Economie française: entre insuffisance (faible) de l’offre et (forte) de la demande edit
À l’heure où la publication les comptes nationaux nourrit de trimestres en trimestres un pessimisme qui semble irréversible, le temps n’est pourtant pas si éloigné de performances de croissance de l’économie française voisines des 2% l’an, comme en 2010 et en 2011.
Entre 2008 et le début de 2011, l’économie hexagonale a bien résisté si on la compare à celle de ses principaux partenaires. La récession y a été moins forte qu’au Royaume-Uni, en Allemagne, en Espagne et en Italie. A la fin de la période de rattrapage, la France faisait jeu égal avec l’Allemagne et les États-Unis et avait même retrouvé son niveau d’activité d’avant crise. L’écart avec les autres pays européens apparaissait très en faveur de la France. La première moitié de 2011 a brutalement interrompu le processus de reprise.
Comment expliquer cette rupture de l’activité depuis 2011 ? Est-elle due à la disparition du potentiel de croissance ou à un manque de demande ? Au sein du débat opposant les tenants d’une insuffisance de l’offre à ceux d’une insuffisance de la demande pour expliquer le faible niveau d’activité en France depuis quatre ans, quelques éléments factuels peuvent être utilement rappelés.
Si les différentes appréciations de l’évolution du potentiel depuis le début de la crise ne convergent pas toutes, un consensus parmi les grandes institutions (FMI, OCDE, Commission européenne, OFCE) émerge pour évaluer la croissance potentielle de l’économie française au minimum à 1% en 2014. L’estimation d’un écart de production négatif fait aussi consensus entre les institutions : le diagnostic qualitatif porté sur la situation cyclique de l’économie française est commun, celui de l’existence de marges de rebond. Ces marges ne diffèrent que par leur amplitude, avec des écarts de production compris entre 2,5 et 4 points selon les instituts.
Des mesures directes menées auprès des entreprises sur les conditions d’utilisation des ressources productives vont aussi dans le sens des évaluations précédentes et appuient la présomption de l’existence d’un écart de production négatif.
Interrogées à l’enquête trimestrielle dans l’industrie, trois entreprises sur quatre déclarent éprouver, depuis la fin 2008, des difficultés de demande plutôt que des difficultés d’offre pour accroître leur production comme elles le souhaiteraient. Dans ce contexte d’une insuffisance de demande caractérisée, les entreprises sous-utilisent de manière chronique l’appareil productif. Pour preuve, les marges de capacité de production respectivement sans investir et sans embaucher, qui sont une mesure des ressources productives non utilisées au sein des entreprises restent supérieures à leur moyenne d’avant crise. Ces marges de production durablement élevées corroborent, par une source d’information alternative, l’estimation d’un écart de production durablement négatif en France.
En sous-régime depuis 2011, l’économie française penche clairement vers la désinflation, si ce n’est la déflation. L’absence de tensions sur l’appareil productif, le maintien du chômage très au-delà du taux de chômage structurel et la concurrence des pays d’ores et déjà en situation de déflation salariale comme l’Espagne et l’Italie ont ramené le taux d’inflation sous les minima de ces quinze dernières années, si l’on exclut la récession de 2009.
Quatre types de chocs rendent compte de l’extinction en 2011 de la phase de reprise post-récession.
- Le principal est la politique d’austérité instituée en Europe. Au frein budgétaire national s’est ajouté l’effet négatif des politiques de rigueur conduites chez les partenaires européens et qui, par le canal de l’affaissement de la demande adressée, ont renforcé l’impact de l’austérité sur la croissance.
- Cet impact négatif a été renforcé par la dégradation des conditions de crédit - durcissement des conditions d’octroi de crédit et hausse des taux d’intérêt réel-.
- La croissance a également été freinée par les fluctuations du prix du pétrole
- et par celles de la compétitivité-prix, en 2012 sous l’effet de la déflation salariale des pays concurrents de la France, et en 2013 sous l’effet de l’appréciation de l’euro.
Au total, l’effet de ces quatre chocs est resté mesuré en 2011, -0,6 point de PIB, mais c’est accentué en 2012 et 2013 pour s’élever à près de 2 points de PIB chaque année.
En l’absence de chocs, la trajectoire de l’économie française aurait pu s’établir autour de 2,4% depuis 2011, ce qui confirme le retard de production évoqué plus haut.
Au lieu de cela, l’économie française est à l’arrêt : le niveau du PIB en volume au troisième trimestre 2014 n’est que de 1,4% au-dessus de celui du premier trimestre 2011. L’analyse des facteurs contribuant à cette performance est claire : la demande privée – ménages et entreprises – est en forte baisse (-1,6%) et notamment la consommation des ménages, traditionnel moteur de croissance de l’économie. Alors que les ménages sont plus nombreux aujourd’hui qu’il y a quatre ans, leur consommation totale est 0,6% inférieure à leur niveau de 2011. Plus surprenant, alors que la capacité de l’économie française à s’insérer dans la compétition mondiale est mise en doute par le discours dominant, est l’impact fortement positif du commerce extérieur depuis quatre ans porté par le dynamisme des exportations affichant une contribution positive de deux points à l’évolution du PIB. En somme, depuis quatre ans, l’économie française est tirée principalement par ses exportations et est freinée par la faiblesse de la demande privée.
Mais là encore, en faisant du sur-place, la France affiche des évolutions moins funestes que l’Italie et l’Espagne, entrées dans une deuxième récession qui laisse leur PIB au troisième trimestre 2014 respectivement 9 et 6% sous son point de départ d’avant crise. Cette performance relative plus favorable de la France par rapport à ses principaux partenaires commerciaux induit l’apparition d’un déficit commercial, dont une partie est de nature conjoncturelle (54% du total).
En conclusion, si la dégradation des marges des entreprises et leurs pertes de compétitivité sont réelles, il nous apparaît que la panne qui frappe l’économie française depuis près de quatre ans ne soit pas due à une disparition du potentiel de croissance, même si un tassement est probable. Une telle hypothèse entrerait en contradiction avec les symptômes décrits plus haut qui caractérisent une économie en situation d’insuffisance de demande.
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