Préférez-vous une Ford ou une Mercedes ? edit
Nous sommes entrés dans une phase différente de la crise, ce qui donne quelque raison d’être optimiste. Dans les dernières semaines, ce que nous avons observé est une transition des craintes liées à la liquidité à celles liées à une récession. Autrement dit, nous sommes passés du risque de liquidité au risque de crédit. Mais les interventions des États auront leur coût et tôt ou tard il faudra passer à la caisse. Quelles hypothèses peut-on construire pour le moyen terme ?
La différence n’est pas évidente. L’un et l’autre sont en général mauvais pour le cours de la bourse. Mais ils ont un impact différent sur les cours des valeurs prises individuellement. Le risque de crédit offre une opportunité aux investisseurs qui n’ont pas peur de s’engager dans l’espoir de réaliser des gains supérieurs. Par contre, il est difficile de trouver des acquéreurs dans un environnement où la liquidité est rare et où les investisseurs réduisent leur effet de levier. Le plus souvent, dans un tel environnement, seuls les actifs monétaires et les bons du Trésor prennent de la valeur. En revanche, les marchés réagissent d’une façon plus contrastée aux périodes de récession. Les bourses anticipent la fin de la récession, parfois prématurément. Certaines valeurs sont considérées comme « défensives » et en cas de récession leur performance est meilleure. Les actions traditionnellement défensives sont celles des entreprises de services collectifs qui ont capturé leurs marchés, le commerce de détail à bon marché, les sous-traitants du secteur de la Défense, les distributeurs de tabac et d’autres produits qui nous accompagnent aussi bien dans la déprime que dans l’euphorie.
La récession qui arrive sera caractérisée par trois éléments. Tout d’abord, le système bancaire a souffert. Les États ont essayé de le rafistoler et ils arriveront finalement à boucher les trous. Il serait difficile qu’ils échouent maintenant que dans de nombreux pays ils sont devenus pratiquement les propriétaires du système. Mais la psychologie des opérations bancaires a été irrémédiablement changée, tout au moins pour les cinq prochaines années, avant qu’on oublie tout et que le prochain boom commence.
Une façon de considérer cette question est de noter que pour accorder un prêt, les banquiers se réfèrent explicitement ou implicitement aux cinq dernières années. Au début de 2007 par exemple, les cinq années précédentes avaient été excellentes pour les banques. Les défauts étaient peu nombreux. La valeur des biens s'élevait rapidement. Les investissements et l'économie globale se diversifiaient et se découplaient comme jamais ils ne l’avaient fait. De cette perspective, des primes de risque modestes étaient justifiées. Les conditions de prêt étaient bonnes et les banques ont même prêté avec de faibles marges.
Or, en considérant aujourd’hui les cinq dernières années, on a un tableau bien différent. Dans le rétroviseur, on aperçoit désormais un grave accident, et pour justifier ce risque potentiel on se dit qu’il aurait fallu exiger des emprunteurs des garanties renforcées ou des taux élevés. Cela ne favorisera pas le crédit et les marchés devraient privilégier le cash-flow et les gains garantis. Le conglomérat diversifié à l'ancienne, capable de saisir des opportunités et doté d’une trésorerie suffisante pour en profiter, va revenir à la mode. Beaucoup de ces conglomérats ont été victimes de la mode financière dans le monde développé, mais prospèrent en revanche dans les marchés émergents.
Deuxième point, la psychologie des épargnants a également été affectée. Au cours des dernières années, les consommateurs étaient prêts à dépenser tout leur revenu et à n’en épargner qu’une petite partie, voire rien du tout. Ils considéraient que cela suffisait car leur richesse, concentrée dans le logement et les actions, semblait s’accroître fortement. Cette richesse leur permettait de dépenser. Or une partie de cet argent apparaît avoir été fugace, pour ne pas dire illusoire. Une leçon a été apprise. Les taux d'épargne s'élèveront, la consommation tombera, affectant les entreprises qui produisent des biens et services que les consommateurs affectionnent quand ils se sentent riches : les voitures, les articles de luxe, les vacances à l’étranger, etc.
Troisième point, alors que les bourses en général peuvent être prises dans cet environnement économique, le temps de la volatilité des marchés monétaires et obligataires est revenu, et cela devrait peser sur les profits des entreprises. Les gouvernements ont massivement augmenté leur dette. Je ne m'en inquiète pas trop aujourd'hui, mais au final, soit cette dette sera payée par une augmentation des impôts, qui restreindra la croissance et soutiendra le cours des bons du Trésor et des devises, soit elle sera payée en utilisant la taxe de l'inflation, au détriment des marchés obligataires et monétaires. Les dirigeants politiques prétendront qu’ils ne feront ni l’un ni l’autre. Bien sûr, s'ils n'avaient pas à se soucier des électeurs, ils devraient faire les deux : faire marcher la planche à billets aujourd'hui pour décaler la destruction de capital et élever les impôts demain quand l'économie aura repris des couleurs.
Dans le monde réel, la solution sera déterminée en fonction des préférences politiques et celles-ci seront notamment fonction de la démographie. Les pays vieillissant, avec une frange significative d'électeurs en retraite et vivant d’annuités fixes ou en location, préféreront que le gouvernement taxe les salariés et évite l’inflation. Ce devrait être le cas au Japon et en Europe. Les populations jeunes et lourdement endettées, habitant des maisons lourdement hypothéquées, préféreront voir l’État baisser les impôts et payer la dette avec l’inflation, au grand dam de leurs grands-parents. Ce devrait être le cas des Etats-Unis et dans une faible mesure du Royaume-Uni, de l’Australie et du Canada. En conséquence, le regain du dollar devrait pas durer aussi longtemps que celui du yen, et sa baisse face à l'euro devrait reprendre. Du point de vue de la bourse, cela sera bon pour les exportateurs américains, britanniques, australiens, canadiens et les importateurs japonais et européens. Mais cette image est plus claire au niveau des secteurs industriels qu’à celui des marchés boursiers. Beaucoup d’entreprises européennes et japonaises ont trouvé moyen de se débrouiller avec les contraintes d’une monnaie forte –en délocalisant ou en montant en gamme. Malgré le dollar faible, préférez-vous une Ford ou une Mercedes ? Ces jours-ci, la plupart des investisseurs ne peuvent plus se permettre qu’une Ford. Mais je ne parierais pas que cela dure.
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