Banques : une réforme bien modeste edit
Le discours du Bourget nous l’avait appris : le seul véritable adversaire de François Hollande c’était la Finance. L’audace réformatrice de la gauche devait se manifester à cette occasion. La loi préparée de longue date ne souffrirait guère la comparaison avec la modeste Volcker-Rule, prohibant la gestion d’actifs pour compte propre (proprietary trading), l’investissement dans les hedge funds et le private equity. Elle irait plus loin que les réformes Vickers ou Likkanen qui se contentaient de cantonner les activités de banque de détail ou de banque de marché pour ne réserver la garantie publique qu’aux seules activités classiques de dépôt, de gestion des moyens de paiement et de crédit à l’exclusion de toute activité de finance de marché.
Mais voilà, la France dispose de trois grandes banques universelles (BNPParibas, Crédit Agricole et Socgen) dont le total de bilan est supérieur à 2,5 PIB français et dont les activités vont de la banque de détail aux dérivés action, en passant par l’assurance, la gestion d’actifs, les produits structurés et le financement des grandes entreprises. Comment défaire ce modèle pour limiter la garantie implicite de l’État français, contraindre les banquiers à inventer un modèle économique moins risqué, tout en préservant la distribution de crédit nécessaire à l’économie ?
Profitant de leur relation intime avec la Direction du Trésor, de la consanguinité des élites françaises publiques et privées, des responsabilités partagées dans la gestion de la crise, les dirigeants des banques universelles sont progressivement parvenus à convaincre les responsables politiques que le modèle français n’était pas à l’origine de la crise, qu’il avait mieux résisté que les autres au double choc des subprime et des dettes souveraines, et qu’au total, dans un système financier fortement intermédié, les banques universelles étaient un atout dans le financement des entreprises.
Certes la faillite de Dexia ne plaidait guère pour la clairvoyance des dirigeants ou la qualité de la régulation antérieure. Après tout on avait laissé se développer une banque sans dépôts, dépendant fortement des marchés pour son financement, qui s’était diversifiée en acquérant des rehausseurs de crédit et des activités de prêts sur titres, et qui gérait un immense portefeuille de dettes souveraines. Emportée par la crise, il fallut la recapitaliser à fonds publics perdus.
Certes encore, on avait laissé le Crédit Agricole et la BPCE faire des acquisitions qui les éloignaient de leur cœur de métier, développer des activités de marché risquées à partir d’une base juridique qui ne protégeait pas l’argent des déposants. Certes enfin, les structures de bilan révélaient des fragilités ne fût-ce qu’à cause de l’importance du levier de crédit. Mais l’argumentation développée par nos grands banquiers a porté et le gouvernement a fini par s’y ranger. Exit donc les solutions audacieuses inspirées du Glass Steagal Act et qui auraient conduit à une stricte séparation entre activités de banque de détail et de banque de financement et d’investissement, entre métiers de la gestion d’actifs et métiers bancaires, entre banque et assurance. Restait donc à choisir entre différentes formules de cantonnement des activités les plus risquées.
La première bataille livrée par les banquiers fut vite gagnée : la séparation stricte des activités de banque de détail et de banque de financement et d’investissement (BFI) fut écartée au motif que les BFI finançaient les grandes entreprises et qu’il n’y avait donc nulle raison de les considérer comme spéculatives. De plus, à la différence des Etats-Unis, le financement bancaire représente l’essentiel des financements des entreprises alors qu’aux Etats-Unis c’est le financement par les marchés qui est décisif. Enfin, en réunissant sous un même toit banque de détail et banque de gros, la banque universelle faisait bénéficier les entreprises d’un moindre coût du crédit ce qui était utile à l’économie.
Une fois écartés les risques de séparation entre banque de détail et banque de gros, il restait à défendre les activités de banque de marché en prouvant qu’elles avaient une réelle utilité pour les entreprises et ne sauraient donc être considérées comme des activités spéculatives. Le tour de passe-passe a consisté à qualifier d’opération non spéculative la tenue de marché pour les clients (market making). En effet si l’accord pour considérer qu’une banque de dépôt ne devait pas spéculer avec ses fonds propres était acquis, en pratique il est difficile de distinguer les opérations que fait l’entreprise pour son compte propre (prop trading) des opérations qu’elle réalise comme contrepartie pour ses clients (market making). La solution fut trouvée grâce à un glissement sémantique bienvenu : le gouvernement, en privilégiant le critère de l’utilité pour le client plutôt que le caractère spéculatif d’une opération, a réussi à épargner les activités de tenue de marché.
Le résultat pour les banquiers était dès lors inespéré puisque non seulement ils échappaient à la séparation des activités (proposées par Vickers et Likkanen) mais même à la lettre de la Volcker Rule puisqu’une partie du prop trading était épargnée à travers la distinction acceptée avec le market making.
En se montrant aussi sensible à la défense des intérêts bancaires assimilés aux intérêts économiques du pays, le gouvernement pouvait avoir le sentiment d’avoir bien fait. Mais l’écart par rapport aux propos de campagne et aux attentes des parlementaires socialistes était immense. Il fallait donc trouver des marqueurs symboliques de gauche. Trois furent trouvés et grâce à la complicité des banquiers qui hurlèrent au loup, les oppositions de la gauche parlementaire disparurent et la loi fut votée.
Interdire la spéculation sur les dérivés de matières premières agricoles est incontestablement un symbole fort. Qui peut justifier que les denrées de base soient le jouet des spéculations ? Qui peut accepter le retour des manifestations de la faim ? Le problème est que les banques françaises n’ont pas été particulièrement mises en cause sur ce sujet.
Interdire le trading de haute fréquence, les dark pools, est aussi une mesure populaire : quel meilleur symbole de la finance spéculative virtuelle peut-on trouver que cette activité à mille lieues de l’économie réelle ? Le problème là aussi est que les banques françaises ne sont pas en cause.
Enfin obliger les banques dans un souci de transparence à publier l’intégralité de leurs positions dans les paradis fiscaux est également populaire et l’argument opposé par les banques sur la rupture des conditions de concurrence par rapport aux banques étrangères ne risquait guère de convaincre. Mais si la symbolique est puissante, la France seule ne peut guère altérer la dynamique et la géographie des paradis fiscaux.
Mais toutes ces mesures cumulées avec les opérations de prop trading ne représentent de l’aveu même des banquiers concernés que 1 à 2 % de l’activité de nos banques universelles ! Tout ça pour ça, a-t-on envie de dire ! D’autant que cette réforme ne règle pas les problèmes révélés par la crise.
Le rapport Likkanen devait présider à la réorganisation du système bancaire européen. Or il comporte quatre traits saillants bien plus stricts que la loi bancaire française : un cantonnement complet des activités de marché, une hiérarchie des instruments de dette à restructurer clairement définie en cas de résolution, des exigences accrues en capital pour couvrir les opérations de trading, des clauses durcies de transparence et de rémunération.
Par ailleurs le modèle bancaire français reste fragilisé par l’importance des opérations sur produits dérivés et par les risques que ces produits font courir aux banques universelles. Or il n’est pas exclu qu’à la faveur de la mise en œuvre de Bâle 3 on durcisse les exigences en détention de « vrai » capital et qu’on révise la pondération de risques.
Enfin, si la tenue de marché est considérée comme utile aux entreprises, on a découvert à la faveur des débats parlementaires que 7% seulement de cette activité était réalisée au profit des entreprises, le reste se faisant avec d’autres acteurs financiers d’où la décision prise de réviser périodiquement la frontière entre activités de marché utiles et activités spéculatives, ce qui est bien sûr impossible à mettre en œuvre.
Au total, si on peut saluer le réalisme des réformateurs français qui ont renoncé en pratique au grand soir financier et qui se sont facilement rangés aux arguments de l’industrie bancaire, on reste interdit devant la timidité d’une réforme structurelle très en-deçà des prescriptions des rapports Vickers et Likkanen et même de la Volcker Rule telle qu’elle est inscrite dans le Dodd Franck Act.
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