Et si Hollande n’avait pas raison… edit
François Hollande a parlé haut et clair : il n'entend pas mener les politiques d’austérité recommandées par les gardiens du « camp de redressement européen ». Il n’entend pas davantage faire les réformes structurelles prescrites par l’OCDE et le FMI ni charger la barque fiscale des Français au-delà de ce qui a été déjà décidé en 2012/2013. Son objectif est le soutien de l’activité et la préservation de l’emploi. Il ne respectera donc pas la trajectoire de réduction des déficits en 2013 et pas davantage en 2014.
A l'inverse, il entend poursuivre sa politique des petits pas fondée sur une réduction modérée des dépenses publiques, sur un échenillage des prestations familiales, sur des réformes limitées et consensuelles du marché du travail et sur un mini-aménagement du millefeuille territorial accepté par les élus locaux.
Charles Wyplosz a défendu ici les vertus de l’inaction. Mais être l’homme qui diffère la baisse sensible les déficits ne vaut pas brevet de responsabilité. Qu’on en juge. S’agit-il de réformer les allocations familiales qu’un discours impeccable est produit sur les vertus de la politique familiale, sur l’universalité du régime français et donc sur le refus de la fiscalisation. Mais voilà, il faut résorber le déficit et donc on présente comme une évidence la modulation des allocations selon le niveau de revenu ce qui est le contraire d’une allocation universelle et ce qui revient à une forme de fiscalisation. Au passage le seul problème réellement important, à savoir la légitimité d’asseoir sur une assiette travail le financement de la politique familiale, n’est même pas évoqué, et une opportunité de réformer les prélèvements fiscaux et sociaux pour stimuler la compétitivité est perdue.
S’agit-il de donner à la France un régime de retraites durable et soutenable, le Président commence par présenter comme une évidence ce qu’il a toujours récusé, et qui est au cœur de la Loi Fillon, à savoir que les gains d’espérance de vie doivent être partagées entre allongements de la durée de cotisation et de vie à la retraite. Mais voilà les régimes sont déficitaires alors qu’avec la réforme Sarkozy ils étaient censés être à l’équilibre avant la fin de la décennie. Au lieu de recourir à une énième réforme paramétrique, on aurait pu se saisir du problème pour trouver les conditions d’un équilibre soutenable des régimes sous des hypothèses raisonnables de croissance et de chômage, traiter les inégalités manifestes du système actuel et laisser aux assurés le choix du moment de leur cessation d’activité, bref réaliser la réforme systémique proposée par la CFDT. Le sujet ne sera même pas évoqué, le Président préférant disserter sur la désindexation des retraites complémentaires décidée par les partenaires sociaux, mais qu’il n’entend pas reproduire pour les régimes de base.
S’agit-il enfin de mener à bien la réforme territoriale, supprimer les doublons, mettre un terme au principe de compétence générale de toutes les collectivités territoriales, une voie royale était ouverte : le 3ème Acte de la Décentralisation. Il y aura réforme, commence par annoncer le Président, puisqu’on va créer des métropoles mais ce sont les élus qui auront à décider entre eux la répartition des compétences. On croyait acquise l’idée qu’il fallait supprimer une ou deux couches du millefeuille et on nous explique qu’il faut ajouter une nouvelle couche et une instance supplémentaire de coordination.
Les exemples évoqués plus haut auxquels on pourrait ajouter les réformes de la politique de formation, de l’indemnisation du chômage, ou de la fluidification du marché du travail reposent sur les mêmes bases: un constat alarmant est d’abord dressé, un mandat est donné aux publics concernés pour l’auto-réforme, des solutions insuffisantes émergent que le pouvoir consacre, par crainte des réactions des publics intéressés à qui on n’explique jamais l’état réel de la France et le coût du statu quo.
On peut donc ne rien faire, accréditer l’idée qu’on fait beaucoup et attendre la reprise pour s’en attribuer le mérite.
Cette démarche se heurte pourtant à trois obstacles. Le premier a été identifié par le Président qui avoue s’être trompé avec tout le monde sur l’intensité et la longueur de la crise. Rien ne permet de penser aujourd’hui à un rebond fort de l’activité au 2ème semestre et à une croissance en 2014 supérieure au potentiel de croissance. On a au contraire toutes les raisons de penser que la croissance sera à nouveau proche de zéro en 2013 et très éloignée de la perspective de croissance officielle pour 2014. Ce qui signifie que la France sera sommée par l’UE d’adopter un plan de rigueur comportant des mesures nouvelles de contraction des dépenses et d’augmentation des recettes . Sans qu’il soit nécessaire d’entrer dans les détails, l’effort additionnel à fournir sera probablement du même ordre que celui qui a été consenti en 2012/2013, or cette hypothèse a été par avance écartée par F. Hollande.
D’où le deuxième obstacle qu’aura à franchir F. Hollande, celui qu’il s’est infligé à lui-même avec l’obligation de respecter une trajectoire de réduction des déficits. Pour lever cet obstacle, il faut convaincre Mme Merkel et M. Rehn d’accepter que la France ne tienne pas ses engagements, sans même s’être donné la peine de lancer des réformes permettant à moyen et long terme d’atteindre les normes inscrites dans les traités. D’un côté, la perte de compétitivité de la France est chaque jour plus manifeste, le taux de marge des entreprises continue à s’effondrer, les seuils sociaux continuent à produire des effets bien documentés, la surfiscalisation du cycle de production est avérée. De l’autre, la France a renoncé à une maîtrise planifiée de ses dépenses publiques s’en remettant aux vaines techniques de l’échenillage budgétaire. Pour préserver l’existant, on va jusqu’à imposer les mêmes coupes budgétaires aux organismes de recherche et d’enseignement supérieur qu’aux organismes et dispositifs dont l’utilité n’a pas été prouvée.
Pourquoi dans ces conditions, nos partenaires européens accepteraient-ils de réserver un traitement particulier à la France en l’exonérant des mesures appliquées aux autres ? En fait, même dans l’hypothèse très favorable où l’Allemagne consentirait à un traitement d’exception pour la France, nous ne serions pas pour autant tirés d’affaire car un troisième obstacle se présenterait, celui des marchés. Certes les opérateurs de marché ne sont pas stupides, ils préféreront toujours un pays qui se donne la possibilité de retrouver la croissance à un pays qui pratique avec vertu une austérité qui accélère la spirale récessive. Certes les investisseurs aux poches profondes doivent bien investir, et la France est encore un bon risque. Même la perspective d’une baisse de la note souveraine n’aurait pas les effets calamiteux annoncés. Mais pourquoi continuer à miser sur un pays qui n’a pas de stratégie de sortie de crise, dont tous les organismes internationaux dépeignent les rigidités, qui désincite par sa fiscalité la localisation d’activités sur son sol et qui de surcroit est dans une relation tendue avec la puissance hégémonique de l’eurozone. Le scénario le plus probable est donc celui de l’aggravation des tensions économiques et d’un rebond de la crise européenne.
Il reste à comprendre pourquoi F. Hollande prend ces risques et pourquoi il a renoncé si vite à la stratégie martelée pendant la campagne électorale de la rigueur budgétaire dans la justice sociale et du nouveau socialisme de l’offre. La réponse est malheureusement d’une grande banalité. Pour un homme politique, la gestion du temps et l’appréciation du rapport de forces sont les principales qualités requises pour durer. Tout l’art alors est de trouver la voie pour faire accepter ce qui est nécessaire. Quand il entreprend sa campagne, il se différencie en adoptant la posture de l’homme de rigueur et de justice. Quand il perd pied pendant la campagne, il fait un pas vers Mélenchon en agitant le symbole des 75% et en prenant à son compte l’essentiel du programme socialiste. Quand il arrive au pouvoir, il s’accroche au 3% de déficit pour 2013 car cela lui permet de tenir ses troupes et de ne pas affronter Merkel car il sait qu’il ne peut rien lui offrir en termes de réformes structurelles. Quand il épuise ses cartouches fiscales et qu’il se contraint à l’échenillage des dépenses et que la croissance n’est pas de retour, il abandonne l’objectif du 3%. Quand enfin il pressent qu’il ne pourra pas tenir davantage cet objectif en 2014, il prend le risque de la crise européenne en mettant en cause le camp de redressement gardé par Mme Merkel. F. Hollande estime qu’il ne peut simplement pas affronter les syndicats sur la formation, sur l’indemnisation du chômage ou sur la réforme systémique des retraites. Il ne peut défier son propre groupe parlementaire en reconfigurant l’appareil d’Etat et le système de protection sociale. Il ne peut affronter les élus locaux qui forment l’armature du Parti par une réforme réelle du millefeuille territorial.
Au total a-t-il raison de ne rien faire ? Non, il n’a pas raison de ne rien faire car personne ne lui sera gré de son impuissance. Oui, une autre voie était possible qui conciliait soutien à l’activité à court terme, lancement de réformes structurelles permettant de reprofiler le modèle économique et social et propositions pour une relance de l’Europe. Mais peut-être n’est-il pas tout à fait trop tard…
Vous avez apprécié cet article ?
Soutenez Telos en faisant un don
(et bénéficiez d'une réduction d'impôts de 66%)