La BCE peut plus mais pas tout… edit
La BCE vient de baisser ses taux. Mais le mouvement est modeste et les marges de manœuvre quasi inexistantes. Maintenant que la récession est installée en Europe, la BCE doit aller plus loin, bien plus loin.
L’action de la BCE est intervenue après que ses propres prévisions ont confirmé que la reprise n’était pas pour demain. Comment espérer autre chose alors que l’application stricte du funeste Pacte de Stabilité exige de la plupart des gouvernements de la zone euro la poursuite autodestructrice de politiques budgétaires d’austérité ? Tous les espoirs portaient sur des exportations dynamiques, mais vers quels pays ? Pas vers les autres pays européens en récession. Pas vers la Chine qui ralentit. Pas vers les États-Unis qui ont du mal à éviter une rechute dans la récession. Le mystère de la reprise miraculeuse reste tout aussi épais qu’il l’a été depuis deux ans. Le réalisme arrive enfin, mais après tant de dégâts ! 26 millions d’Européens sont au chômage. Les entreprises sont presque toutes en souffrance et les faillites d’entreprises s’accélèrent. Partout la peur s’installe. La bonne nouvelle c’est que la peur n’habite plus seulement les citoyens, mais également les gouvernants.
L’objectif de la BCE est de réduire le coût du crédit pour les particuliers et les entreprises dans les pays en récession, mais ses marges de manœuvre sont extraordinairement étroites. La BCE contrôle trois taux d’intérêt. Son taux central, auquel les banques commerciales peuvent obtenir des prêts, vient de passer de 0,75% à 0,5%. Le taux supérieur, qui correspond à des emprunts d’urgence, a été réduit de 1,5% à 1%, mais cette procédure est rare. Le taux inférieur, auquel la BCE rémunère les dépôts des banques commerciales, reste à 0%, niveau inchangé depuis juillet 2012. Le taux le plus important en principe, celui auquel les banques commerciales se font des prêts, est normalement égal au taux central mais depuis juillet dernier il est tombé à environ 0,1%, autrement dit il ne peut plus vraiment baisser. Mais le plus inquiétant est ailleurs. Depuis deux ans, les banques ne se font plus de prêts d’un pays à l’autre. Les banques allemandes se sont des prêts entre elles, à 0,1%. Idem pour les banques françaises ou finlandaises, etc. Les banques des pays en crise, quand elles se font des prêts, pratiquent des taux d’intérêts beaucoup plus élevés, par exemple aux environs de 3% en Italie ou 12% en Grèce. De fait, il n’y a plus de monnaie unique en Europe. La BCE fait ce qu’elle peut pour atténuer cette fragmentation, mais elle ne peut pas l’éliminer en raison des doutes persistants sur la capacité des États à honorer leurs dettes. Prêter à une banque grecque qui prête à l’État grec en faillite est tout simplement devenu trop dangereux, d’où l’existence de primes de risque énormes. Dans ces conditions la baisse du taux central de 0,25% est presque uniquement symbolique.
Presque, seulement, pour deux raisons. La première est que ces primes de risque, qui asphyxient les systèmes bancaires des pays concernés, dépendent de la possibilité que la BCE vienne à la rescousse des gouvernements surendettés. Elle a avancé dans cette direction l’an dernier, mais partiellement et sous condition. Une BCE devenue plus active, y compris grâce à sa dernière décision, peut permettre une baisse des primes de risque. La deuxième raison est que la baisse annoncée la semaine dernière peut conduire à une baisse du taux de change de l’euro si les marchés financiers croient que la BCE va faire plus et mieux. Un euro plus faible aurait pour effet de rendre l’ensemble de la zone euro plus compétitive et ainsi de doper les exportations, l’Arlésienne des prévisions optimistes.
Mais avec des taux d’intérêt si proches de zéro, la BCE est-elle réduite à des gestes symboliques ? Pas nécessairement, car elle a d’autres moyens. Le yen japonais vient de perdre en quelques jours 20% de sa valeur. La raison de ce miracle ? L’arrivée à sa tête d’un nouveau gouverneur a conduit la Banque du Japon à s’engager à acheter chaque mois pendant deux ans des quantités considérables de dette publique. L’annonce de cette inondation de monnaie a fortement impressionné les marchés des changes. La Banque du Japon n’a fait qu’imiter la Réserve Fédérale des États-Unis et la Banque d’Angleterre. La placidité de le BCE fait que l’euro reste une monnaie forte, à un moment où un accès temporaire de faiblesse est la seule bonne chose que peuvent faire les banques centrales qui ont amené leurs taux d’intérêt à presque zéro. Une annonce similaire de la BCE, suivie d’action bien sûr, est aujourd’hui le meilleur espoir, le seul en fait, de sortir de la récession.
Pourquoi la BCE ne suit-elle pas le mouvement ? Parce qu’elle est bloquée par l’opinion publique allemande, chauffée à blanc par la Bundesbank. Les Allemands croient que le rachat massif de dettes publiques conduit tout droit à l’inflation galopante. Cette croyance est profondément ancrée outre-Rhin car ce fut le cas en Allemagne en 1922. De plus, ils craignent que la BCE accumule des montagnes de dettes publiques des pays du sud de l’Europe et que ces dettes soient ensuite répudiées. Les pertes de la BCE seraient alors substantielles et devinez quel est plus gros actionnaire de la BCE ? Les contribuables allemands n’ont pas tout à fait tort de penser que ça leur coûterait cher.
Le résultat est que la BCE n’est pas prête de conduire une politique monétaire suffisamment expansionniste pour sortir de leur trou les pays en récession. Le paradoxe est que plus la récession dure, plus une répudiation de dettes publiques devient inévitable et que les contribuables allemands sont déjà détenteurs de dettes des pays du sud à travers les différents plans d’aide mis en place depuis trois ans. C’est aussi pour cette raison qu’ils tiennent tant à l’austérité. Et tant que l’austérité reste à l’ordre du jour, même une BCE super-active ne peut pas seule arrêter la récession.
Le blocage est donc total. Pour les Allemands, les appels à « plus d’Europe » signifient soit une attaque de leur portefeuille, soit une mise sous tutelle allemande des pays en crise, y compris sans doute la France. Il faut donc chercher ailleurs : un partage équitable du coût de sortie de la crise. C’est une histoire de gros sous mais le sujet est tabou.
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