Comment (bien) découper les banques ? edit
Si toutes les autorités, du G20 aux superviseurs nationaux, sont à peu près d’accord sur la nécessité d’obliger les banques à mieux circonscrire leurs activités pour compte propre, en opposition à leurs opérations pour compte de la clientèle, il apparaît que le passage à l’acte est problématique. Il n’est pas facile de découper les banques ! Les politiques voudraient bien compenser par des gestes symboliques forts les errements spéculatifs qu’eux-mêmes, ou d’autres avant eux, ont longtemps laissés prospérer. Quant aux économistes, ils en veulent aux politiques de ne pas mettre en place le monde rationnel idéal qu’ils ont abondamment mis en équation. Et chacun de se retourner pour les exercices pratiques vers les « experts bancaires », en dépit de la forte odeur de lobbyisme qu’ils traînent avec eux. Entre la brutalité maladroite et le raffinement cosmétique, une solution équilibrée paraît pourtant à portée de main.
Certains experts ont prôné de définir a priori et d’isoler les opérations qui méritent de bénéficier de la garantie des pouvoirs publics (en gros, la banque commerciale), laissant libres les banques de mener leurs autres activités à leurs seuls risques et périls au dehors de ce périmètre protégé : c’est l’approche anglaise. D’autres ont entrepris de définir a priori les activités qui ne méritent pas la garantie des pouvoirs publics, et invitent les banques à les filialiser, en particulier la constitution de portefeuilles spéculatifs et l’investissement dans les hedge funds : c’est l’approche américaine. Le gouvernement français, avec son actuel projet de loi, est plutôt parti dans cette direction, de même que la Commission européenne avec le rapport Likkanen.
Ce type d’exercice bute sur une difficulté essentielle : une même opération de marché (un achat de devises par exemple) peut tout aussi bien relever des activités spéculatives pour compte propre que de la réponse à la demande d’un client, qui voulait vendre lesdites devises, à laquelle la banque a immédiatement fait face. Dans les deux cas, la banque aura pris une position directionnelle qui sera plus ou moins durable ou plus ou moins couverte, selon l’attitude plus ou moins spéculative de ses opérateurs. Sonder les intentions derrière une multitude d’opérations de marché imbriquées est éminemment technique et ne peut guère être fait que par un superviseur suffisamment intrusif et bénévole. Prétendre définir réglementairement a priori les types d’opérations qu’il est dangereux, indigne ou interdit de faire est un exercice périlleux : une liste trop longue casse l’initiative et les affaires ; une liste trop courte est forcément contournée par de l’arbitrage réglementaire, conduit par les banques et facturé à leurs clients.
Les banques ont beau jeu de plaider que l’interdiction de certaines opérations les empêchera de servir correctement les clients et les mettra en difficulté face à la concurrence des banques étrangères et du système financier non régulé (shadow banking). La tenue de marché (market making) est l’exemple le plus cité : pour publier de façon continue des prix à l’achat et à la vente (de devises par exemple), il faut que le market maker dispose d’un portefeuille absorbant les décalages entre les deux flux d’ordres de sens contraire. Ce type de portefeuilles de facilitation est nécessaire au travail bancaire. C’est une sorte de stock outil dont le montant est proportionné au volume de l’activité avec la clientèle. C’est une position de marché pour compte propre, directionnelle mais utile à la clientèle. On comprend bien alors que tout le problème est de ne pas laisser cette position dériver au-delà du point où la position directionnelle devient franchement spéculative.
Présentée ainsi, la question du partage des activités n’est plus idéologique, existentielle ou qualitative mais prosaïquement quantitative. Il ne s’agit plus de définir a priori et à jamais la nature des opérations autorisées ou interdites mais de fixer des montants raisonnables pour les portefeuilles de facilitation. Pour les techniciens du contrôle des risques, c’est un exercice de « calibrage des limites ».
La bonne démarche pourrait alors consister à demander aux banques de déclarer a priori les portefeuilles de facilitation dont elles ont besoin pour travailler et donc les limites au-delà desquelles elles s’engageraient à ne pas aller. En étant un peu ironique, on pourrait dire que les pouvoirs publics leur offriraient ainsi une magnifique possibilité d’auto justification, exercice dans lequel elles excellent. Plus sérieusement, les pouvoirs publics renverseraient ainsi la charge de la preuve : plutôt que de s’échiner à traquer le mal et à l’interdire, qu’ils demandent aux banques de déclarer les activités de marché qui supportent leurs activités clientèle, de calibrer les limites dont elles ont besoin pour travailler, et de s’engager à s’y tenir. Ainsi les banques ne perdent aucunement leur marge d’initiative.
Pour que cela fonctionne de façon crédible, les pouvoirs publics disposent des garde-fous usuels : déclaration au superviseur des portefeuilles de facilitation et de leurs limite; interdiction formelle ou filialisation obligatoire des activités qui n’auraient pas fait l’objet de déclaration préalable ; contrôle sur place du respect des engagements pris ; calcul des fonds propres réglementaires sur ces limites et non plus sur les expositions effectives; sanctions effectives pour les contrevenants pris en excès de limite… Toutes choses que les superviseurs savent faire, pour autant qu’ils soient clairement et fermement mandatés par les autorités politiques.
Il s’agit ni plus ni moins que d’imposer plus strictement aux banques des bonnes pratiques de gestion des risques, de réguler sans pour autant perdre en souplesse et en flexibilité. Le projet gouvernemental peut être une excellente occasion d’aller dans ce sens.
Vous avez apprécié cet article ?
Soutenez Telos en faisant un don
(et bénéficiez d'une réduction d'impôts de 66%)