L’initiative de croissance Hollande edit
L’économie ralentit partout dans la planète, l’eurozone est en récession et les crises bancaires et de la dette souveraine en Europe menacent de plonger le monde dans la dépression. C’est dans ce contexte et fort d’une légitimité récemment acquise que François Hollande a proposé son plan de sortie de crise pour la zone euro. Celui-ci comporte trois volets : une relance européenne par l’investissement, une union bancaire pour sauver éviter le « bank run » et une stratégie fédéraliste gradualiste. La relance par l’investissement vise à sortir d’une stratégie austeritaire dont on voit les ravages en Grèce et maintenant en Espagne. L’union bancaire outre qu’elle corrige une faille du Traité de Maastricht et facilite le traitement de la crise espagnole permet de mettre fin à la liaison perverse entre banques en difficulté et Etats impécunieux. L’union politique projetée est fondée sur le parallélisme entre transferts progressifs de souveraineté en matière budgétaire et mutualisation progressive de la dette. Aucune de ces propositions ne va de soi. C’est le volet croissance qui jusqu’ici a suscité l’attention la plus grande et pourtant sa portée sera beaucoup plus faible qu’un accord européen sur le relâchement de la contrainte de court terme de réduction des déficits. Qu’on en juge.
Le fonds d’investissement de 130 milliards d’euros proposé par François Hollande doit être financé par la mobilisation des fonds communautaires à hauteur de 55 milliards d’euros, une recapitalisation de la BEI de 10 milliards d’euros qui permettra de lever de la dette à hauteur de 60 milliards et une première émission de Project bonds de 4,5 milliards d’euros, le tout devant permettre en quelques années de financer des réseaux électriques, numériques, de transport, de distribution d’eau mais aussi des investissements dans les nouvelles technologies, les nouveaux matériaux, les nanotechnologie et même la formation. Cette initiative dont la réalisation sera étalée dans le temps mobilise à peu près 1% du PIB européen, c’est à dire l’équivalent de 0,2% de PIB si les réalisations sont étalées sur cinq ans. Or pour la France le respect de la trajectoire de réduction des déficits provoquera une contraction du PIB de 1,5% en 2013 ! En renonçant à faire adopter par nos partenaires européens la révision de l’objectif de réduction des déficits pour tenir compte de la baisse des perspective de croissance, François Hollande a paradoxalement sacrifié l’objectif de croissance pour jouer les bons élèves européens.
Mais qu’importe la substance, le signal politique marque davantage les esprits. A défaut de stimuler la croissance, l’initiative de croissance de François Hollande est un succès politique. C’est la première manifestation de la sortie d’une stratégie austéritaire au sein de la zone euro, et elle a été saluée comme telle par le président Obama. C’est une proposition réaliste et acceptable par la partie allemande, car elle revient pour l’essentiel à emballer autrement des propositions qui avaient été déjà faites. C’est un signal pour les pays du Sud de l’Europe qui ne seraient plus voués à la spirale de la décroissance et qui pourraient enfin avoir accès à des fonds communautaires aujourd’hui stérilisés. C’est enfin une excellente initiative politique car elle débloque le processus de ratification du pacte budgétaire en Allemagne grâce au ralliement du SPD, et en France grâce à la « victoire » obtenue dans la renégociation de ce même pacte budgétaire.
On comprend donc que ce premier volet ait été salué au G20 et ailleurs. Pourtant l’avenir de l’Europe et le traitement de la crise espagnole actuelle dépendent bien peu de ce volet croissance et bien davantage des deux autres volets.
Pour sortir de l’impasse espagnole, le gouvernement français a proposé que le Mécanisme de stabilité européen (ESM) recapitalise directement les banques espagnoles en difficulté. Une telle initiative aurait un double mérite, éviter la spirale de l’endettement de l’État espagnol qui transforme une crise bancaire en crise des dettes souveraines, et préfigurer la future union bancaire puisque c’est une autorité européenne qui aurait traité les failles du système financier espagnol.
Mais dans l’état actuel de la supervision bancaire en Europe, une telle intervention n’a qu’un inconvénient, elle permet à l’État espagnol d’échapper à la pression des marchés et de continuer les jeux opaques auxquels il se livre avec ses banques nationales présentées, il y a un an, comme les plus sûres de l’Eurozone et qui sont pour la plupart aujourd’hui en quasi-faillite. L’aide à l’Espagne empruntera donc les canaux traditionnels, même si on limitera à la sphère bancaire les pouvoirs d’intervention de la Troïka (UE, BCE, FMI) et l’union bancaire devra être longuement négociée. Les propositions actuelles sur le rôle et les pouvoirs du superviseur européen (BCE ou EBA) sur le pouvoir de résolution (limité aux seules banques systémiques ou pas) et sur le caractère européen ou pas de la garantie des dépôts (mécanismes nationaux avec garantie européenne ou fonds de garantie européen) ne sont donc pas abouties.
Reste l’avancée la plus prometteuse du plan Hollande qui consiste à esquisser une feuille de route vers le fédéralisme économique. L’idée en est simple : comme le gouvernement Merkel refuse toute mutualisation de la dette tant que l’Europe n’aura pas achevé son union budgétaire et politique et comme les pays en difficulté réclament la mutualisation de la dette immédiatement pour calmer la spéculation, renvoyant à plus tard les négociations sur les formes que prendra l’union politique, une panne préjudiciable pour l’avenir de l’euro nourrit la crise chronique de l’Eurozone. La solution esquissée à Strasbourg et à Paris est d’éviter cette querelle des préalables en avançant simultanément sur les deux fronts : chaque avancée dans la mutualisation de la dette est accompagnée d’une étape dans l’union budgétaire. Ainsi on pourrait commencer par mettre en place les eurobills puis la proposition des sages allemands pendant qu’on vérifie les engagements de réduction de déficits et qu’on ratifie le pacte budgétaire.
Cette démarche, si elle venait à être adoptée, aurait trois mérites. Tout d’abord, elle permet de traiter la crise aigue actuelle en relâchant la pression sur les dettes espagnoles et italienne : c’est la vertu de la première étape de la mutualisation de la dette. Ensuite, elle offre une perspective crédible d’intégration progressive avec des rendez-vous périodiques et des mécanismes d’incitation crédibles. Enfin, elle dessine une perspective de fédéralisme économique à moyen terme permettant de bâtir un consensus politique progressif.
La crise espagnole peut encore déraper, la contagion à l’Italie serait alors immédiate et l’euro serait à nouveau en péril. Le prochain sommet européen suscite de grandes attentes, il risque donc de décevoir. Il faut donc qu’il ouvre des perspectives crédibles à défaut d’apporter des solutions définitives. L’annonce du plan de croissance de 130 milliards d’euros pas plus que la mise en chantier d’une union bancaire ne suffiront. Il faut qu’une perspective datée et une feuille de route soient adoptées et il faut que les modalités du sauvetage de l’Espagne soient précisées. L’objectif n’est pas inatteignable.
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