L'école et les médias edit
L’éducation aux médias pourrait fournir à bien des égards sinon un remède miracle à la crise de l’école du moins un outil mobilisateur pour l’élaboration d’un nouveau contrat social entre l’école et la République. Il faut espérer que le gouvernement qui a fait de l’enfance et de l’éducation un de ses objectifs prioritaires saura s’en saisir. Il y a urgence.
L’école souffre de maux divers, elle est, comme toute instance incarnant l’autorité dans une société moderne, en crise et soumise à la critique. On a donc tendance à charger sa barque. D’un point de vue pédagogique, on reproche à l’école de laisser entrer en sixième 40% d’enfants avec des graves lacunes (Haut Conseil de l’éducation, Bilan 2007), de laisser partir 20% des élèves sans diplôme (ni CAP, ni BEP, ni Bac). Les enquêtes PISA montrent un accroissement des élèves faibles et très faibles (en particulier des garçons) et un effritement des têtes de classe. D’un point de vue social, on lui reproche non seulement de ne pas combler les inégalités sociales de départ, mais de les aggraver (53% des enfants d’ouvriers obtiennent le bac, vs 91% des enfants de cadres supérieurs). L’échec scolaire nourrit aussi le ressentiment et le trouble. Les enfants qui ne peuvent apprendre peuvent encore exister en perturbant les autres. Si l’école primaire est pointée du doigt, le collège est affaibli par la montée des violences ou incivilités. Les enseignants dans leur grande majorité constatent un « malaise » de l’école. Les difficultés des élèves à se concentrer et à accepter les consignes scolaires rejaillissent logiquement sur le moral des enseignants. D’un point de vue économique, les bugs de l’école se traduisent aussi en termes de chômage et de compétitivité, d’autant que les problèmes se poursuivent à l’université avec 40% d’inscrits qui ne terminent pas leurs diplômes (Rapport Attali, Commission pour la libération de la croissance française, 2008).
Face à ces maux, les portes que pourraient ouvrir l’éducation aux médias sont nombreuses. La consommation excessive des médias contribue en effet pour une part non négligeable -mais toujours pas prise en compte dans les recherches françaises- aux difficultés scolaires des enfants, voire des adolescents, particulièrement dans les milieux populaires qui y sont exposés plus tôt. La précocité de la fréquentation de la télévision (avant 3 ans) est associée à des retards dans les apprentissages langagiers des enfants. Le poids de l’équipement personnel favorise l’ampleur de la consommation, qui elle-même accroît les difficultés d’endormissement, entraînant des manques de sommeil et affaiblissant les capacités d’apprentissage scolaire.
Dans le même temps, les médias sont perçus par les jeunes et leurs parents comme une source d’information et de découverte indispensable, ce qui explique la précocité des équipements, particulièrement dans les milieux populaires. La recherche scolaire est citée par les adolescents et les préadolescents comme un de leurs premiers usages de l’Internet (dans tous les milieux). Des contenus médiatiques éducatifs peuvent en effet (après 3 ans) enrichir leur vocabulaire, accroître la curiosité, agrandir l’horizon des connaissances. L’internet maîtrisé constitue une bibliothèque mondiale plus accessible que jamais.
Mais les dispositifs médiatiques conçus pour fluidifier les consommations et capter l’attention du spectateur (télécommande permettant le zapping, raccourcissement des sujets dans les journaux, multiplication des intrigues secondaires dans les séries, clinchers éblouissants dans les dessins animés, multiplication des messages et des sollicitations sur les sites internet, sans parler de la pratique simultanée de différents médias affectionnée par les jeunes…) construisent un rapport au savoir fondé sur l’immédiateté et la simplification au risque du stéréotype, l’émotion au risque du sensationnel, le balayage d’une information par une autre, la faible appétence pour l’effort intellectuel. Ces dispositifs s’inscrivent en opposition avec les cadres de l’école en termes de durée des exercices, de patience, de concentration, de modestie des postures.
De plus la fréquentation régulière de certains contenus vient accroître la propension à l’agressivité relationnelle. Les experts internationaux évaluent à 10% la proportion de comportements violents favorisés par la fréquentation de certaines représentations de violence physique, sans compter les désorganisations psychiques que peut occasionner pour les plus fragiles la découverte de contenus trash (très violents ou pornographiques) notamment via internet. Les repères de socialisation des élèves sont aussi pour partie brouillés par la prégnance sur les médias commerciaux de certaines valeurs : la valorisation de l’argent comme symbole de la réussite, l’autorisation de l’humiliation des participants dans les jeux de téléréalité, l’encouragement à la délation des coéquipiers, l’omniprésence publicitaire qui promeut la consommation immédiate et la jouissance « sans limite ».
Les médias et l’école restent aujourd’hui deux univers qui coexistent, séparément. Certes des dispositifs organisent des passerelles comme la Semaine de la presse et des médias à l’école, ou les programmes du CNC autour de la découverte du cinéma. Des ressources numériques pédagogiques sont mises à disposition, notamment à travers le site Curiosphère. Les écoles sont équipées de tableaux blancs interactifs, de sites internet et d’ordinateurs. Mais ces liens restent très étroits, ou très techniques, et sont loin de répondre au choc culturel que vivent les enfants et les adolescents éduqués –si différemment- par ces deux instances de socialisation que sont l’école et les médias.
Construire un cursus d’éducation aux médias de la maternelle à la terminale permettrait à l’école de se régénérer, d’élargir la palette de ses pratiques pédagogiques, de retrouver du sens, et d’aider les élèves à articuler leur « double culture ». La démarche a toutes les chances de rencontrer leur intérêt. Les médias sont un objet d’affection privilégié pour les jeunes et pour nous tous. Ils nous sont chers parce qu’ils sont au cœur du fonctionnement de la démocratie et de notre information sur le monde. Pour les enfants et les ados, ils représentent un fort investissement, parce qu’ils constituent pour eux des espaces d’expérimentation, de création, de découverte, d’existence sociale sans égal. Mais ils sont aussi au cœur du fonctionnement du marché, dont les contraintes pèsent sur les contenus dans un sens qui n’est pas toujours celui de la formation de l’esprit critique et du raisonnement mais plus souvent celui de la pulsion ou de l’adhésion.
Ce cursus devrait être conçu de façon très large. Les médias recouvrent l’ensemble des fonctions de la société ou presque, le décodage de leur fonctionnement, l’analyse de leurs messages, l’apprentissage d’usages citoyens doivent donc nourrir des approches diversifiées, plurielles, certainement transdisciplinaires, et sans doute créatives. Elles pourraient permettre selon les âges de transmettre les règles du droit aux jeunes éditeurs que sont devenus les ados blogueurs (droit à l’image, respect de la vie privée, interdiction de la diffamation et de l’injure), d’expliciter les relations entre démocratie et médias (pluralisme, liberté d’expression, non discrimination, égalité en droit des femmes et des hommes), mais aussi de former les élèves à l’analyse critique des messages publicitaires, des émissions de téléréalité, mais aussi des séries, des journaux télévisés, du fonctionnement des réseaux sociaux et à l’économie des médias. La démarche pédagogique peut être esthétique, psychologique, juridique ou éthique, économique. La tâche est immense. Elle est aussi enthousiasmante pour les enseignants qui oseront s’y lancer que pour leurs élèves. Encore faut-il sortir d’une vision technicienne qui évitera soigneusement l’articulation du fossé culturel entre médias et culture critique, et qui ne ferait que renforcer leurs consommations. Il faut une vision ambitieuse et ouverte.
C’est certainement à la maîtrise des messages et des usages médiatiques que les nouveaux Hussards de la République devraient s’employer. Construire un citoyen responsable aujourd’hui en tournant le dos à ce qui constitue le premier accès des jeunes à l’information et à la culture n’a pas de sens aujourd’hui. La transmission des valeurs démocratiques, celle des droits de l’homme et du citoyen, mais aussi celle des droits de l’enfant qui constituent le noyau de notre « morale laïque » commune, est à ce prix.
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