Les enjeux sociaux du très haut débit edit
Depuis dix ans, les appétences des populations en faveur des technologies de l’information et de la communication (TIC) se sont accrues. Sur cette période, le nombre d’internautes en France a été multiplié par quatre. Le secteur des TIC représente huit millions d’emplois et 6 % du PIB de l’UE. Mais ni la France ni l’Europe ne paraissent disposer d’une stratégie cohérente et efficace pour déployer les infrastructures nécessaires aux usages qui se généralisent.
En effet, les chiffres du très haut débit (THD) montrent que la France est en retrait par rapport à la Corée du Sud, le Japon, les États-Unis ou encore la Suède. Le « Digital ScoreBoard 2012 » de la Commission européenne pointe les grandes disparités en termes d’usages et le manque de compétences de la moitié de la population européenne en matière de TIC.
Comme souvent en Europe, chaque pays avance avec ses priorités et ses rythmes rendant les territoires inégalement attractifs, entraînant des concurrences entre régions et influençant les choix d’implantation des entreprises et donc à terme des populations. Pourtant, les enjeux du numérique sont l’attractivité des territoires, leur capacité à créer des emplois, leur rayonnement ainsi que la créativité et les nouvelles pratiques industrielles, économiques et sociales. Ils sont donc au cœur d’une « politique de cohésion territoriale » en Europe.
Trop souvent les élus, confrontés aux fluctuations de stratégies ou technologiques, aux logiques concurrentielles des acteurs privés, aux intérêts de court terme, doivent gérer des enjeux publics et des attentes privées.
Les annonces récentes d’un retour aux expérimentations d’infrastructures basées sur les réseaux cuivre sont un exemple flagrant de ces variations. Alors qu’en 2006, France Télécom annonçait « déployer directement la fibre, sans passer par (…) le VDSL2 » (évolution de l’ADSL), cette orientation est remise en cause par la même entreprise, avec l’aval de l’ARCEP qui n’avait jusqu’alors pas autorisé cette technologie.
Ainsi, alors que la Commission européenne a défini une stratégie numérique ayant pour objectif de « faire en sorte que, d'ici à 2020, (i) tous les Européens aient accès à des vitesses de connexion de plus de 30 Mbps, et (ii) que 50 % au moins des ménages s'abonnent à des connexions internet de plus de 100 Mbps », les approches divergent en fonction des Etats et des opérateurs. Par exemple, le Luxembourg envisage pour 2020, des réseaux avec un débit dix fois plus rapide que les réseaux français ; la chancelière Merkel a annoncé son objectif d’avoir un taux de couverture en « ultra-haut débit » de 50 Mbit/s pour 75% des ménages d’ici 2014. D’ailleurs, l’Europe elle-même semble hésiter sur sa stratégie puisque, ce 12 juillet, la commissaire au Numérique a annoncé qu’elle renonçait à baisser les redevances sur les réseaux de cuivre, risquant de réduire la motivation des opérateurs à investir dans la fibre.
Au-delà des objectifs ambitieux, seuls des choix précis, une stratégie pour les atteindre et la mise à disposition de moyens permettront de répondre aux attentes. Ils ne peuvent avoir lieu qu’au niveau européen et doivent intégrer une vision qui dépasse les aspects techniques.
La concertation et l’action permettront de gommer les disparités en se basant sur des enjeux de société. Ainsi, les établissements scolaires français sont très rarement connectés au THD alors que l’Education nationale promeut des outils numériques performants ; les mairies sont souvent connectées à des accès trop faibles pour généraliser les services en ligne ; les établissements de santé disposent d’outils numériques inégaux, etc.. alors que ces domaines devraient faire l’objet d’un maillage évident et d’une uniformisation relevant de l’initiative publique. Dans ces domaines, le Luxembourg, par exemple, a défini un plan d’actions uniforme où toutes les administrations publiques y compris établissements d’enseignement et centres de recherche seraient dotées de connexions à « ultra-haut débit » pour fin 2013.
En mars 2012, un rapport commandé par le Centre d’analyse stratégique à l’IDATE, Observatoire de l’économie numérique, estimait qu’il « n’y a pas d’arguments permettant de conclure que le choix d’une société nationale de déploiement d’un réseau de fibre unique (…) aurait été plus favorable ». Le fait que le THD en soit réduit à 700 000 abonnements, dix-huit ans après le rapport Théry qui militait déjà pour des « autoroutes de l'information, principalement constituées de fibre », en est pourtant un de taille… Dans le déploiement des infrastructures THD, la multiplicité des acteurs n’a pas facilité les choses. L’Europe permet, d’ailleurs, le cas échéant, que le THD soit considéré comme un service public : « Les États membres peuvent estimer que la fourniture d'un réseau haut débit devrait être considérée comme un service d'intérêt économique général ».
Il paraît donc urgent de définir un plan d’action « public » avec l’acceptation que les décisions ne peuvent pas se prendre au niveau d’une région, ni même d’un Etat. Une directive-cadre plus précise sur le numérique pourrait alors trouver son sens. Sans doute faudrait-il aussi mieux « marquer » les fonds europeens pour le developpement du numérique.
A chaque époque ses défis. La Politique agricole commune a permis en son temps à une Europe volontariste de remodeler et de moderniser sa filière agro-alimentaire. Aujourdh’ui, une Politique numérique commune doit s’imposer aux opérateurs. Un pilotage public réel est nécessaire tant pour les décisions techniques que pour la vision des usages à développer.
Toutefois, il n’est pas raisonnable d’attendre de l’Europe des financements sans un minimum de fédéralisme permettant d’attribuer une part du PIB de l’UE au financement de ces enjeux et de définir, si nécessaire, un mécanisme de péréquation pour les projets numériques.
Si seule une Politique numérique commune est en mesure de faire entrer l’Europe dans la société de l’Intelligence, elle ne peut se faire que par un renforcement des choix stratégiques, techniques et budgétaires entre les Etats.
Vous avez apprécié cet article ?
Soutenez Telos en faisant un don
(et bénéficiez d'une réduction d'impôts de 66%)