La chute de Volkswagen: quelles conséquences? edit
La révélation ce vendredi que Volkswagen a déployé massivement un logiciel pour tromper les tests de pollution a créé une onde de choc qui s’étend bien au-delà du seul constructeur automobile. Des amendes faramineuses encourues à la perte de confiance dans les normes anti-pollution, en passant par une nouvelle bataille Europe Etats-Unis, cet événement promet d’infléchir la trajectoire du secteur automobile dans la quête de la pollution zéro.
L'agence fédérale américaine de protection de l'environnement, l'EPA, a annoncé vendredi dernier avoir ouvert une procédure à l’encontre de Volkwagen (VW), accusé d’avoir équipé les véhicules diesel vendus aux Etats-Unis d’un logiciel limitant leurs émissions polluantes (oxyde d’azote NOx) lors des tests réalisés pour obtenir un certificat de conformité.
En réaction, l’action de Volkswagen a baissé de près de 20 % lundi, correspondant à une diminution de sa valorisation boursière de 15 milliards d’euros (de 77 à 62 milliards), soit approximativement le montant maximale de l’amende encourue par VW (16 milliards d’euros, en prenant comme base de calcul l’amende maximale de 37 500 dollars par véhicule, sur 482 000 véhicules). Mardi, l’action a encore perdu près de 20 % (soit une perte additionnelle de 12 milliards d’euros) : elle a donc perdu le tiers de sa valeur en deux jours, signe que les répercussions sont encore loin de s’être toutes faites sentir.
Plusieurs conséquences peuvent être tirées de cet événement.
Le premier lésé, c’est le citoyen qui respire de l’air plus pollué. VW a confirmé mardi que ce dispositif était implanté dans 11 millions de véhicules dans l’ensemble du monde. Le Guardian a estimé que les émissions de NOx liés à ces véhicules étaient comprises entre 240 000 et 950 000 tonnes. A titre illustratif, si on retient le coût social (impact sur la santé et sur les récoltes) de 4600 euros la tonne de NOx, fixé dans un rapport européen pour l’évaluation socioéconomique des projets, le coût social de la pollution générée pourrait atteindre 4,4 Md€ par an.
La coïncidence entre la baisse de la capitalisation boursière de VW lundi et le montant maximal théorique de l’amende encourue aux Etats-Unis ne signifie pas que les marchés financiers anticipent que l’amende sera bien égale au maximum. La perte de capitalisation boursière recoupe le montant anticipé de l’amende mais aussi l’atteinte à l’image de marque et les conséquences sur les autres marchés, notamment européens. Malgré le montant faramineux de l’amende, les marchés n’anticipent cependant pas, pour le moment, de risque pour la survie de VW. Avec un résultat net annuel avant impôt de près de 15 Md€ en 2014, VW a les moyens de rebondir. En revanche, les répercussions sur la direction de l’entreprise et sur le secteur automobile dans son ensemble devraient être considérables. Au-delà de VW, l’industrie automobile dans son ensemble est touchée : l’action Peugeot a perdu 9% et celle de Renault 7% ce mardi.
Le gouvernement des Etats-Unis va bénéficier d’un transfert de l’ordre de 15 Md€ de la part des actionnaires de VW, en bonne partie européens. Après l’amende de près de 8 Md€ payée par BNP Paribas au printemps, il s’agit d’une nouvelle contribution des entreprises européennes au renflouement du gouvernement des Etats-Unis. Si la dimension de guerre économique n’est peut-être pas totalement absente, il s’agit du prix à payer pour identifier une fraude majeure des dispositifs de régulation de la pollution automobile : réjouissons-nous que les Américains soient là !
Quand on met en place un dispositif de mesure visant un certain objectif, il ne faut pas s’étonner si l’entité soumise à contrôle optimise ses résultats au test, plutôt que l’objectif général sous-jacent. En revanche, il appartient aux pouvoirs publics de veiller à ce que les possibilités de tricher aux tests soient limitées.
Ce problème se rencontre par exemple dans le cas des mesures de consommation de carburant des voitures particulières, lors des tests d’homologation des véhicules neufs. Tout le monde sait qu’il y a des écarts entre consommation affichée et consommation réelle mais une étude en 2014 a montré que cela s’aggravait fâcheusement avec le temps. Cette étude est tombée à point nommé car les constructeurs étaient prêts à passer à une nouvelle norme mondiale WLTP pour la réalisation des tests, qui modifie la manière dont on définit les cycles de conduite. Il est encore trop tôt pour dire si le problème est réglé. Dans ce cas, les écarts observés entre mesure de test et comportement réel peuvent venir en partie d’une procédure mal appliquée ou dévoyée et en partie d’une procédure de test inadaptée. Difficile de faire la part des choses, mais cet exemple souligne l’importance d’avoir une indépendance suffisante dans la définition des tests et une capacité à les faire évoluer.
Dans le cas de la fraude mise en place par VW, l’ampleur des conséquences sur l’image et sur les finances de l’entreprise, laisse à penser qu’il ne s’agit pas d’un choix rationnel de l’entreprise VW. En revanche, ce choix est compréhensible pour des managers chargés de concilier des obligations très strictes en matière d’émission de polluant – possiblement dictées par la volonté des autorités américaines d’instaurer une barrière à l’entrée des constructeurs européens en visant spécifiquement les véhicules diesel, spécialité européenne – et des performances suffisamment élevées pour séduire les conducteurs (avoir de bonnes reprises, point faible traditionnel des véhicules diesel). Le coût de se faire prendre est élevé, mais la probabilité était faible, du fait de la sophistication des logiciels dont sont équipés les véhicules modernes. Comme dans l’affaire Kerviel et d’autres scandales, il appartiendra à la justice d’identifier le niveau de connaissance qu’avaient les dirigeants de VW et d’identifier les dysfonctionnements des chaînes de management qui ont conduit à prendre une telle décision.
L’optimisation logicielle mise en place pour VW pour les tests d’émission a-t-elle aussi lieu en Europe ? Sans doute pas tout à fait sous la même forme, puisque l’Europe n’a pas recours aux contrôles a posteriori utilisés aux Etats-Unis. D’autres formes de contrôle ont pu faire l’objet d’une optimisation comparable. Il est également possible que d’autres constructeurs aient mis en place des dispositifs comparables. Il est urgent de vérifier dans quelle mesure c’est le cas et de mettre en œuvre les sanctions prévues. C’est en cours.
Il s’agit d’un bon exemple du système américain de régulation, fondé sur des sanctions financières lourdes et un contrôle ex post et d’un coup porté au système européen de réglementation. L’Europe se veut le champion de la transition écologique, par la mise en œuvre de normes exigeantes (mais pas aussi exigeantes que les normes américaines, au cas d’espèce). Mais si ces normes peuvent être facilement contournées, le processus perd toute crédibilité. Les Allemands, qui ont fait des normes un outil de domination industrielle, se retrouvent piégés à leur propre jeu.
Au-delà de cet exemple, il convient d’en tirer des leçons sur l’indépendance et les moyens des autorités de contrôle. Le monde devient de plus en plus complexe. Les logiciels utilisés par les constructeurs automobiles pour faire fonctionner les véhicules ont atteint un niveau de complexité qui conduit les autorités à renoncer à en suivre les moindres fonctionnalités. Au nom du secret des affaires, la capacité à avoir accès aux fonctionnalités s’efface. Comment récupérer une capacité de contrôle ? D’une part, en veillant à équiper les autorités de contrôle des compétences nécessaires. Ces dernières peuvent différer selon le mode de contrôle, qui peut être effectué soit directement par les autorités publiques, soit par l’intermédiaire de certificateurs agréés. Dans tous les cas, l’autorité qui demande le contrôle doit être en mesure de vérifier que le test répond bien à l’objectif et que la mesure elle-même est bien mise en œuvre. Ce point s’applique à l’automobile, à la finance, à tant de secteurs régulés. Compte tenu des tensions sur les finances publiques, il peut exister une tentation de réduire la qualité du contrôle. Attirer de bons éléments coûte cher, surtout si on doit leur offrir une carrière et non une reconversion rapide dans l’industrie qu’ils ont contrôlée, avec le risque élevé de conflit d’intérêt.
Une autre solution peut consister à utiliser, quand c’est possible, la force de la multitude, chère à Colin et Verdier. En l’occurrence, il s’agirait de faciliter les tests des émissions de particules polluantes par différents acteurs (laboratoires, associations…). Dans le cas présent, c’est le travail d’une ONG, l’ICCT, qui a pointé les écarts entre les mesures de test et les mesures en situation, et conduit à l’enquête de l’EPA. En confrontant les mesures établies lors des tests standardisés, nécessaires pour établir un benchmark sérieux et les mesures en situation (qui pourraient d’ailleurs être déjà réalisées par l’organisme qui homologue le véhicule!), il devrait être possible de détecter les incohérences éventuelles, afin que les autorités engagent des examens approfondis. Il y a enfin la question de la sanction en cas de manquement, qui doit être suffisamment dissuasive. C’est le cas du système américain. Peut-être faut-il examiner dans quelle mesure les actions de groupe pourraient s’appliquer dans ce cas.
De cette épreuve de vérité, il ressortira certainement que les diminutions de pollution annoncées par les constructeurs ne sont finalement pas atteintes. La pente est raide, mais cela ne doit pas nous empêcher de continuer les investissements en R&D pour parvenir effectivement à des technologies propres, nécessaires à la qualité de l’air que nous respirons.
Merci à Daniel, Dominique, Pierre, Étienne et Vincent pour leurs suggestions et commentaires.
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