce qu’elle entraînerait ipso facto la fin du NFP alors que la stratégie du PS demeure fondée sur le rétablissement du clivage gauche/droite et ensuite parce qu’on ne voit pas bien pourquoi il serait possible de créer les conditions d’une non-censure après le vote de la censure si cela n’a pas été possible avant. S’engager sérieusement dans cette voie n’aurait de sens que si les socialistes envisageaient un changement d’alliances permettant de former un véritable Front républicain opposé aux deux partis extrêmes. Le PS reste donc arrimé au NFP.

Le choix dangereux du PS

Le choix du PS de voter la censure avec LFI est dangereux pour deux raisons.  D’une part, compte tenu de l’arithmétique parlementaire, il offre au Rassemblement National, le rôle de parti pivot, tenant dans sa main le gouvernement, contredisant ainsi l’appel au Front Républicain, qui a permis pourtant d’accroître le nombre des députés de gauche. D’autre part, il légitime LFI qu’il persiste à considérer seulement comme un concurrent à affaiblir alors que Jean Luc Mélenchon a voulu, depuis les élections législatives de 2022, avec la NUPES le marginaliser, et, depuis la dissolution de cet été, avec le NFP favoriser son éclatement en multipliant les manifestations de radicalité.

En persévérant dans sa stratégie d’union de la gauche avec LFI, malgré les critiques qu’il lui adresse, le PS se méprend sur la nature de ce parti. Le mouvement que Jean Luc Mélenchon a regroupé autour de lui ne ressemble pas au Parti communiste des années Mitterrand : un parti certes empreint de son histoire stalinienne, mais implanté dans la vie locale, avec ses nombreux élus, venu à partager une part de la culture républicaine, avec lequel, à partir de rapports de force, il était possible de bâtir des compromis nationaux, de temps à autres, et des ententes locales durables. La France Insoumise n’a pas la même nature. Elle est, fondamentalement, une forme de « populisme autoritaire ». Elle entend constituer un « peuple », son peuple, qui se reconnaît derrière un chef, qui concentre l’essentiel des pouvoirs. Rompant avec la stratégie suivie au temps du Parti de Gauche, avec le PCF, et encore dans les premières années de La France Insoumise, Jean Luc Mélenchon et ses principaux lieutenants ont fait l’analyse qu’ils devaient adjoindre à leur électorat d’une gauche radicalisée, un électorat qui se mobilisait peu, celui des français musulmans, nombreux dans les banlieues. S’écartant d’un discours républicain universaliste, Jean Luc Mélenchon a pris ses distances avec la laïcité à la française.

En outre, depuis le pogrom du 7 octobre 2023 en Israël, il est devenu l’organe d’expression des mouvements islamiques en France dont les liens avec eux n’ont fait que se renforcer au cours des deux dernières années. LFI avait caractérisé d’emblée l’attaque du 7 octobre comme « une offensive armée de forces palestiniennes menée par le Hamas ». Ses députés et ses drapeaux étaient présents à la manifestation du 5 octobre 2024 où les islamistes ont déclaré qu’Israël était le « seul État terroriste du Moyen-Orient », célébrant l’anniversaire du 7 octobre aux cris de « Israël, casse-toi ». Le 8 septembre, place de la Nation, Rima Hassan et Thomas Portes, députés LFI, accompagnaient à la tribune Elias d’Imzalène, un prédicateur salafiste, conseiller politique d’Urgence Palestine, et écoutaient les slogans tels que : « Du fleuve à la mer, la Palestine est arabe », « De la mer au Jourdain, la Palestine appartient aux Palestiniens », qui nient clairement le droit à l’existence d’Israël. Les liens avec le collectif Urgence Palestine qui appelle à la résistance armée sont patents. Le 3 novembre, une manifestation organisée par des associations palestiniennes à laquelle participait Mathilde Panot, Omar Alsoumi, personnalité de ce collectif, a fait référence aux formulations du Hamas : « Est-ce qu’on est d’accord pour continuer à être ce déluge d’al-Aqsa », l’expression donnée par le mouvement islamiste aux massacres perpétrés le 7 octobre. Sur une chaîne frériste financée par le Quatar, nombre de reportages sont consacrés au parti de Jean-Luc Mélenchon et de ses membres présentés comme des figures héroïques en France. Ritchy Thibault, l’attaché parlementaire de la députée LFI Ersilia Soudais, déclarait lors de la marche pour la Palestine à Paris le 5 octobre 2024 : « Oui, notre Elias avait raison : le seul chemin dans les rues de Paris et partout, c’est l’intifada. »  Les Étudiants musulmans de France (EMF), le bras étudiant des Frères musulmans, appellent à voter LFI. Aux dernières élections législatives le parti de Jean-Luc Mélenchon et sa coalition de gauche sont arrivés en tête, souvent de manière écrasante, dans la plupart des communes populaires à forte concentration de populations immigrées musulmanes. Ce parti apparaît ainsi intimement lié aux mouvements islamistes et s’en fait le porte-parole.

Quelles que soient les convictions profondes de Jean Luc Mélenchon et de ses lieutenants, ils ont légitimé, et continuent à le faire, l’expression d’un antisémitisme qui dépasse largement la seule critique du gouvernement israélien actuel. La plus récente manifestation de cette proximité est la proposition de loi de LFI pour réclamer la suppression de la loi condamnant l’apologie du terrorisme, proposition cohérente avec son refus de considérer le 7 octobre comme une action terroriste, sans compter les critiques nombreuses faites à la loi de 2004 sur le port ostensible des signes religieux dans l’école publique. Projeter le schéma mitterrandien sur la situation actuelle à gauche est erroné. Les différences sont plus que programmatiques et portent sur des valeurs essentielles.

En déclarant avec LFI qu’il voterait de toutes manières la censure du gouvernement Barnier le PS a pris la responsabilité de faire du RN le parti pivot à l’Assemblée, remettant entre ses mains le sort du gouvernement et contredisant ainsi la stratégie législative du Front républicain édifiée contre ce parti. Faute de partir de la réalité du Front républicain, qui n’avait pas qu’une dimension défensive, pour nombre d’électeurs qui ont fait l’effort, qui de voter pour la droite, qui de voter pour la gauche, les socialistes risquent de rester durablement minoritaires et de ne pas pouvoir jouer le rôle qui devrait être le leur pour contribuer à sortir le pays de la crise actuelle. Ne pas vouloir prendre de risque conduit à des positions peu lisibles. Sans le vouloir, les socialistes risquent fort de favoriser l’arrivée au pouvoir du Rassemblement national, tant ce qui apparaît de plus en plus à l’opinion comme une faillite du parlementarisme peut susciter un désir d’ordre.

Le PS, en ne rompant pas avec LFI et en faisant du RN l’arbitre du jeu politique, favorise les deux partis populistes qui, l’un et l’autre, s’opposent à la fourniture d’armes offensives à l’Ukraine au moment où ce pays joue sa survie et contre lequel la Russie mène une politique génocidaire, exprimant ainsi leur préférence pour les régimes autoritaires. Une mauvaise compagnie ! Ce faisant, les socialistes abandonnent la culture de gouvernement qui fut longtemps la leur, abdiquant en votant la censure leurs responsabilités alors que la crise financière menace dangereusement le pays.

Ils font ainsi le choix confortable de l’opposition, en attendant la prochaine élection présidentielle à laquelle, déclare François Hollande, « la gauche doit se préparer, se reconstituer et faire en sorte qu’il y ait une candidature qui puisse valablement gagner la présidentielle ». Mais la principale préoccupation des socialistes devrait être plutôt, surtout si les prochaines élections sont les législatives, de construire d’abord des alliances partisanes permettant d’édifier une nouvelle majorité parlementaire, c’st-à-dire en cessant de considérer que l’élection présidentielle est l’alpha et l’oméga des consultations électorales, mais aussi en abandonnant leur préférence inavouée pour l’opposition.

Leur choix de voter la censure dans la situation actuelle et aux côtés de tels alliés objectifs est dangereux politiquement et honteux moralement. Ils devraient méditer les réflexions de Léon Blum dans À l’échelle humaine. Revenant sur les responsabilités partagées dans les années qui ont précédé l’effondrement de 1940, à droite, bien sûr, mais aussi, à gauche, avec le Parti communiste et la SFIO. De son parti, il écrivait alors : « Il avait traîné ainsi, pendant près de deux ans, une existence humiliée, suspectée, en sorte que finalement, on ne sembla même plus s’apercevoir de sa présence. Certes, il aurait mieux valu qu’une rupture franche séparât les éléments inconciliables au regard d’un problème vital. L’événement aurait fait l’épreuve ; les masses populaires se seraient reformées autour de ceux qui avaient vu clair[1]. »

[1] A l'échelle humaine, présentation de Milo Lévy-Bruhl, éditions Au bord de l’eau, Lormont, 2021. p 167.