L’Europe selon Schaüble? edit
Les récentes déclarations de Wolfgang Schaüble au Financial Times sur la géométrie variable et au Wall Street Journal sur la politique menée par Mario Draghi, après le bras de fer sur le Grexit ou l’appel à l’ouverture d’une procédure de sanctions pour les pays en infraction comme la France, ne manquent pas de surprendre. L'homme a-t-il à ce point changé?
On le croyait fédéraliste, on le découvre déterminé à sortir la Grèce de l’Eurozone, tout en lui refusant une restructuration de la dette défendue même par le FMI.
On le pensait ordo-libéral, attaché à l’indépendance de la Banque centrale, et le voilà qui critique ouvertement la politique monétaire menée par Draghi qui appauvrit l’épargnant allemand et déprécie l’euro.
On le voyait attaché à l’empire de la règle et hostile à toute transgression, on le découvre très accommodant avec l’Espagne, quand le sort de ses amis politiques est en cause.
On le savait militant de la cause européenne et soucieux d’un relatif effacement politique allemand, on le voit assumer son rôle de père la rigueur vis-à-vis des pays du Sud, au risque de réveiller les pires stéréotypes anti-allemands.
Sa défense de la géométrie variable est moins celle d’un champion de l’intégration proposant de nouvelles compétences au premier cercle que d’un partisan de la différenciation et de la sortie du premier cercle de ceux qui ne peuvent assumer l’existant.
On le croyait champion de la méthode communautaire et du rôle pionnier de la Commission, enfin, on le découvre chantre de l’inter-gouvernementalisme.
Faut-il s’émouvoir de ces glissements progressifs vers une position de plus en plus marquée par la realpolitik ? Y a-t-il même lieu de s’interroger ? Ces positions relevées dans le flux des informations expriment-elles autre chose que les variations politiques d’un discours fait pour coller à l’opinion ? Schaüble, après tout, est un homme politique. Il a mené des combats qu’il a perdus, notamment sur le Grexit, il a souvent pris des positions en pointe pour flatter l’électorat conservateur avant de se soumettre aux arbitrages de Mme Merkel. Enfin le gouvernement actuel est en bout de course et il faut peut être davantage s’intéresser à ce que projette le parti social-démocrate de Martin Schultz.
Pourtant, il y a plus de cohérence dans des propositions apparemment contradictoires et plus de constance dans la conception de l’intégration de Wolfgang Schaüble. Pour s’en convaincre il faut remonter au moment fondateur de Maastricht, quand il passait pour le dauphin de Kohl. À l’époque déjà, s’il acceptait l’euro, il n’en avait pas moins des doutes sur la capacité des pays du Sud à respecter les disciplines monétaires, c’est pourquoi il finit par se convaincre que de stricts critères de convergence seraient le meilleur moyen de tenir à distance les pays du Sud et de les contraindre à faire les réformes nécessaires pour se rapprocher des pays du Nord. Défenseur de la géométrie variable, il entendait réserver l’accès au « cœur » de l’Union aux seuls pays partageant la culture de stabilité de l’Allemagne.
Vingt ans après leur manifeste de septembre 1994, Schaüble et Lamers confirment leur projet fédéral à géométrie variable propulsé par le couple franco-allemand en insistant sur les nécessaires disciplines des pays formant le noyau dur de l’Europe. Leur vision frappe par sa cohérence et sa logique sur la durée. C’est parce que le Pacte de stabilité et de croissance n’a pas été respecté que des pays impréparés ont intégré l’Eurozone et que la Commission a été incapable de faire respecter les disciplines collectives que l’Europe des cercles concentriques retrouve de l’actualité. Le retrait provisoire de la Grèce, défendu en 2015, est un moyen de retrouver la cohésion du noyau dur. Le rappel à la France de ses obligations de redressement des comptes publics et de la compétitivité n’est que la réaffirmation des conditions de l’intégration. Pour Wolfgang Schaüble, il n’est pas d’avancée possible sans une forme de renonciation partielle à la souveraineté budgétaire et à un transfert du pouvoir de police budgétaire à une autorité européenne. Lorsqu’il se plaît à évoquer le rôle d’un ministre des Finances européen, c’est aux pouvoirs du Commissaire européen à la concurrence qu’il songe, c’est-à-dire à une autorité ayant un pouvoir décisionnaire direct.
Cette vision constitue l'une des références du débat sur l'avenir de l'Europe. Elle n'en pose pas moins multiples problèmes.
Si la priorité de l’action publique est à la restauration de l’équilibre budgétaire et la réduction de la dette, si en même temps la règle du « no bail out » est coulée dans le marbre, comment traiter les chocs asymétriques qui frappent tel ou tel État membre ? L’absence d’un pouvoir budgétaire fort et de mécanismes de redistribution comme aux États-Unis interdisent à un pays en difficulté de se redresser.
De même, si les dynamiques de spécialisation conduisent par effet d’agrégation à une polarisation industrielle, comment corrige-t-on les déséquilibres globaux ?
L’expérience nous a enseigné que la convergence par comparaison et diffusion des bonnes pratiques n’a pas fonctionné, pas plus que le Pacte de stabilité et de croissance : la France et les pays du Sud ne sont pas devenus allemands. Le problème s'est même aggravé avec la grande divergence entre Nord et Sud, le meilleur exemple étant celui de l'Italie privée de la ressource de la dévaluation, incapable de surmonter sa propre division Nord/Sud, et paralysée par la déliquescence de son État.
Enfin, si même les solutions trouvées à la crise financière et aux déficiences de Maastricht, à savoir l’Union bancaire, ne peuvent être mises en œuvre parce que les pays du Sud n’ont pas retrouvé la maîtrise de leurs finances publiques et que les pays du Nord ne veulent pas d’une Union de transferts, alors que faire ?
Pour Wolfgang Schaüble, les prescriptions sont les mêmes. Primo, que chaque pays fasse ses réformes domestiques pour restaurer sa compétitivité et la soutenabilité de ses finances publiques ; 2, que chaque pays respecte les règles du club sous la surveillance de la Commission ; 3, que des coopérations renforcées se développent en géométrie variable dans les nouveaux domaines politiques ; 4, des avancées en matière budgétaire et d’éventuels transferts au sein de l’Union Bancaire doivent être strictement conditionnées à la réalisation des programmes nationaux de réformes et par la rupture du lien entre finances publiques et banques ; 5, le moment venu, un ministère des Finances de l’Union pourra être mis en place, il devra s’assurer de la soutenabilité à moyen terme des politiques budgétaires menées par les États membres ; 6, les États reconnus insolvables doivent pouvoir retrouver une meilleure assise économique et financière par une sortie provisoire de l’euro ; 7, en attendant que les différentes réformes portent leurs fruits, l’inter-gouvernementalisme pratiqué à la faveur de la crise doit être maintenu.
Cohérence du propos, constance de la doctrine, vertu de l’exemple ; qu’ont répondu les Français à ce programme, de quelle vision sont porteurs les hommes politiques qui entendent inscrire leur action au sein de l’Europe ?
Le programme français a peu varié dans le temps. Il consiste à primo, privilégier la croissance par rapport au respect des grands équilibres ; 2, à affirmer qu’il y a un problème de demande et pas seulement d’offre ; 3, à sortir par le haut de la crise par l’investissement et l’engagement dans des programmes de transition énergétique, numérique ; 4, à achever l’Union bancaire pour rendre la zone euro plus résiliente ; 5, à s’engager résolument dans un programme de convergence fiscale pour rendre la concurrence plus équitable ; 6, à jeter enfin les bases d’une union sociale ne serait ce que pour corriger les asymétries constatées et au passage rendre l’Europe plus aimable ; 7, compléter les institutions de supervision économique en instaurant un ministre des Finances, un Fonds monétaire européen et une Agence européenne de la dette.
Le constat des divergences est facile à établir. La caricature n’est pas loin : les Allemands veulent la règle et rien que la règle, les Français veulent relancer avec l’argent des autres. Mais il faut résister à ces caricatures. Comme on l’a vu, les Allemands savent être plus plastiques et les Français savent qu’ils ont un problème de crédibilité. Dans un article précédent sur le livre de Brunermeier, Jones et Landau, nous avions pu montrer comment des différences philosophiques sur l’action publique pouvaient paralyser la recherche d’une voie franco-allemande pour la sortie de crise. La synthèse de la pensée de Schauble ne peut que confirmer ce diagnostic.
Une fois les échéances électorales de 2017 passées, il faudra reprendre le nécessaire dialogue franco-allemand sur l’avenir de l’Europe.
Il faudra alors faire des gestes de confiance de part et d’autre du Rhin pour préserver l’édifice communautaire; cela passe, côté français, par un respect des engagements pris sur les finances publiques et les réformes structurelles, et côté allemand par une plus grande ouverture d’esprit sur l’investissement en Europe et la dette grecque.
Il faudra par ailleurs consolider l’Union bancaire, ne serait-ce que pour rendre l’Eurozone plus résiliente à la prochaine crise. Cela passe par la réalisation des trois piliers de l’Union bancaire, c’est-à-dire l’achèvement du pilier résolution et la réalisation du pilier garantie de dépôts. C’est la condition sine qua non pour éviter que la crise bancaire italienne n’emporte l’eurozone.
Une fois ces avancées réalisées il sera temps de reprendre l’ouvrage et de rouvrir les dossiers sur le budget, la gouvernance, l’action contra-cyclique etc.
Faute de quoi la prochaine crise pourrait être fatale et même des gouvernements décidés à éviter le pire pourraient être pris de court.
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