L’agriculture française bénéficiaire de l’ouverture des marchés edit
Une fois n’est pas coutume, lorsqu’elle n’est pas prévue dans le cadre du G20 ou de l’OMC, la libéralisation commerciale des échanges agricoles envisagée par le Partenariat Transatlantique de Commerce et d’Investissement (TTIP) suscite de fortes inquiétudes en France. Mais alors que les autorités françaises défendent ardemment le respect de l’exception culturelle, faudrait-il également exiger une « exception agricole » ? Probablement pas.
En effet, si l’agriculture, est encore tenue à l’écart de la crise économique européenne, c’est grâce à son ouverture sur l’extérieur. Qu’il s’agisse des céréales, des produits laitiers et plus récemment de la viande bovine, tous doivent leur redressement au marché mondial. Pour mémoire, la moitié de la production française de blé est destinée à l’exportation. Du côté de la viande bovine, la consommation française est en baisse constante et les exportations ont progressé en 2011 de 9% et principalement vers les pays tiers. Enfin, l’industrie laitière exporte près de 30 % du lait collecté.
Selon France Agrimer, en 2011, les exportations de produits agroalimentaires ont enregistré une hausse de 15% par rapport à 2010. En comptabilisant les importations, l’excédent commercial de ce secteur est le deuxième plus important derrière celui de l’aéronautique et atteint un record historique de 11,6 milliards d’euros pour l’année 2012. Avec une part de marché mondiale de 6,5% dans l’agroalimentaire, la France se situe au même niveau que le Brésil et devant l’Allemagne.
Il est ainsi curieux de vouloir agiter le concept de « préférence nationale » concernant l’agriculture française sans songer à ce qui se passerait si tous nos pays clients faisaient de même, au premier rang desquels les Etats-Unis. Contrairement à une idée trop souvent répandue, notre secteur agricole tire profit du commerce international et pourrait bénéficier d’opportunités dans le cadre du TTIP.
En effet, même si la balance commerciale française avec les Etats-Unis est globalement déficitaire de 5 Mds d’euros, les produits agricoles et alimentaires présentent en revanche une balance commerciale bénéficiaire de 1,5 miliards d’euros, soit 13 % de l’excédent agricole total de la France. Les Etats-Unis sont le 7e client de la France (le 1er hors UE) et représentaient 4,2 % de nos exportations agroalimentaires totales en 2011. Pourtant de très nombreux secteurs agricoles américains restent fermés aux exportations européennes et le potentiel de ce marché est important.
Les principaux obstacles à l’accès au marché américain pour les produits européens sont pour l’essentiel d’ordre non tarifaire. Un accord purement tarifaire serait donc désavantageux pour la France, puisque les droits de douane sur les produits agricoles sont plus élevés dans l’Union européenne qu’aux Etats-Unis, et risquerait de déstabiliser certaines filières sensibles européennes, sans gain sur le marché américain en contrepartie.
C’est la raison pour laquelle l’accent est mis, du côté français, sur les obstacles non tarifaires et sur le respect de quatre conditions cumulatives. D’abord, un point majeur de l’accord devrait être l’occasion d’offrir une reconnaissance et une protection effective de nos principales indications géographiques. Ensuite, la France souhaite exclure les « préférences collectives » ou « choix de société » du champ de la négociation. Ces préférences collectives recouvrent les sujets faisant l’objet d’incertitudes scientifiques et de réticences de la part des citoyens et des consommateurs européens, en particulier les OGM, les facteurs de croissance, la décontamination chimique des viandes ou encore le clonage animal. Les produits sensibles identifiés devront également bénéficier d’un traitement spécifique. De nombreuses filières européennes – particulièrement l’élevage et les biocarburants – ne sont pas aussi compétitives que les filières américaines, notamment en raison d’importantes différences de coûts de facteurs de production, de normes sociales, environnementales ou de bien-être animal. Enfin, la reconnaissance de l’équivalence entre nos réglementations sanitaire et phytosanitaire devrait permettre la levée des barrières non tarifaires complexes et diffuses que rencontrent nos exportateurs. En effet, les enjeux sanitaires et phytosanitaires (SPS) sont au cœur des problématiques d’accès au marché américain. La réglementation SPS américaine est très complexe et occasionne des barrières non tarifaires très diffuses. La complexité et la lenteur des procédures d’autorisation des importations des produits constituent également de véritables entraves au commerce, renforcées par la structure fédérale des États-Unis.
Si le TTIP peut présenter des avantages commerciaux pour le secteur agricole français, cet accord pourrait également offrir une opportunité politique pour la défense du modèle agricole français fondé sur la multifonctionnalité de l’agriculture.
L’argument en faveur d’un accord entre l’UE et les Etats-Unis est simple : une alliance commerciale transatlantique est le meilleur remède à la crise. A la justification économique s’ajoute parfois un objectif diplomatique assumé: ne pas se laisser assaillir par les puissances que sont devenus le Brésil, la Chine, l’Inde, ou la Russie.
Ensemble, les Etats-Unis et l’Union européenne représentent près de la moitié (47%) de la production de richesse mondiale et environ un tiers du commerce mondial. Si cette négociation permettra d’accroître le commerce et l’investissement à travers l’Atlantique, elle contribuera également à définir l’élaboration des règles et des standards commerciaux au niveau mondial. Ce dernier point est essentiel et devrait suffire à encourager les autorités françaises à saisir cette opportunité pour valoriser notre modèle agricole fondé sur la multifonctionnalité de l’agriculture.
Car ces négociations commerciales agricoles devraient être l’occasion d’identifier clairement les considérations non commerciales de l’agriculture, telles que les préoccupations sociales et environnementales, c’est-à-dire les enjeux liés au développement durable. Loin d’être le paravent d’une politique protectionniste, une meilleure prise en compte de la multifonctionnalité de l’agriculture constitue en fait le principal facteur d’évolution de la politique agricole vers le respect de l’environnement, de l’aménagement du territoire ou de l’objectif de sécurité alimentaire.
Cette approche permettrait de remettre en question la conception multilatérale tournée uniquement vers le libre échange : il s’agirait d’organiser et de rationaliser les protections dont ont besoin les Etats afin de compenser les externalités négatives de la libéralisation commerciale et de protéger, à l’inverse, les externalités positives de l’agriculture dans le domaine de la sécurité alimentaire et de l’environnement. Ce faisant, on stabiliserait le système commercial et réduirait les incitations à la protection sans l’empêcher.
Les produits agricoles et les produits des industries agroalimentaires sont un atout majeur du commerce extérieur français car ils sont partout reconnus pour leur qualité et la sécurité sanitaire qu’ils garantissent. Ils constituent donc une véritable chance pour gagner des parts de marché, rééquilibrer notre balance commerciale et créer des emplois. Avec le TIPP, la France a l’occasion de défendre légitimement son modèle agricole fondé sur la multifonctionnalité de l’agriculture. Cela suppose donc d’intégrer l’agriculture dans le champ des négociations du TTIP .
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