Pourquoi la dette américaine est-elle volatile ? edit
Les Etats-Unis ont emprunté 6500 milliards de dollars au reste du monde depuis le début des années 1990, dont 4500 milliards sur les seules huit dernières années. Pourtant, emprunter ne conduit pas forcément à s’endetter.
Certes, jusqu’en 2002 le déficit de la balance extérieure américaine a entrainé un accroissement de la dette nette du pays envers le reste du monde, au point d’atteindre 22 % du PIB américain. Les choses ont toutefois pris une tournure intéressante depuis : alors que le pays continuait à emprunter massivement à raison de 4500 milliards, la dette envers le reste du monde n’a augmenté que de 800 milliards.
Où est donc passée la différence ? Pour comprendre cela, il faut pousser l’analyse plus en détail. En premier lieu, la dette nette (21% du PIB à fin 2009) représente la différence entre une grande quantité d’avoirs des résidents américains à l’étranger (130% du PIB, regroupant les filiales étrangères des multinationales américaines, ainsi que les actions, obligations et comptes en banques détenus par les Américains à l’étranger) et une quantité encore plus grande d’avoirs détenus par des résidents étrangers aux Etats-Unis (151% du PIB). Ce point est important car les actifs et passifs des Etats-Unis envers le reste du monde ne sont pas homogènes et donc réagissent différemment aux mouvements des marchés mondiaux. En particulier, le passif des Etats-Unis est libellé en dollar, alors qu’une grande partie des actifs sont en monnaie étrangère (une action du CAC 40 détenue par un Américain est par exemple cotée en euros). Les périodes de faiblesse du dollar génèrent alors un gain pour les Etats-Unis : la valeur en dollar de leurs actifs augmente (une action de 100 euros vaut par exemple 120 dollars au lieu de 100 dollars) alors que celle de leur passifs reste inchangée.
En outre, les actifs et passifs des Etats-Unis ont une composition très différente. Les dettes envers les investisseurs étrangers sont principalement sous forme d’obligations, y compris du gouvernement américain, dont la valeur est relativement stable. Les avoirs américains à l’étranger sont en revanche plus orientés vers les investissements directs, c’est-à-dire des entreprises situées à l’étranger mais en mains américaines, et les actions. La valeur de ces actifs fluctue plus fortement. Par conséquent, lorsque les marchés mondiaux sont en hausse la valeur des avoirs américains augmente fortement. Certes cette hausse des marchés accroît aussi la valeur d’actions américaines détenues par des investisseurs étrangers, mais ces montants sont limités du fait de la prédominance des obligations dans le passif américain. L’écart entre les déficits de la balance extérieure américaine et sa dette nette depuis 2001 s’explique alors par des gains de valeur sur les avoirs existants. Sur l’ensemble des huit dernières années le dollar s’est affaibli, ce qui a accru la valeur, en dollar, des actifs libellés en monnaie étrangère de 1200 milliards. La progression des marchés financiers a pour sa part généré pour 1200 milliards de gains pour les Américains (le solde s’explique par des révisions statistiques).
La sensibilité des actifs et passifs américains aux fluctuations des marchés, si elle a permis de forts gains sur les huit dernière années, a toutefois un revers de la médaille. La dette nette du pays par rapport au reste du monde est en effet très volatile. Cela est clairement illustré par les récentes années de crise. À la fin 2007, la dette extérieure nette des Etats-Unis se montait à 1400 milliards de dollars. Au cours de 2008 cette dette augmenta de manière fulgurante à 4200 milliards. Cela ne fut pas le fait d’emprunts massifs des Américains, qui certes empruntaient mais pas plus que d’habitude. La raison est à chercher dans l’effondrement des marchés financiers après la faillite de Lehman Brothers, lequel représenta une perte de 1800 milliards pour les Etats-Unis, à laquelle s’ajoutent 700 milliards de moins value du fait du renforcement du dollar. En 2009 le scénario s’est inversé, la dette nette des Etats-Unis redescendant à 2900 milliards. Cela est essentiellement le résultat du rebond des marchés, qui a généré pour 800 milliards de gains, et de l’affaiblissement du dollar qui a apporté 400 milliards de plus value. Un renforcement des marchés globaux dans les mois à venir apporteraient des gains supplémentaires.
De telles fluctuations rendent tout exercice de prévision très délicat. Rien ne garantit en effet qu’un pays disposant d’une somme confortable d’actifs à l’étranger puisse compter sur ce bas de laine dans le futur. Si cet avoir net représente la différence entre des actifs et passifs largement plus importants, le pays est dans la situation d’un investisseur avec un fort effet de levier. Il est alors possible qu’une perte de valeur modérée portant uniquement sur ces actifs puisse faire fondre ses avoirs nets. Dans le cas des Etats-Unis par exemple, une perte de 10% sur les actifs (lesquels représente 130% du PIB) sans changement de la valeur des passifs, augmenterait la dette nette de plus de moitié. Dans un contexte où chaque pays a des actifs et passifs substantiels envers le reste du monde, les mouvements des marchés et taux de change peuvent rapidement transformer les créanciers en débiteurs et vice-versa.
En plus de générer de forts gains et pertes de valeur, l’exposition des pays aux marchés rend la balance courante, c’est-à-dire le flux de nouveaux emprunts, plus volatile. Si la balance courante est dominée par la balance commerciale (les exportations et importations) elle inclut aussi le solde des revenus de capitaux, c’est-à-dire les dividendes et intérêts perçus sur les avoirs à l’étranger, ainsi que ceux versés aux investisseurs étrangers. Si ces revenus sont un facteur important pour des pays comme le Japon ou la Suisse ayant d’importants avoirs à l’étranger, ils importent aussi pour un pays comme les Etats-Unis pour lequel il est coutumier de se concentrer sur la seule balance commerciale. Ceci est clairement illustré par une récente révision des statistiques américaines. Il y a deux semaines les statisticiens d’outre Atlantique on revu le déficit de la balance extérieure à la baisse pour 2008 et 2009, avec une correction de 0,25 pourcent du PIB. Ceci est entièrement du à une révision du rendement sur les avoirs américains à l’étranger. Bien que cette révision soit modeste (les rendements ont été révise de 4,4 à 4,7 pourcent) elle s’applique à une quantité importante d’avoirs et a dès lors un impact substantiel sur la balance courante.
La globalisation financière, sous forme de montants élevés d’actifs et passifs étrangers, implique donc une volatilité accrue de la position financière nette d’un pays ainsi que de sa balance courante. Cela rend les projections incertaines, car une série de plus ou moins values peut rapidement changer la donne pour un pays.
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