Euro : regardons plutôt vers les Etats-Unis ! edit
A suivre les débats sur le sauvetage de l’euro, le choix serait entre plus d’Europe et la fin de la monnaie unique. Et bien, c’est inexact. En dehors du modèle allemand, il nous faut peut-être revisiter le modèle américain.
Le débat est structuré de la manière suivante. La liste des pays en crise de leurs dettes publiques ne cesse de s’allonger, et les pays en cause deviennent de plus en plus gros. Le célèbre pare-feu destiné à sauver la zone euro, le MSE (mécanisme européen de stabilité) est bien trop petit pour faire face à cette contagion. Les élites en concluent qu’il faut donc mutualiser les dettes (euro-obligations, eurobills). Cela signifie donc que l’Allemagne doit garantir les dettes publiques existantes. Comme ces dettes représentent près de 200% du PIB allemand, il n’est pas surprenant que la chancelière allemande y soit opposée. « Je ne peux garantir que ce que je contrôle », dit-elle sagement, « et donc il faut d’abord soumettre les budgets nationaux à un contrôle européen ».
Évidemment, rien de tel ne peut se faire dans les quelques mois qui viennent. Or la crise s’aggrave sous nos yeux et elle n’attendra pas qu’un accord soit trouvé. Surtout, un tel accord est impensable. Aucun parlement national, y compris le Bundestag et l’Assemblée nationale, ne sont prêt à renoncer au contrôle du budget national.
Comment donc assurer la discipline budgétaire dans un système de nature fédérale comme l’union monétaire ? Il existe deux types de réponses. Le premier type, appelons-le modèle allemand, consiste à soumettre les unités subfédérales, les pays de la zone euro, à un contrôle centralisé de leurs budgets. C’est ainsi que fonctionne l’Allemagne. Le gouvernement fédéral allemand peut demander à la Cours fédérale de Karlsruhe d’invalider les budgets des Lander indisciplinés. C’est exactement ce que propose Angela Merkel pour la zone euro. Or ce système présente deux inconvénients majeurs. D’abord, la zone euro n’est pas vraiment fédérale. Les pays membres se sentent bien plus autonomes que les Lander allemands qui ont choisi au 19e siècle l’union politique. Mais il y a plus grave. Le système allemand ne fonctionne pas bien. Certains Lander ont des dettes qui approchent 100% de leurs PIB. Bien pire, deux fois depuis 1945, le gouvernement fédéral a dû intervenir et sauver des gouvernements locaux défaillants.
L’autre modèle est celui des États-Unis. En matière budgétaire, le gouvernement fédéral n’a aucune autorité sur les états américains. Pendant un demi-siècle après la déclaration d’indépendance, les États-Unis ressemblaient à la zone euro. Le gouvernement fédéral sauvait régulièrement les états qui accumulaient des dettes excessives. Les débats étaient semblables à ceux que nous connaissons en ce moment. Et puis, de guerre lasse, en 1841 le gouvernement fédéral a décidé qu’il ne sauverait plus les États en difficultés. Ce qui a suivi est un cas d’école sur l’importance des incitations. Quelques défauts ont eu lieu dans les années qui ont immédiatement suivi ce changement fondamental. Ensuite, tous les États (sauf un, le Vermont) ont adopté des règles constitutionnelles d’équilibre budgétaire strictes. Depuis 1850, il n’y a pas eu un seul défaut, si l’on exclut les États « renégats » du sud après la guerre civile. Certes, quelques parlements exploitent toutes les échappatoires légales possibles, mais la marge de manœuvre est étroite et les déficits et les dettes restent faibles. Il n’est pas impossible que la Californie fasse défaut dans les mois qui viennent. Si cela se produit, ce sera un non-événement car sa dette publique représente 8% de son PIB. Une goutte d’eau au niveau des États-Unis.
Entre le modèle allemand et le modèle des États-Unis, il devrait être clair que, politiquement, la zone euro ressemble beaucoup plus au système fédéral américain qu’au système fédéral allemand. Du point de vue économique, il est tout aussi patent que le modèle des États-Unis fonctionne bien alors que celui de l’Allemagne n’atteint pas ses objectifs, et c’est logique. La quasi certitude d’une aide fédérale n’encourage pas les Lander à la discipline budgétaire alors qu’aux États-Unis la certitude inverse a conduit à l’adoption, et au respect, de règles contraignantes. La leçon pour l’Europe est limpide : l’abandon en mai 2010 de la règle de non-sauvetage est une erreur historique et les efforts pour mettre en place le modèle allemand ne résoudront pas le problème d’indiscipline budgétaire dont les conséquences sont en train de devenir catastrophiques.
L’objection habituelle à ce raisonnement est que les États-Unis ont un gouvernement fédéral qui assume des fonctions impossibles en Europe dans sa forme actuelle. Premièrement, il assure une redistribution entre Etats lorsque certains d’entre eux subissent des chocs récessionnistes. Ensuite, le gouvernement fédéral conduit une politique budgétaire contra-cyclique. Mais ces différences ne sont pas aussi cruciales qu’il n’y paraît. Si chaque État membre de la zone euro est fiscalement discipliné, il pourra emprunter durant les mauvaises années et repaiera durant les bonnes années. Cette méthode est exactement équivalente au système américain où un État reçoit de l’aide fédérale durant les mauvaises années et aide à son tour les autres États en situation de besoin. Dans la zone euro, donc, c’est au niveau national que peut se conduire la politique budgétaire contra-cyclique, à condition bien sûr que les dettes soient promptement remboursées, ce qui sera garanti par les règles constitutionnelles d’équilibre budgétaire prévues par le Pacte fiscal adopté en mars dernier.
Étant donné l’importance de l’enjeu, il pourrait paraître stupéfiant que nos élites aient choisi le modèle allemand. En fait, elles n’ont rien choisi. Il n’y eu aucun débat, comme si personne ne connaissait le modèle des États-Unis, sans doute par pure paresse intellectuelle. Comme ses prédécesseurs, Angela Merkel conçoit l’Europe à l’image de l’Allemagne. C’est compréhensible. Mais les autres ? Pourquoi personne ne suggère une autre architecture ?
Depuis la création de l’euro, l’Europe fait du surplace. La crise est, pour elle, l’occasion rêvée de faire un saut qualitatif. Mais ce saut est trop énorme, surtout en cette période où dans chaque pays on voit monter des partis politiques anti-euro et anti-Europe. Nos élites vont droit à leur perte, ce qui n’est pas grave. Mais elles risquent d’entraîner l’Europe dans leur chute.
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