CICE: la révolution de l’offre n’aura pas lieu edit
Appelé à évaluer le CICE, France Stratégie a dû suspendre son jugement. Il faudra attendre 2016 pour savoir si le CICE, comme son nom l'indique, a contribué à l'emploi et à la compétitivité. Les données globales livrent un message ambigu : au premier trimestre 2015 l’investissement baissait légèrement à 22,7% contre 23,1 en 2014, alors même que le taux de marge augmentait à 31,1% contre 29,5 en 2014.
La première évaluation se résume à deux constats: le CICE est à la fois un succès paradoxal et un échec paradoxal.
Un succès car le dispositif fonctionne, que les crédits sont consommés et que l’usine à gaz inventée s’est mise en route non sans quelques ratés initiaux (fin juillet 2015, 14,2 milliards étaient engagés et 7,7 milliards décaissés soit un rythme doublé par rapport à 2014). Le dispositif de préfinancement BPI a fonctionné notamment au profit des entreprises en difficulté. Mais un succès paradoxal car ce sont les salariés les moins qualifiés payés au voisinage du smic et les PME en difficulté qui ont bénéficié de la manne publique.
Un échec car ce ne sont pas les entreprises industrielles exposées qui sont les principales bénéficiaires du dispositif, ce sont au contraire les entreprises de service abritées, les entreprises de distribution qui ont raflé la mise.
Un échec paradoxal car contrairement à ce qu’affirment les « Frondeurs » ce n’est pas une politique de l’offre qui a échoué mais au contraire une nième version de soutien à la demande qui s’est imposée sous le masque de l’aide aux entreprises. Les vrais bénéficiaires du CICE sont en effet les salariés qui ont vu augmenter leurs salaires.
Reprenons le film pour comprendre ces paradoxes en cascade.
En confiant un rapport à Louis Gallois sur la compétitivité de la France et sur l’accélération de la désindustrialisation, François Hollande entend faire œuvre pédagogique à gauche : l’entreprise n’est pas l’ennemie, ses profits servent l’emploi et l’investissement. Les conclusions et les prescriptions de Gallois sont claires. Les entreprises françaises ont des coûts trop élevés pour les produits de moyenne gamme qu’elles vendent (compétitivité coût) ce qui déprime leurs marges et leur interdit d’investir dans la montée en gamme. Ou bien, dit autrement, les entreprises françaises ne vendent pas suffisamment de produits haut de gamme (compétitivité hors-coût) pour amortir les coûts qu’elles supportent. Seuls un choc de compétitivité passant par des baisses des coûts sociaux et fiscaux immédiats et un plan de compétitivité à moyen et long terme passant par des réformes structurelles et des investissements massifs dans l’économie de la connaissance peuvent la restaurer. Seules des règles durables et stables en matière administrative, sociale et fiscale peuvent rétablir le climat de confiance indispensable à la reprise de l’investissement et de l’emploi. Au cœur des préconisations du rapport Gallois, un effort massif est demandé sur la baisse des coûts salariaux entre 1 et 3,5 SMIC car c’est ainsi qu’on peut aider les entreprises industrielles, innovantes et exportatrices.
Avec le CICE, François Hollande a l’opportunité de commencer à corriger les ravages de sa politique fiscale tout en faisant auprès de ses propres troupes la pédagogie de la création de richesses. Mais sa réponse est essentiellement politique : le principe du choc d’offre est retenu, mais son application est différée et fragmentée. Le transfert des charges patronales vers une assiette fiscale autre que le travail est retenu, mais c’est l’impôt sur les sociétés qui sera réduit. Quant au recours à la TVA, il se fait sur un mode mineur pour écarter la CSG. La portée du choc de compétitivité sera donc limitée. Les montants en cause (20 milliards au lieu des 50 envisagés), le calendrier (étalé sur trois ans et non immédiat) et les modalités (conditionnalité réelle ou pas) en témoignent. Mais là n’est pas le plus important : le gouvernement s’engage à réduire les charges à travers le crédit d’impôt pour les salaires compris entre 1 et 2,5 Smic. Ainsi une mesure de compétitivité est transformée en une mesure emploi favorisant les bas salaires et les basses qualifications. Au total, deux mois après un choc fiscal violent essentiellement supporté par les entreprises et les épargnants et justifié par la volonté de préserver la consommation en surtaxant l’épargne oisive, le gouvernement change de direction et reconnaît que la priorité est à l’emploi, et à la restauration des marges des entreprises.
Le CICE intervenant après le choc fiscal de 2012 voit donc le triomphe de Bercy, hostile à des mesures favorisant les hauts salaires, indifférent aux problèmes de spécialisation et de compétitivité et globalement acquis à une logique de hausse des impôts plus que de baisse des dépenses.
Ainsi lorsque France Stratégie feint de découvrir que le CICE a essentiellement servi à améliorer la situation financière des entreprises de service les moins innovantes, les moins exportatrices et dont la force de travail est essentiellement composée de salariés payés au voisinage du SMIC comme La Poste ou Auchan, on peut donc simplement noter qu’il s’agit exactement de l’effet qu’on pouvait attendre des mesures prises : les décisions de Hollande ont vidé pour une large part les recommandations de Gallois, le président a opéré une torsion politique. En tête des secteurs bénéficiaires on trouve l’hôtellerie et la restauration (87% de la masse salariale concernée) les activités de services administratifs (81%) ou la construction (78%). A l’inverse la filière transports ou l’industrie électronique ne sont concernés qu’à hauteur de 48 et 35%.
Du reste, en lançant le Pacte de responsabilité 18 mois plus tard François Hollande ne fait que prendre acte de l’échec du succès du CICE à savoir le faible impact sur les entreprises innovantes et exportatrices, d’où un volet baisse de charges pour les entreprises à forts coûts salariaux (entre 1 et 3,5 SMIC comme proposé par Gallois) mais là encore l’assaut de Bercy va limiter la portée de la mesure puisque sur les 10 milliards prévus 5 iront à une mesure bas salaires.
Une fois de plus tout se passe comme si l’ardeur réformatrice social-libérale manifestée par les « cadeaux faits aux entreprises » était combattue par les tenants de gauche d’une politique de la demande alors qu’en réalité CICE et Pacte de Responsabilité agissent comme des dispositifs de soutien aux bas salaires et donc à la demande.
Reste une objection décisive à l’ensemble CICE-Pacte de Responsabilité : lorsque les entreprises retrouvent des degrés de liberté, elles augmentent les salaires au lieu d’investir ou de baisser leurs prix ! Pour les tenants de la baisse des charges au voisinage du SMIC c’est une confirmation de plus des vertus de la baisse de charges pour la création d’emplois et à l’inverse de l’ineffectivité des baisses de charges pour peser sur la spécialisation.
L’argument ne manque pas de surprendre car précisément tout l’objet du rapport Gallois était de montrer que la désindustrialisation venait de loin, que la montée en gamme prendrait du temps et qu’à l’inverse la seule dévaluation fiscale n’aurait pas d’effet sur la spécialisation. Là aussi on s’étonne de découvrir à l’arrivée ce qu’on a injecté au départ : les pénuries de compétences, l’abandon de pans entiers de l’industrie, le temps et les développements nécessaires pour ré-atteindre la frontière technologique ne peuvent être abolis en 18 mois.
Résumons-nous : une politique de l’offre qui passe d’abord par un matraquage fiscal, puis par une faible pression sur la dépense publique, puis par une simulation de l’emploi non qualifié, puis par une dose homéopathique de soutien aux entreprises exposées et enfin par des mesures différées de baisses d’impôt et de charges devrait bouleverser les conditions productives et le mode d’insertion de la France dans une économie mondialisée ! Le plus étrange dans ce constat est l’étonnante continuité entre Sarkozy et Hollande : entre 2009 et 2014 les dépenses publiques continuent à augmenter de 0,4 points de PIB et les recettes fiscales de 3,6 quand les chiffres comparables sont de -3,5% et 0,2 en Allemagne et -5,3 et -0,2 au Royaume-Uni. Peu importe l’emballage, peu importent les partis au pouvoir, la technostructure pousse les mêmes solutions qui se trouvent de plus confortées par les syndicats. La politique de l’offre aura fourni une étonnante diversion au débat public au sein de la gauche. C’est peut être le seul point positif : à défaut d’avoir réalisé cette politique on a en a acclimaté l’idée à gauche !
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