Les jeunes et le vote FN: de la voix de la protestation à la voie de l’alternance edit
Les jeunes électeurs, bien que dans leur grande majorité intéressés par l’élection présidentielle, abordent le scrutin avec encore beaucoup d’incertitudes quant à leur participation et toujours avec une forte indécision quant à leur vote. Nombreux sont ceux qui attendront le jour même du vote pour faire leur choix. Mais une chose est sûre : la tentation des extrêmes, en réponse à un mécontentement et à une défiance envers la politique institutionnelle et les partis de gouvernement, est à son plus haut niveau et gagne des segments entiers et diversifiés de la jeunesse. Et cette tentation des extrêmes mobilise les plus décidés.
Cela fait maintenant un certain temps que le vote des jeunes pour le Front National est au même niveau que dans l’ensemble de l’électorat. Déjà en 2002, 18% des 18-24 ans avaient donné leur voix à Jean Marie Le Pen au premier tour[1]. C’est une réalité difficilement admise et souvent oubliée par les commentateurs. Le fait est que plus on est jeune, plus les chances d’accorder des suffrages au parti frontiste sont grandes tandis que plus on est âgé plus ces chances sont réduites. Ce socle d’adhésion juvénile se vérifie d’ailleurs dans nombre de pays européens où les partis nationaux-populistes ont le vent en poupe.
Marine Le Pen, dans son entreprise de dédiabolisation et de conquête du pouvoir, a gagné des gages de crédibilité dans l’ensemble de l’opinion mais aussi au sein des jeunes générations. 42% des 18-24 ans pensent que le Front National est un parti qui a la capacité de participer à un gouvernement (38% de l’ensemble des Français), 78% jugent que Marine Le Pen est capable de prendre des décisions (69% de l’ensemble des Français), enfin 41% considèrent qu’elle a de nouvelles idées pour résoudre les problèmes de la France (37% de l’ensemble)[2].
Le Front national a réussi à s’imposer comme la première force politique parmi les jeunes électeurs lors de tous les scrutins européens et locaux qui se sont tenus au cours des quatre dernières années. Certes les jeunes y étaient massivement abstentionnistes, mais cela ne peut occulter la capacité de ce parti à susciter leur attention dès lors qu’ils choisissaient de s’exprimer. Et l’on ne peut éviter de considérer la spécificité de cet attrait électoral, dans le cadre singulier et hautement symbolique du premier vote et des premiers choix politiques.
Pourquoi a-t-on du mal à admettre l’ancrage électoral du vote frontiste dans la jeunesse ? Tout d’abord parce que le tropisme d’une jeunesse naturellement portée vers la gauche et les forces progressistes reste dans les esprits alors même que, depuis le tournant des années 90, la spécificité d’un vote jeune s’est quelque peu édulcorée, les jeunes suivant désormais les soubresauts et les réalignements partisans que l’on observe dans l’ensemble du corps électoral. Mais aussi parce que le vote frontiste concerne des segments d’une jeunesse peu visible et dont on parle moins : celle qui est sortie du système scolaire de façon précoce et non la jeunesse étudiante, celle qui habite les campagnes et les territoires périurbains et non la jeunesse des villes et des grandes métropoles. Enfin, parce que l’on a tendance à ne pas considérer les mutations opérées au sein du Front national qui le rendent plus offensif et plus persuasif sur ses capacités à rendre crédibles un changement radical de société.
À la veille du premier tour de l’élection présidentielle de 2017, même si des mouvements d’opinion très récents, dans la dernière ligne droite de cette campagne, marquent un certain tassement du socle électoral de Marine Le Pen et une dynamique particulièrement visible de la candidature de Jean-Luc Mélenchon, le vote Front national reste attractif. Interrogés sur leurs intentions de vote au premier tour, les primo-votants créditent Marine Le Pen de 28% de leurs voix : un peu plus encore que dans l’ensemble de l’électorat (27%), et nettement plus que parmi les 65 ans et plus (17%)[3]. Comment expliquer cet attrait ?
Marine Le Pen a su se présenter comme un exutoire à de multiples malaises et demandes de reconnaissance exprimés par des segments entiers et de plus en plus diversifiés de la jeunesse. Des attentes plus spécifiques de la part de la population masculine en direction de ce parti sont bien repérées (32% des primo-votants hommes s’apprêteraient à donner leurs voix à la candidate frontiste contre 25% des jeunes femmes). Certaines fractures sociales au sein de la jeunesse rendent visibles les fractures politiques induites par la tentation frontiste (35% des jeunes issus du milieu ouvrier accorderaient leurs suffrages à Marine Le Pen contre 15% des jeunes issus des catégories cadres et professions intellectuelles supérieures). L’impact du chômage des jeunes est majeur : 53% des primo-votants chômeurs ou à la recherche d’un premier emploi sont disposés à voter pour la candidate frontiste. Cependant, l’attrait électoral de Marine Le Pen touche aussi des segments de la jeunesse moins directement touchés par la crise sociale et économique et les difficultés d’insertion socio-professionnelle : 24% des « étudiants » sont aussi tentés par ce débouché politique. C’est bien le signe d’une progression et d’une relative banalisation du vote frontiste, mais aussi et surtout de la capacité de la candidate à capter un électorat jeune désireux d’une alternative tranchant avec les perspectives politiques offertes par les grands partis de gouvernement.
Les jeunes, à l’instar de leurs aînés, trouvent dans la situation politique, économique et sociale actuelle les ferments d’une grogne et d’un mécontentement que le Front national instrumentalise et dont il se fait le porte-voix. Les ressorts de la dynamique frontiste sont bien identifiés : crise de la représentation politique et du système partisan, rejet des élites et protestation antisystème ; désenchantement et déception politiques ; repli protectionniste et peur de la mondialisation ; rejet de l’immigration et retour du nationalisme. L’alternative politique offerte par le Front national se nourrit d’une crise dénoncée à tous les niveaux, institutionnel, social, économique et culturel.
La défiance politique qui s’est généralisée n’est pas sans conséquences durables pour des jeunes qui font leurs premiers choix électoraux dans une période de vif désenchantement à l’égard du personnel comme des institutions politiques. La dénonciation des élites, renforcée encore par la culture de la dérision au travers de laquelle nombre d’entre eux décryptent la vie politique et les informations qu’ils reçoivent, fait particulièrement recette et peut les conduire à cultiver une certaine personnalisation du pouvoir politique. 51% des 18-24 ans reconnaissent que c’est la personnalité du candidat (leadership, charisme, honnêteté…) qui comptera le plus dans leur choix (34% parmi l’ensemble des Français)[4]. Dans ce contexte, Marine Le Pen peut incarner une figure nouvelle, en rupture par rapport à une classe politique usée et dont ils n’attendent plus rien. Elle est une femme, et ce n’est pas négligeable dans la perception positive que peuvent en avoir certains jeunes, associée à des qualités telles que le courage, la volonté et l’autorité. Elle est aussi relativement jeune (48 ans) ainsi que nombre de responsables du Front National à ses côtés (Marion Maréchal Le Pen, 27 ans, Florian Philippot, 35 ans…). Elle a par ailleurs su rajeunir assez efficacement les cadres, et donc l’image, de son parti en présentant aux dernières élections régionales, départementales et municipales nombre de jeunes candidats. Cette image de renouvellement et de rajeunissement de l’offre politique se double d’une pédagogie efficace et d’une simplification des enjeux.
Face à une offre politique décrédibilisée, le plus souvent perçue comme peu lisible et brouillée, le Front national met en avant des enjeux qui rabattent nombre de problèmes complexes sur une vision manichéenne et simplifiée des conflits qui traversent la société. S’y ajoute une rhétorique révolutionnaire que la leader frontiste – la révolution bleu Marine – n’hésite pas à mobiliser, pouvant conforter l’espérance radicale de transformation de la société qui est souvent l’apanage de la jeunesse. Enfin, dans un contexte peu favorable à de bonnes conditions d’insertion professionnelle et économique, où le désir de reconnaissance, personnelle mais aussi sociale, de toute une partie de la jeunesse est criant, Marine Le Pen a su établir une forme d’empathie pouvant combler les manques et les frustrations identitaires de tous ordres.
L’attractivité du vote Front national au sein de la jeunesse s’arrime donc à la perspective d’une alternance politique en appui de cette forte demande de changement et de renouvellement. Dans un moment de crise des partis de gouvernement, celle-ci apparaît d’autant plus séduisante qu’elle ne concerne plus seulement celle qui doit se faire entre le camp de la gauche et le camp de la droite, mais celle qui verrait l’arrivée d’une force politique non encore entachée par l’expérience du pouvoir. Néanmoins sur le front de la protestation, dans la dernière ligne droite de la campagne, Marine Le Pen est dorénavant confrontée à la concurrence montante de la France insoumise. Le porte-voix de Jean-Luc Mélenchon semble résonner aussi avec un fort écho auprès d’une jeunesse en attente pressante de changement, et de changement radical.
[1] Enquête post-électorale, CEVIPOF, 2002. Voir Anne Muxel, « La participation politique des jeunes : soubresauts, fractures et ajustement », dans Revue française de science politique, Vol. 52, N°5-6, octobre-décembre 2002, p. 521-544
[2] Baromètre sur l’image du FN, mars 2017, Kantar Sofres
[3] ENEF 2017 CEVIPOF, vague 12bis, 31 mars-2 avril 2017
[4] ELABE, Les Français et l’élection présidentielle, 6 avril 2017
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