L’affaire Depardieu edit
L’affaire Depardieu, c'est l'histoire d'un artiste, icône nationale, qui se pose en victime d'un Etat taxophile et répressif et qui provoque une guerre civile froide entre vertueux artistes du service public et auteurs nantis de blockbusters.
L'affaire Depardieu, c'est l'histoire d'une gauche au pouvoir qui mime, sans grande conviction, l'éternel combat contre les possédants et les émigrés fiscaux et qui en attend quelques bénéfices secondaires dans un contexte politique et social déprimé.
L'affaire Depardieu, c'est la manifestation d'une fiscalité dysfonctionnelle et non soutenable à terme pour un Gouvernement qui a choisi de privilégier une stratégie de l’offre.
L’affaire Depardieu réveille enfin la question de l’identité nationale dans le cadre d’une économie ouverte et intégrée à l’Europe : faut-il faire dépendre la taxation de la nationalité et non de la territorialité ?
Le débat public mêle donc considérations économiques et morales, patriotiques et artistiques, financières et identitaires. Tenons-nous en à la dimension fiscale du problème.
La fiscalité mise en place en 2012 se traduit par un net alourdissement de la taxation des hauts revenus et des patrimoines, par un alignement de la fiscalité des revenus du capital sur celle du travail, et par un traitement équivalent des plus values mobilières et des revenus. Gérard Depardieu a raison, il est possible de payer plus de 85% de ses revenus en impôts.
La création de nouvelles tranches à l’impôt sur le revenu (deux tranches de 45 et de 75% ajoutés au barême de l’IRPP), le rétablissement de l’impôt sur la fortune dans sa forme antérieure à la réforme Sarkozy, la création d’une taxe exceptionnelle sur le patrimoine en 2012, la majoration de la taxation des dividendes et des produits financiers, et, l’alourdissement significatif de la taxation des plus values mobilières ont pour effet de porter les taxations cumulées à des niveaux qui peuvent être supérieurs à 100% des revenus courants de l’année 2012. L’alourdissement de l’impôt sur la fortune (ISF) voit ses effets amplifiés par la suppression du bouclier fiscal Sarkozy (50%) et la non application en 2012 du nouveau bouclier fiscal Hollande qui plafonne les effets cumulés de l’ISF et de l’IRPP à 75% des revenus. Un tel niveau de taxation, comme le suggère le syndicat unifié des impôts, doit conduire à des comportements d’optimisation fiscale (par usage des différentes niches fiscales) sauf à révéler l’incompétence du contribuable. Il peut créer chez certains une incitation à l’évitement d’une taxation perçue comme confiscatoire.
Pour autant, une telle taxation peut relever du régime d’exception, elle peut se justifier dans des circonstances rares et pour une durée limitée. Elle est d’autant plus légitime qu’un Gouvernement nouvellement élu tient ses engagements de campagne, que le contexte de crise est avéré et que les citoyens y consentent. Après tout on peut défendre l’idée qu’un Gouvernement qui a fait le choix européen d’un retour accéléré à l’équilibre des finances publiques, qui n’entend pas contracter à l’excès le pouvoir d’achat des ménages modestes en vienne à surtaxer les très hauts revenus en faisant le pari qu’un prélèvement sur l’épargne est moins coûteux en termes de croissance qu’une brutale attrition de la consommation. On peut même soutenir l’idée qu’une telle taxation est un investissement civique permettant de rendre plus acceptables les coupes programmées dans les dépenses publiques et les réformes à venir des régimes de protection sociale.
Mais l’affaire Depardieu est la deuxième manifestation, après l’affaire dite des « pigeons », des risques de la politique fiscale du Gouvernement.
Le problème n'est pas tant le taux majoré de 75% à l’IRPP, promis à disparition dans deux ans que la volonté de traiter également revenus du capital et revenus du travail, revenus ordinaires et revenus exceptionnels et de réprimer les comportements d’optimisation fiscale.
Comme l’a montré l’affaire des Pigeons traiter de la même manière revenus récurrents du travail et plus values exceptionnelles réalisées au moment de la cession de l’entreprise c’est prendre le risque de taxer à plus de 100% l’activité d’un investisseur qui fait une forte plus value sur un investissement (taxé à 60%) mais qui dans le même temps perd tout ce qu’il a investi dans deux autres entreprises. Qui voudrait entreprendre en France dans ces conditions ?
Le problème n’est pas tant, s’agissant de l’ISF, de rétablir un bouclier fiscal à 75 % que de rendre impossible son utilisation en pratique.
En effet, pour prévenir les arbitrages entre revenus distribués et revenus capitalisés, le fisc considère comme taxables non seulement les revenus tangibles mais aussi les revenus virtuels que sont les bénéfices capitalisés de l’assurance vie ou les bénéfices non distribués de l’entreprise dont le contribuable est actionnaire. Ainsi on s’apprête à taxer des revenus virtuels et donc à demander à un contribuable de céder du capital pour payer l’impôt.
De plus dans la détermination de ce qui est patrimoine personnel taxable à l’iSF et outil de travail non taxable , le fisc s’arroge le droit de requalifier des éléments de l’outil de travail comme biens personnels (immobilier, trésorerie etc…) créant ainsi une incertitude juridique majeure pour l’entrepreneur et l’investisseur.
Enfin la combinaison des effets du taux de 75% à l’IRPP et de la majoration de l’ISF pour les patrimoines non professionnels aboutit à un cercle vicieux où le paiement de l’iSF oblige à générer des revenus eux mêmes taxés à 75% ce qui aboutit à détruire du capital chaque fois que le rendement des placements est inférieur à 9%.
Chacune des mesures évoquées ici peut se justifier pour des raisons de rendement fiscal et de lutte contre la fraude fiscale mais l’accumulation de mesures intrusives du fisc dans la gestion des firmes et des patrimoines, crée un climat de suspicion générale contre les entrepreneurs et les détenteurs d’actifs.
L’accumulation de taxes nouvelles sur le capital au moment de sa formation, de sa détention, de sa transmission, et de sa distribution n’est pas soutenable à long terme dans une économie ouverte intégrée à l’Europe soumise à la concurrence fiscale de ses voisins proches et lointains.
Partout en Europe on ouvre les bras aux investisseurs, soit en différenciant fiscalité des revenus du capital et du travail, soit en exonérant les patrimoines, soit en détaxant les plus values. On peut considérer cela scandaleux au sein de l’union européenne, mais c’est une donnée. On peut souhaiter une harmonisation européenne, mais rien ne permet de croire qu’elle se ferait sur des bases françaises. C’est donc au Gouvernement Français de changer de trajectoire.
Le Gouvernement Hollande après avoir beaucoup hésité et surtaxé les entreprises dans le cadre du collectif budgétaire 2012 s’est rendu à l’évidence en instaurant le crédit d’impôt compétitivité et décidé d’un important programme de coupes dans les dépenses publiques. Après avoir découvert les problèmes de compétitivité coût, il finira par découvrir les problèmes de compétitivité fiscale et il devra prendre des mesures pour alléger la fiscalité qui pèse sur le cycle de production.
Enfin si la haine de la finance avouée par François Hollande justifie à ses yeux la taxation des spéculateurs et l’encouragement des entrepreneurs innovateurs, il faudra bien qu’il considère froidement le rôle des investisseurs et la nécessité de ne pas créer une désincitation massive à l’investissement sur le territoire national. On ne peut, à la fois, déplorer l’envol des pigeons, et la perte de contrôle de nos actifs industriels au profit des Mittal, des émirs quataris et demain des oligarques russes, et mettre en œuvre une fiscalité du capital désincitatrice.
L’impasse actuelle illustrée par l’Affaire Depardieu enflamme les passions et conduit certains députés socialistes et même l’actuel Ministre du Budget à évoquer une fiscalité du citoyen exilé fiscal ou à tout le moins une nouvelle version de l’exit tax inventée par Nicolas Sarkozy. Cette quête frénétique d’une matière fiscale à taxer butera sur les mêmes difficultés : comment distinguer un exilé fiscal d’un cadre en activité à l’étranger ?, comment faire accepter à nos partenaires une renégociation rapide des conventions fiscales ?, à quel niveau fixer la taxation forfaitaire ?. Là aussi c’est à l’épreuve des réalités de l’intégration européenne que ce Gouvernement finira par réaliser qu’on ne peut réclamer la fédéralisation de l’Europe et croire que nous resterons seuls maîtrs de notre politique fiscale. Une fois de plus à sa manière bravache, Gérard Depardieu, met le doigit sur les contradictions européennes de nos gouvernants.
C’est un trait du hollandisme en action que de vouloir concilier gestion macro-économique adaptée au contexte de crise, compromis social institutionnalisé, intégration européenne et idéologie socialiste. L’opportunisme tacticien a conduit à faire de Gérard Depardieu un bouc émissaire consentant, mais le réalisme gestionnaire ne permettra pas au Gouvernement de faire l’économie d’une réflexion sur sa politique fiscale.
Vous avez apprécié cet article ?
Soutenez Telos en faisant un don
(et bénéficiez d'une réduction d'impôts de 66%)