A quoi sert le nouveau Traité de stabilité ? edit
Avec l’élection d’un nouveau Président de la République, les discussions promises pour compléter le Traité de stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire sont entamées. Mais qu’y a-t-il vraiment dans ce Traité signé le 2 mars 2012 et ratifié à ce jour par la Grèce et la Slovénie ? Il ne s’agit pas ici de porter un jugement sur le bien fondé économique des règles adoptées mais plutôt d’en préciser le cadre juridique afin de mieux comprendre leur portée.
Il faut au préalable lever une ambiguïté terminologique fréquente : le traité n’est pas un pacte fiscal, le terme mal traduit de l’anglais recouvre en français la notion de pacte budgétaire. Il n’y a pas d’accord sur des politiques fiscales qui restent pour l’essentiel précisément du ressort de chaque Etat membre.
Le Traité de stabilité vient s’ajouter au Traité de Lisbonne qui intègre les fameux critères de Maastricht. Il existe en effet déjà un arsenal conséquent de règles pour faire en sorte que les critères de déficit public de 3% du PIB et de dette publique de 60 % du PIB soient respectés. Le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne comporte de très nombreux articles consacrés à la politique économique et monétaire (Titre VIII) ainsi que plusieurs protocoles ayant même valeur juridique que le Traité lui-même. En
particulier l’article 126 et les règlements adoptés en 1997 sur cette base définissent en détail les règles relatives aux déficits publics excessifs dont la lecture suffira à convaincre que ce n’est pas l’absence de règles et de procédures qui règne dans le domaine ! Si les procédures pour déficits excessifs engagées par le passé n’ont jusqu’ici pas vraiment convaincu, les mécanismes ont été fortement durcis par l’adoption du six-pack en novembre 2011. Ces 5 règlements et une directive renforcent notamment le régime de sanctions préventives et correctives de la procédure pour déficits excessifs. Les Etats membres ne pourront s'opposer à une proposition d'engagement de la procédure de sanction que si une majorité qualifiée s'y oppose : sans qu'il y ait automaticité des sanctions, celles-ci sont potentiellement facilitées. Ces textes s’appliquent depuis décembre 2011.
Pourquoi alors un Traité de stabilité ? Celui-ci va plus loin que les règles de l’Union européenne. Ce n’est plus 3% de déficit qui est visé mais 0,5% et pour faire respecter cet objectif, l'adoption d'une règle d'or budgétaire au niveau national est requise.
Il faut immédiatement remarquer que si le Traité mentionne une transposition de préférence constitutionnelle, celle-ci n'est pas obligatoire et des règles telles que celles posées par une loi organique semblent pouvoir suffire. On voit mal en effet la Cour de Justice interpréter d'une façon restrictive les formulations très souples du Traité puisqu'il lui faudrait alors rejeter les arguments présentés par un Etat membre au nom de sa propre analyse de l'ordre constitutionnel de cet Etat, approche risquée pour les juges de Luxembourg et d’autant plus risquée que le Traité n’offre pas de ligne très précise.
En définitive le Traité de stabilité instaure à côté des mécanismes européens centrés sur les objectifs maximum de déficit de 3% et de dette de 60%, un autre ensemble de contraintes visant à l’équilibre structurel des budgets. Mais ces règles sont des règles nationales dont l’application sera contrôlée nationalement. Du côté du six pack la Commission et le Conseil sanctionnent sous le contrôle de la Cour de Justice, du côté du Traité de stabilité ce sont les juges nationaux. Qu’est-ce qui garantit que les décisions des juges ne seront pas contradictoires d’un Etat membre à l’autre ? Rien, car pour le Traité de stabilité, le juge de Luxembourg n’intervient que marginalement. Cette divergence potentielle des jurisprudences est d’autant plus probable que les concepts, tels par exemple que celui de « circonstances exceptionnelles », donneront nécessairement lieu à des interprétations différentes. De la même façon, les concepts
juridiques employés pour ce qui concerne la procédure de déficit excessif engagée par l’Union ne sont pas identiques à ceux que le juge national emploiera, mêmes s’ils portent les mêmes noms : pour reprendre l’exemple précédent, la notion de « circonstances exceptionnelles » fait l’objet d’une définition dans le Traité de stabilité et d’une autre définition dans les règlements du six-pack. Par ailleurs, le juge national est placé dans une situation très inconfortable car il ne dispose a priori pas de ressources d’analyse économique et budgétaire : devra-t-il croire les affirmations de son gouvernement ou au contraire devra-t-il faire lui-même des contre-expertises pour, par exemple, découvrir une vision un peu optimiste des rentrées fiscales ? Contrairement à la procédure de déficit excessif pilotée par les services de la Commission, la procédure devant le juge national sera donc probablement surtout formelle.
Le super-régime de stabilité instauré par le nouveau Traité se place donc bien en dehors des mécanismes habituels du droit de l’Union et représente bien des engagements supplémentaires que chaque Etat membre prend… sous son seul contrôle.
L'entrée en vigueur du Traité aura lieu, dès que 12 Etats de la zone euro l'auront ratifié, au plus tôt le 1er janvier 2013. Dès lors que la possibilité de bénéficier du Mécanisme européen de stabilité est conditionnée à la ratification du Traité – cette conditionnalité n’étant d’ailleurs imposée que par quelques mots dans le préambule du Traité – on peut imaginer que les Etats les plus fragiles ratifient rapidement ce texte. C'est ce qui se vérifie pour les premières ratifications. Atteindre le seuil pour l'entrée en vigueur ne devrait donc pas poser de difficultés mais il est tout à fait possible que l'ensemble des 17 pays de la zone euro n'avance pas au même rythme.
A cet égard, la France a conditionné son accord à un complément au Traité portant sur la croissance. Ce thème est en effet absent du Traité : si celui-ci ajoute à la stabilité budgétaire quelques éléments de coordination économique, rien de véritablement substantiel n'est proposé sur la croissance. Or faut-il vraiment compléter le Traité dont on a souligné le caractère fondamentalement national et peu européen ? En réalité on voit bien que ce n’est pas de compléter le Traité qu’il s’agit mais bien de renforcer la
politique économique par des mesures prises à l’échelle de l’Union. La voie ouverte par le Traité en imposant une autodiscipline s’éloignant de la méthode communautaire est une impasse.
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