Zone euro : le manifeste des économistes allemands edit
En mai 2010, l’UE a créé un fonds de sauvetage, d’une durée de trois ans, pour les membres surendettés de la zone euro. Certains proposent aujourd’hui d’accroître les réserves de ce fonds et de lui donner un caractère permanent pour aider les pays confrontés à des crises de liquidité. Malheureusement, on cherche en vain une justification convaincante à ces deux propositions. Il n’est pas évident que les risques déjà présents aient été évalués de façon réaliste et que des dispositions adéquates aient été prévues au cas où le fonds de sauvetage échoue.
Le volume actuel du fonds de sauvetage, noté AAA, dépasse de presque 80% les besoins de refinancement cumulés de l’Irlande, du Portugal et de l’Espagne jusqu’en 2013. Dans ces conditions on voit mal pourquoi il faudrait augmenter les réserves de ce fonds. Pour soutenir les États en proie à des crises de liquidité, un fonds de sauvetage n’est pas nécessaire car ils sont en mesure de s’entendre avec leurs créanciers pour restructurer leur dette publique sans nécessairement en changer la valeur actualisée. Si en revanche leurs créanciers ne sont pas convaincus qu’ils font face à une simple raréfaction des liquidités, alors ces États doivent être considérés comme insolvables. Si l’UE garantissait la solvabilité d’États en réalité insolvables, cela aurait des conséquences négatives.
Tout d'abord des conditions de crédit favorables leur donneraient une puissante incitation à répéter les erreurs du passé et à poursuivre une politique d’endettement au détriment de leurs partenaires de l’UE.
Ensuite, parce qu’elle n’en a pas les moyens politiques, l’UE ne serait pas en mesure de corriger ces mauvaises incitations avec des contrôles budgétaires ou via la récente proposition d’un « pacte de compétitivité ». Ces mesures sont en effet limitées et ne peuvent durablement contrecarrer les incitations issues d'une garantie permanente de solvabilité financière. Le résultat serait simplement d’aggraver encore la crise de la dette en Europe, d’exercer une pression énorme sur la solidarité des pays solvables, à la fois économiquement et politiquement, et en fin de compte de saper les fondements de l’Union européenne.
Il est donc n"cessaire d'adopter une stratégie à long terme. A nos yeux, celle-ci implique d'autoriser un État à se déclarer insolvable et de restructurer sa dette. Avec comme corollaire que les créanciers privés renoncent à une partie de leurs créances sur les États débiteurs. C’est seulement ensuite que l’on peut envisager des prêts de l’UE.
La participation des créanciers privés aux coûts de rééchelonnement de la dette signifie que les obligations des Etats surendettés seront négociées avec des primes de risque appropriées, ce qui aura pour effet de contrer une nouvelle augmentation de la dette nationale, et ce d’une façon beaucoup plus efficace que les contrôles politiques ou la menace de sanctions. Si, toutefois, le surendettement est déjà avéré du fait de paiements d’intérêts et d’amortissement supérieurs à un niveau soutenable, un rééchelonnement de la dette permet aux États touchés de prendre un nouveau départ dans leur politique budgétaire. Cela n’oblige en rien le pays insolvable à quitter l’euro, et cela ne met pas l’euro en danger.
Sans rééchelonnement de la dette, les nécessaires réformes économiques pourraient déclencher des réactions de frustration et de protestation si, malgré d’ambitieuses mesures d’assainissement, le service de la dette ne peut être réduit. Un rééchelonnement de la dette assure également que le risque est supporté au moins en partie par des créanciers privés, qui ont déjà bénéficié de la prime de risque. Alors qu’un mécanisme permanent de sauvetage, qui exclut insolvabilité et rééchelonnement de la dette, conduit à une redistribution totalement injuste des contribuables des pays solvables en faveur des créanciers des États débiteurs.
Une stratégie contre la crise de la dette intégrant d’une façon crédible la possibilité d’insolvabilité d’un État doit s’assurer que ses conséquences ne sont pas incalculables. Ici la nécessité pourrait survenir de limiter les risques de défaut maximum supportés par les créanciers privés d’importance systémique, afin de prévenir les réactions de panique sur les marchés financiers lors de l’introduction des clauses de rééchelonnement de la dette dans les nouveaux accords de crédit après juin 2013. Mais en aucun cas, l’UE ne doit complètement assumer les risques de défaillance.
Il est également nécessaire, après l’achèvement d’un accord de rééchelonnement de la dette, que l’Union européenne accorde des crédits aux pays touchés. L’expérience montre en effet qu’après s’être déclaré insolvable un État n’a pratiquement aucune chance d’obtenir des prêts privés. Ces crédits devraient avoir la priorité sur ceux des créanciers privés et ne devraient être accordés que dans des conditions strictes d’ajustement structurel.
Après une procédure de rééchelonnement de sa dette, comment un État surendetté peut-il retrouver sa compétitivité ? C’est une question-clé. Puisque l’appartenance à la zone euro ne permet pas de dévaluations nominales, la compétitivité internationale des États touchés peut être restaurée au moyen de réformes structurelles. Le FMI a une vaste expérience dans ce domaine et peut fournir une assistance technique et administrative, par exemple dans le domaine de l’administration fiscale. Néanmoins, les réactions de récession à l’ajustement structurel ne seront pas complètement évitables.
Des règles incluant la possibilité d’insolvabilité d’un l’État ne sont crédibles que si les décideurs politiques sont incités à les utiliser en cas de crise. Il faut donc prévoir un système d’incitations dont les règles soient disponibles, aussi, pour les représentants des pays qui ont à supporter les conséquences de l’insolvabilité. Chaque décideur devra ainsi peser soigneusement les coûts et les avantages d’une éventuelle insolvabilité. Les coûts des pertes de crédit sont relativement concrets et irréversibles pour les banques nationales et la BCE, alors que les avantages semblent être moins tangibles.
Ce genre de décision est compliqué par les risques politiques, car l’insolvabilité et ses résultats ne peuvent être discutés publiquement à l’avance et pourvus d’un soutien parlementaire. Il pourrait donc se révéler tentant pour les politiques de gagner du temps en fournissant des garanties nouvelles pour un pays surendetté plutôt que d’accepter l’insolvabilité avec une aide ultérieure, sans l’approbation du Parlement. Pour cette raison, il pourrait être souhaitable de confier à une institution indépendante, par exemple le FMI, le soin de déterminer l’insolvabilité. Ce n’est qu’après une décision d’insolvabilité émanant d’un organisme indépendant que l’aide pourrait être fournie par les partenaires solvables.
Les déclarations d’insolvabilité des États surendettés ne doivent pas être contournées ou retardée par une BCE qui utiliserait ses politiques monétaires pour soutenir ces Etats. L’achat sélectif d’obligations souveraines à risque élevé favorise les États membres individuels et peut susciter l’envie des autres États dont la dette est élevée. Cela compromet la réputation et l’indépendance de la BCE. En outre, les interventions de la BCE peuvent viser simplement à calmer les marchés, car elle n’est pas en mesure de vendre les obligations qu’elle a acquises sans causer d’irritation. La BCE doit à nouveau se concentrer sur son obligation contractuelle de stabilité monétaire et laisser la solution des problèmes de surendettement aux gouvernements des pays de la zone euro.
La crise de la dette de l’UE peut mener à trois résultats possibles. Premièrement, elle peut être surmontée par le biais de la croissance réelle dans les pays surendettés. Deuxièmement, elle peut être désamorcée par des procédures d’insolvabilité. Et troisièmement, elle peut conduire à une « communautarisation » de la dette des États membres, que ce soit par le biais d’impôts plus élevés ou par une inflation plus élevée dans l’ensemble de l’UE.
Les risques d’une politique qui se concentrerait exclusivement sur la première et la plus favorable de ces possibilités sont considérables. Nul ne peut prévoir aujourd’hui si les États concernés trouveront la force de rembourser leurs dettes, qui n’ont fait que gonfler avec le mécanisme de sauvetage européen.
Nous demandons donc au gouvernement allemand de prendre des précautions pour le cas où le Fonds européen de sauvetage échoue et, sans tarder et en collaboration avec ses partenaires européens, de mettre au point pour les membres surendettés de la zone euro un plan de redressement détaillé qui corresponde aux exigences énoncées ici. Cela seul peut empêcher l’UE de se diriger vers la troisième solution, avec des effets mortels à long terme pour l’ensemble du projet d’intégration européenne.
Cette déclaration, dont la version anglaise est publiée sur le site de notre partenaire VoxEU, a été soumise à un vote ouvert aux économistes allemands ; 189 ont voté pour, sept ont voté contre, et onze se sont abstenus.
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