Le roi Draghi est nu, vive la relance budgétaire! edit
La BCE a encore annoncé une série de mesures destinées à renforcer une croissance anémique. Elle a poussé ses taux d’intérêts encore plus bas, en-dessous de zéro, et elle a décidé d’augmenter encore la masse de monnaie, déjà pléthorique. Les marchés financiers sont contents, ils ont de quoi jouer. Mais il est de plus en plus difficile de croire que ce genre de mesures va produire des effets tangibles. En vérité, la BCE et les autres banques centrales sont arrivées au bout de ce qu’elles peuvent faire. On ne peut pas en dire autant des gouvernements.
Le crédo de base de la politique monétaire est qu’elle soutient l’activité économique en abaissant les taux d’intérêt. Cela réduit le coût du crédit et encourage les dépenses financées par l’emprunt. Cela fait monter les cours boursiers, ce qui permet aux entreprises de lever des capitaux à bon compte pour financer l’achat d’équipements productifs. Cela a aussi tendance à faire baisser le taux de change, ce qui dope les exportations. Mais que faire lorsque le taux d’intérêt est arrivé à 0% ?
Autrefois, on considérait que zéro est une limite inférieure infranchissable par les taux d’intérêt. Acculées à ce niveau plancher, de nombreuses banques centrales ont entrepris l’impossible, descendre encore plus bas. Un taux d’intérêt négatif signifie qu’on vous paie pour que vous empruntiez. Cela n’a aucun sens, sinon que c’est censé encourager les emprunts, l’objectif classique de la politique monétaire. Désormais, les banques reçoivent un taux négatif sur leurs dépôts à la banque centrale. Que peuvent-elles faire ? Elles peuvent prêter cet argent qui fond, c’est l’objectif recherché. Mais, quoi qu’on en dise officiellement, après la crise financière, nombreuses sont les banques qui ont encore bien des cadavres dans leurs placards. Alors faire des prêts, par nature toujours risqués, n’est pas à l’ordre du jour. Elles peuvent se refaire une santé en instaurant des taux négatifs sur les dépôts de leurs clients. Dans l’idéal, ceux-ci préféreraient dépenser leur argent, ce qui relancerait la croissance. Mais, dans cette ambiance morose, on ne voit pas les déposants vider leurs comptes pour dépenser plus. Pire, ils pourraient retirer l’argent des banques pour cacher des billets – qui rapportent 0%, c’est mieux qu’un taux négatif – et les cacher sous le matelas. C’est le cauchemar des banques centrales parce que ça fragiliserait encore plus les banques. Quant aux liquidités que les banques centrales injectent dans l’économie, elles arrivent sur les dépôts des banques commerciales auprès de leurs banques centrales, qui reçoivent un taux négatif. Tout cela est bizarre, mais pas vraiment utile.
Pourquoi la BCE et d’autres banques centrales (Danemark, Japon, Suisse, Suède) se sont-elles lancées dans cette expérimentation hasardeuse ? Par désespoir. Elles ont toutes pour mission de maintenir l’inflation basse, mais positive. Or, quand l’activité économique est insuffisante pendant longtemps, les prix cessent d’augmenter et en viennent même à baisser. Du coup, les banques centrales ne remplissent plus leur mission. Elles ont absolument besoin de redynamiser l’activité pour faire remonter l’inflation, mais elles n’ont plus d’instruments.
Ce qui est consternant, c’est que c’est très facile de relancer l’activité. L’instrument qui marche à tous les coups, c’est la politique budgétaire. Un peu plus de dépenses publiques, des baisses d’impôts, ou les deux, et ça repart. Mais il n’en est pas question parce que les gouvernements sont engagés dans une stratégie de baisse des dettes publiques. C’est vrai que les dettes publiques sont un peu partout excessives, mais tout est toujours une question de choisir le bon moment. Aujourd’hui, la relance doit être prioritaire, demain ce sera le moment de faire redescendre les dettes. On emprunte quand on est en difficulté et on rembourse quand tout va bien, c’est aussi simple que ça.
Et bien, non. On nous explique que les gouvernements font toujours la même chose : ils empruntent, beaucoup, mais ne remboursent jamais. C’est bien pour cela que les dettes publiques sont excessives. Les encourager à faire plus de déficits aujourd’hui est criminel, nous dit-on. Aussi logique qu’il paraisse, cet argument est faux. Les déficits se creusent automatiquement en période de basses eaux, tout simplement parce que les recettes fiscales sont en berne. Vouloir réduire les déficits dans une période de non-croissance revient à bloquer la reprise. C’est exactement ce qui s’est passé dans la zone euro depuis 2010 et, malgré les efforts héroïques de la BCE après 2012, l’économie stagne, sans surprise, les déficits ne sont pas comblés et la dette publique continue à grimper.
Cela dit, il est vrai que les gouvernements ont beaucoup fauté dans le passé et qu’il faut une solide dose de naïveté pour croire qu’ils rembourseront leurs dettes cette fois ci. Deux réponses existent, cependant. La première est que l’on peut changer les lois budgétaires. Plusieurs pays, dont l’Allemagne et la Suisse, ont adopté des lois qui imposent la discipline budgétaire, non pas année après année, mais sur une longue période qui recouvre les hauts et les bas conjoncturels. Inscrire une telle exigence dans la constitution est bien plus sain que d’y parler de déchéance de nationalité. Ensuite, il y a dépense publique et dépense publique. Emprunter pour financer des dépenses improductives signifie qu’il sera pénible de rembourser la dette. Emprunter pour financer des dépenses productives a pour effet de doper la croissance à long terme et ainsi générer automatiquement des revenus fiscaux qui rendront la baisse de la dette indolore. Parmi les dépenses improductives, on peut citer les hausses de salaire des fonctionnaires, le traitement social du chômage, les niches fiscales, les aides aux entreprises en déclin, etc. Parmi les dépenses productives, on peut citer les infrastructures, l’éducation et la recherche (mais pas les embauches chères aux syndicats), la réhabilitation des banlieues criminogènes, la santé ou la réduction de la pression fiscale sur les entreprises. Lorsque l’État peut emprunter à taux nul, il est financièrement insensé de ne pas en profiter pour couvrir des déficits rentables et absurde de ne pas faire de la relance.
L’infâme Pacte de Stabilité agit comme une lobotomie. Les gouvernements européens semblent incapables de le remettre en cause. Conscients, cependant, du besoin d’une relance, certains ont imaginé une stratégie alternative : les gouvernements qui satisfont aux exigences du pacte devraient adopter une politique budgétaire expansionniste pour s’aider eux-mêmes et aider les autres. En langage diplomatique, on parle de marges de manœuvre disponibles. En clair, l’Allemagne devrait servir de locomotive. Vu d’Allemagne, cela signifie que : 1) les contribuables allemands devraient s’endetter pour aider les pays fiscalement irresponsables ; 2) l’Allemagne devrait replonger dans les déficits, non pas parce qu’elle en a besoin, mais parce qu’elle a réussi à rétablir des comptes. Autrement dit, cette proposition, dont la France est l’un des champions, n’a aucune chance d’être acceptée. On ne contournera pas le pacte en poussant son plus ardent défenseur à y contrevenir.
La situation est-elle désespérée ? Il existe une solution, pourtant. Elle est connue sous le nom de monnaie-hélicoptère. Ce terme a été inventé en 1969 par l’économiste américain Milton Friedman. Il se posait alors la question, aujourd’hui d’actualité : la politique monétaire peut-elle toujours relancer l’économie ? Envisageant la situation actuelle, il décrivait la mesure ultime qui consisterait pour la banque centrale à faire pleuvoir des billets largués depuis des hélicoptères. Bien entendu, il n’envisageait pas de le faire littéralement, mais il expliquait que la solution consiste à distribuer de l’argent aux consommateurs directement, en contournant le système bancaire lorsque celui-ci est bloqué. C’est très évidemment la solution. Malheureusement, ce n’est pas légalement possible. Mais il est possible de le faire indirectement en toute légalité. Il suffit que le gouvernement creuse son déficit, qu’il finance en empruntant comme toujours sur les marchés financiers, et que la banque centrale rachète cette dette. Ainsi, ce ne serait pas l’hélicoptère de la banque centrale qui serait utilisé, mais celui du gouvernement, rempli de billets fournis (indirectement) par la banque centrale.
Utopique ? En fait, c’est ce qui se passe. La plupart des gouvernements de la zone euro sont en déficit, ils empruntent donc, et la BCE s’est engagée à racheter les dettes publiques au rythme de 80 milliards par mois. C’est ce que l’on appelle l’assouplissement quantitatif. Mais ces déficits sont trop faibles pour relancer l’économie. La solution est donc d’amplifier les déficits. Le très populaire argument selon lequel l’endettement augmenterait ne tient pas la route. Une dette publique détenue par la banque centrale a, en fait, cessé d’exister. Certes, le gouvernement verse des intérêts à la banque centrale sur sa dette, mais la banque centrale est tenue de reverser ses profits, et donc les intérêts reçus, au gouvernement. L’argent ne fait qu’un aller et retour. Alors, qu’est ce qui retient les gouvernements ? Le Pacte de Stabilité. Il est difficile de sous-estimer les coûts économiques, sociaux et donc politiques imposés par pur formalisme légaliste.
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