Le numérique européen sauvé par ses «verticaux»? edit
La troisième étape de la révolution numérique vient de commencer. Elle se caractérise, à grands traits, par la puissance combinée du big data, du cloud, du web social et de l’Internet des objets. Dans ce nouveau contexte, il n’est pas impossible d’anticiper une nouvelle donne qui profiterait à l’Europe, démunie de grandes puissances du Net mais forte de ses géants sectoriels en passe de se transformer également en entreprises Internet.
Après une phase initiale de diffusion de l’informatique qui transforma les grandes fonctions supports de la plupart des activités, la généralisation de l’Internet a révolutionné la relation clients en provoquant des chocs de désintermédiation et en proposant une nouvelle génération de services numériques. La troisième étape, dans laquelle nous venons d’entrer, se caractérise, à grands traits, par la puissance combinée du big data, du cloud, du web social et de l’Internet des objets. En facilitant la capture, le traitement, le stockage, l’échange et l’analyse des données, ces technologies permettent d’optimiser les fonctions existantes mais favorisent également le développement de nouveaux services et modèles économiques. Un cocktail détonant, auxquels s’ajoutent déjà de nouveaux ingrédients, comme l’intelligence artificielle, l’impression 3D ou la robotique, qui amplifient encore l’évolution des conditions d’exploitation des grandes fonctions des entreprises.
Toutes les fonctions clés de la chaîne de valeur des entreprises s’en trouvent impactées : les fonctions transversales de gestion, allant de la conception des produits et des services, de leur production jusqu’à la relation client. C’est la raison profonde de cette course à la transformation digitale qui touche aujourd’hui tous les grands groupes, soumis pour certains (transport, hôtellerie, équipements électrique, construction automobile…) à la pression de nouveaux concurrents issus de services internet de nouvelle génération. Il s’agit bien d’une évolution fondamentale. D’un côté, les infrastructures de production vont être bouleversées. Déjà un pays comme l’Allemagne se dote, à marche forcée, d’un plan national (Industrie 4.0) pour adapter ses acteurs aux enjeux de l’Internet industriel. De l’autre, c’est la nature même des produits qui est en train de changer avec le développement des objets connectés. Une nouvelle dimension vient décupler la valeur des objets en offrant de nouvelles fonctionnalités sans véritablement d’équivalents physiques. On parle de « servicisation » (le passage du produit au service rendu ou des « Effets utiles » comme les nomment Philippe Moati) pour signifier que de plus en plus de produits n’auront plus de valeur sans connectivité : c’est déjà le cas du téléphone, comme de plus en plus de montres et ce sera bientôt le tour de nos voitures, et des nombreux produits de nos maisons intelligentes.
Les GAFA vont-ils rencontrer des limites à leur expansion ?
Nous sommes sans doute face à un changement radical de paradigme, qui peut également se lire comme l’entrée dans un nouvel âge de l’Internet : celui de la maturité, qui pourrait contrarier le développement, jusqu’à ce jour sans limite, des aventures industrielles des géants du net. L’histoire de l’économie industrielle nous apprend en effet que des positions initiales dominantes, acquises à la faveur d’un changement radical, peuvent donner naissance à des géants, qui tant qu’ils sont seuls ou presque, ne trouvent pas de limite à leurs ambitions. Un Google peut se rêver en moteur de recherche du savoir du monde, en champion de la robotique ou en promoteur de la vie éternelle, comme un Amazon peut se rêver comme l’ultime grand magasin capable de nous livrer à domicile tous les produits et services possibles, jusqu’à nos produits frais.
Mais il y aura des limites à ces stratégies d’intégration. Des limites qui sont en train de se préciser à mesure que face aux GAFA, émergent des concurrents crédibles : ce sont de nouvelles puissances du Net avec les NATU (Netflix, AirBnB, Tesla, Uber) et les BAT chinois (Baidu, Ali baba, Tencent), mais aussi les leaders de chaque secteur dits « verticaux », qui accélèrent leur transformation digitale à marche forcée : constructeurs automobiles, géants de la santé, établissements financiers, groupes de transport, entreprise de loisirs ou de l’hôtellerie, sans oublier les champions de la grande distribution.
Une chance à saisir pour l’Europe ?
Dans ce nouveau contexte, il n’est pas impossible d’anticiper une nouvelle donne qui profiterait à l’Europe, démunie de grandes puissances du Net et plus largement du numérique) mais forte de ses géants sectoriels en passe de se transformer également en entreprises Internet maitrisant l’ubiquité de leur process, l’agilité du cloud et la puissance du big data. Une chance pour l’Europe qui doit favoriser l’émergence de ses champions historiques, dans tous les domaines où elle excelle (énergie, transport, finance, santé, distribution…) comme autant de nouveaux leaders du Net. Il faudra sans doute, créer les conditions favorables à la gestion des données européenne par les européens eux même, en dépassant les silos qui entraveront l’exploitation des données qui sont la matière première de ces nouveaux marchés et ces nouveaux business modèles.
L’enjeu est crucial. Car pendant que la Chine accélère, un Michael E. Porter peut conclure dans un article récent sur la nouvelle économie de l’internet des objets (Porter et Heppelmann, Harvard Business Review, nov. 2014), que cette nouvelle vague technologique devrait permettre « aux Etats-Unis de redynamiser ses capacités en tant que leader technologique au sein de l’économie mondiale ». Ainsi, face à une Amérique du Nord « horizontale », qui favorise les géants du Net, ces plateformes transversales à vocation universelle, il est peut être possible de construire un Internet européen, adossé à ces « verticaux », ouvert et interopérable, maître de son destin numérique, de l’avenir de ses champions, de ses données, et de ses applications essentielles pour la bonne marche de nos sociétés définitivement connectées.
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