Les élections britanniques: une chance pour l’Europe? edit
Depuis des décennies, la position de la Grande-Bretagne est claire. Elle est favorable à un espace économique et financier sans barrières douanières, réglementaires et autres mesures protectionnistes, et c’est tout. Elle tient à sa souveraineté dans tous les autres domaines et elle ne veut pas que l’élimination du protectionnisme serve de tête de pont à une intégration politique ou sociale. Sur le continent, la vision est différente. La « méthode Jean Monnet » est basée sur l’idée que chaque étape d’intégration appelle une étape suivante. À terme, à très long terme, cette méthode conduira à la création des États-Unis d’Europe. Dans cette vision, il n’est ni nécessaire, ni souhaitable de chercher à définir à l’avance le contenu de cet objectif ultime car il peut prendre diverses formes impossibles à anticiper. De plus, il est controversé. Seul le passage du temps, et l’habitude de travailler ensemble de manière toujours plus intime, permettront de développer un consensus.
Ces deux visions antagonistes sont bien connues et ont été débattues ad nauseam. Chacune s’appuie sur une forte logique et traduit des préférences parfaitement acceptables. S’il est vécu comme un besoin de trancher le débat, le référendum britannique est un défi impossible. Ce qui est intéressant, c’est que la balle est dans chaque camp. Aux Britanniques revient la responsabilité de décider s’ils veulent rester. Aux autres pays revient la responsabilité de choisir entre la poursuite de l’intégration à la Jean Monnet et la perte d’un membre important.
C’est donc un bon moment de repenser la stratégie suivie depuis plus d’un demi-siècle. D’une certaine manière, ça a été un immense succès. L’Union Européenne comprend aujourd’hui presque tout le continent, elle est très profonde et elle fonctionne. D’un autre, l’idée de créer des faits accomplis – la création de l’euro est un exemple – ne fonctionne plus. Pire, les citoyens n’acceptent plus la vieille théorie de la bicyclette, selon laquelle on tombe si l’on n’avance pas. Surtout, à tort ou à raison, la bureaucratie bruxelloise est devenue un repoussoir. Les réglementations excessives et ridicules, réelles ou supposées, comme la taille des concombres ou le fonctionnement des chasses d’eau, ont un pouvoir d’aliénation qui semble échapper à la Commission. La Commission peut répéter que nombres de ces règles sont approuvées par les gouvernements, cela passe d’autant moins que les gouvernements n’hésitent pas à se défausser sur elle et à en faire le bouc émissaire de leurs propres décisions. Le pari gagnant-gagnant consiste à saisir l’occasion et faire des concessions aux Britanniques en procédant au nettoyage qui s’impose de toutes façons. Quelques exemples, parmi bien d’autres.
Allemands et Français partagent un solide scepticisme vis à vis du monde de la finance. On se souvient que le candidat Hollande l’avait identifié comme son ennemi numéro un. Angela Merkel, pour sa part, veut imposer une sorte de taxe de Tobin. On peut déplorer – ou simplement jalouser – les salaires souvent extravagants des financiers, il reste que la finance est un rouage essentiel d’une économie moderne. Ceux qui en doutent encore devraient regarder ce qui se passe ailleurs, en Chine par exemple. Pour les Britanniques, c’est une ligne rouge. Certes, la finance est source d’instabilité, nul ne l’ignore. La solution est une réglementation intelligente. Allemands et Français pensent en terme d’interdictions, Anglais et Américains préfèrent agir sur les incitations, en rendant couteux les comportements dangereux. Ils ont raison, les raidissements idéologiques sont surannés. À bien des égards, la Grande-Bretagne a modifié plus en profondeur sa réglementation que les pays du continent. Tout le monde bénéficiera si l’Europe adopte l’approche prônée par Londres.
Les Britanniques sont particulièrement irrités par la tendance de la Commission à vouloir toujours accroître son pouvoir, au besoin en avançant des règles excessives. Ils ne sont pas les seuls. En fait, le Président de la Commission, Jean-Claude Juncker, s’est engagé à remettre à plat l’arsenal empilé depuis des lustres. Il a même évoqué une possible décentralisation, à rendre aux pays membres des prérogatives précédemment transférées à la Commission. Ces transferts se sont succédés au fil du temps, et rien ne garantit qu’ils sont tous judicieux. Un exemple important concerne les politiques sociales. L’Europe est très divisée sur la question entre les pays, tels l’Allemagne et la France, qui veulent une harmonisation avancée, et ceux, tels la Grande Bretagne et la plupart des pays de l’Europe du Nord et de l’Est, qui ne veulent pas se voir se voir imposer les rigidités des marchés du travail. La France se plaint de dumping social et pense éviter ainsi les réformes qui s’imposent. L’Allemagne, comme toujours, veut exporter son modèle, qu’elle considère idéal. Or les politiques sociales sont le résultat d’une longue histoire et constituent des équilibres politiquement délicats. Remettre en cause ces équilibres est périlleux, comme on le voit en Grèce, où l’on essaie d’imposer des réformes profondes. Il serait raisonnable de considérer que les politiques sociales sont une affaire nationale. Rassurer la Grande Bretagne sur ce point est non seulement essentiel pour éviter un Brexit, mais parfaitement justifié du point de vue économique. Après tout, les conséquences, positives et négatives, des politiques sociales sont principalement ressenties au niveau national. Certes, la concurrence au sein du Marché Unique pénalise les pays dont les politiques sociales sont source d’inefficacité économique, mais il est illogique de demander aux pays qui ont atteint un meilleur équilibre de réduire leur productivité pour aider ceux qui ne souhaitent pas se réformer. A chaque pays de faire son choix et d’en assumer les conséquences. Les incitations vont dans le bon sens.
On peut multiplier les exemples, on en revient toujours à la même conclusion. Ce serait merveilleux d’avoir les États-Unis d’Europe, mais nous en sommes loin, hélas. Un jour, peut-être, nous y arriverons. La condition est que ce soit un choix librement accepté par tous les pays et souhaité par une large majorité de citoyens. En attendant, essayer d’imposer une évolution dans cette direction contre le souhaitent certains pays est le plus sûr moyen de ne pas y arriver. C’est là le sens de l’hostilité Britannique à toujours plus d’Europe. Et la Grande-Bretagne n’est pas seule. Qu’elle quitte l’Union, et bientôt d’autres pays seront tentés de suivre son exemple. Un peu moins d’intégration est le prix à payer pour éviter une désintégration.
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