La synthèse russe du président Hollande edit
Vladimir Poutine effectue un retour en grâce remarqué en France : après avoir courtisé l’extrême-droite et accueilli Nicolas Sarkozy à Moscou, il devient lors du discours du President Hollande à Versailles un partenaire incontournable dans la lutte contre Daech. Pour ce dernier, il s’agit moins d’une conversion inattendue que d’un triple exercice de synthèse.
Vladimir Poutine et François Hollande sont deux hommes que tout semble opposer : la virilité guerrière de l’un répond à la rondeur apaisante de l’autre, chacun voyant dans leur posture respective un moyen de répondre aux attentes populaires ; l’un s’est engagé tôt dans la carrière politique, tandis que l’autre a été bombardé au poste de Premier ministre sans expérience d’élu. Et si les deux ont été au service de l’Etat, l’un a effectué plusieurs années dans les services secrets, tandis que l’autre a exercé ses gammes dans l’un des temples de la haute administration française, la Cour des Comptes. Dès lors, comment comprendre le rapprochement entre les deux hommes ? Faut-il y voir un triomphe total de Vladimir Poutine, capable de passer du rôle de paria de la communauté internationale à celui de recours contre le terrorisme de masse en très peu de temps ?
Plus qu’un revirement de François Hollande sur la question de Poutine, et sur la place de la Russie, il faut y voir de sa part un triple exercice de synthèse, sur la politique française, les équilibres européens et la question syrienne.
La politique française est aujourd’hui traversée par une forte contradiction au sujet de la personne de Vladimir Poutine, son personnage cristallisant certains débats nationaux. Conspué par les hérauts des mouvements de Droits de l’Homme et les héritiers des luttes antitotalitaires des années 1970, il incarne à bien des égards l’étouffement de l’espoir démocratique de la Russie des années 1990-2000. A l’inverse, il porte la figure de l’homme fort, garant des valeurs conservatrices et clamant son patriotisme, que vénère l’extrême-droite française, mais aussi une partie de la droite souverainiste et nationale, ainsi que des mouvements de gauche anti-impérialistes qui voient en lui la volonté d’un contrepoids aux Etats-Unis. Jean-Pierre Chevènement, représentant spécial de la France pour la Russie, favorable à un rapprochement avec Moscou, incarne plutôt la seconde ligne, à rebours de la première dominante dans les médias français. Le débat sur le Mistral illustre la synthèse hollandaise : sous la pression des partenaires européens et américains, le BPC n’est pas livré à la Russie contrairement au contrat signé, mais la négociation est faite de manière à ce que Moscou n’engage pas de poursuite contre la France devant les tribunaux internationaux.
La volonté de rapprochement avec la Russie souligne également en creux la fragilité des équilibres européens, entre une priorité sans efficacité concrète offerte aux partenaires européens et une nécessaire entente avec Moscou. La recherche d’une solution franco-allemande à de nombreux problèmes reste une option souvent privilégiée par l’Elysée, au-delà même des seules questions économiques et financières, plus récemment à propos des migrants. Toutefois, malgré la mobilisation de l’article 42.7 du Traité de Lisbonne sur l’assistance mutuelle en cas d’agression, le constat de la faiblesse de l’aide européenne sur le terrain amène à un rapprochement naturel avec une puissance militaire qui a su montrer sa détermination. Dans ce champ de forces opposant les tenants d’une intégration européenne et les partisans d’un rapprochement avec la Russie, François Hollande avait su se placer en arbitre, avec l’Allemagne, des accords Minsk 1 et Minsk 2 concernant la pacification de la situation en Ukraine.
Le troisième temps de la synthèse concerne évidemment la question syrienne. La volonté de se débarrasser de Bachar al-Assad a été particulièrement forte au sein de la diplomatie française, pour laquelle il était le problème. A contrario, la ligne incarnée par Vladimir Poutine est celle de la défense des Etats souverains : c’était le sens de son intervention à la tribune des Nations Unies en septembre dernier. Cette dernière ligne semble présentement acceptée en faisant de Daech l’ennemi prioritaire, questionnant au passage les alliances de la France avec certains Etats du Golfe. La création d’un front international uni répond à cette analyse, confirmant la position de Vladimir Poutine.
On le voit, l’alliance entre la France et de la Russie, qui peut s’appuyer sur une tradition ancienne, n’est ici que le fruit de compromis fragiles et transitoires, et non une rencontre de convictions partagées : les rêves de « grande alliance » que nourrissent certains butent sur de nombreuses difficultés, tenant à la diversité des alliances et des réseaux au Moyen-Orient. Cette alliance repose en réalité sur des attentes différentes, les autorités russes cherchant une réintégration au sein de la communauté internationale tandis que la France cherche un partenaire efficace pour mener la guerre contre l’Etat islamique. Coopérer avec la Russie sans en épouser toutes les causes semble aujourd’hui inévitable, devenant la mère de toutes les synthèses de la question russe à la sauce hollandaise.
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