Faut-il nationaliser Mittal? edit
La nationalisation d’une entreprise localisée sur le territoire national est parfaitement légale dès lors qu’une loi est votée et qu’une indemnisation est prévue. Le périmètre de l’activité nationalisée est facilité par l’existence d’une entité juridique contrôlant l’ensemble des activités du site de Florange. Le gouvernement peut donc soumettre au Parlement une loi et il aura la majorité nécessaire pour la faire adopter. Mais est-ce la bonne solution ? C’est toute la question aujourd’hui.
La motivation de la nationalisation peut poser problème. Les arguments du gouvernement sur les engagements non tenus par Mittal en matière de préservation des sites et des effectifs, des règles de gouvernance ou du volume des investissements sont assez faibles. Car de deux choses l’une : ou Mittal n’a pas respecté des engagements contractuels et il est du devoir de l’État de l’y contraindre par voie de justice, ou il n’y a jamais eu d’engagements à valeur juridique et, dans ce cas, le gouvernement ne peut en tirer argument pour poursuivre et a fortiori nationaliser.
La rhétorique de l’affrontement trouve à s’illustrer dans les demi-vérités, l’exploitation erronée d’expériences étrangères ou la diabolisation de la famille Mittal.
Il est faux de prétendre que la nationalisation d’Arcelor Florange est du même type que la nationalisation provisoire d’Alstom. L’entreprise alors dirigée par Patrick Kron a fait appel à l’État parce qu’elle ne parvenait plus à se financer et qu’elle risquait d’être dépecée en cas d’insolvabilité avérée. Rien de tel avec le Groupe Arcelor Mittal qui continue à être bénéficiaire, qui ne demande aucun concours à l’État français et qui est l’objet d’une menace d’expropriation pour une partie de ses activités par ce même État.
Il est pour le moins tendancieux de se servir de l’exemple du renflouement de General Motors par le gouvernement américain pour justifier l’opération Florange. Chacun sait que GM était en faillite, que l’État fédéral a aidé l’entreprise à se restructurer massivement en fermant des sites, en licenciant, en supprimant des marques… alors que l’objet de l’éventuelle nationalisation de Florange est la préservation d’emplois dans une activité non compétitive !
Un examen rapide des précédents et des justifications d’une éventuelle nationalisation conduit à conclure que si le gouvernement a le droit de nationaliser il serait bien préférable qu’il trouve un compromis pour inciter Mittal à vendre Florange. Après tout, Arcelor Mittal peut souhaiter se désengager partiellement du marché européen, et réduire son endettement.
Si le gouvernement actuel devait toutefois s’engager dans la voie de l’expropriation et de l’indemnisation, il prendrait une responsabilité politique majeure, il devrait faire face à des contentieux multiples et à une probable censure européenne.
Politiquement, nationaliser pour préserver l’emploi dans un secteur en difficulté ne fera que susciter la multiplication de demandes du même type. Pourquoi ce qui vaut à Florange ne vaudrait pas demain pour Petroplus, Aulnay etc. ? S’engager dans cette voie, c’est se condamner à jouer les pompiers volants en étendant le secteur public à la faveur de la crise alors que le ministre du Redressement productif a lui-même reconnu que l’État n’était pas un bon gestionnaire d’entreprises concurrentielles.
Stratégiquement, nationaliser deux hauts fourneaux et investir ainsi dans la sidérurgie ne fait guère de sens pour un gouvernement qui cherche à convaincre de sa conversion à une économie de l’offre, tirée par les PME innovantes, les filières du numérique des sciences de la vie et de la transition énergétique.
Financièrement, consacrer les ressources absentes d’un État impécunieux à une activité sidérurgique qui est soit source de pertes (les deux hauts fourneaux de Florange), soit bénéficiaire mais exercée par un acteur industriel qui n’aspire qu’à continuer son activité, est difficilement justifiable. Quelle défaillance de marché l’État vient-il corriger ?
Industriellement, détacher le site de Florange de l’ensemble Arcelor-Mittal France est particulièrement risqué pour deux raisons. Depuis la fermeture des hauts fourneaux de Florange l’approvisionnement en brames des activités de transformation (aciers traités à froid pour l’automobile) se fait à partir de Dunkerque. Si cet approvisionnement était tari ce sont les hauts fourneaux de Dunkerque qui seraient en difficulté. Drôle de sauvetage d’un site qui consiste à créer un nouveau problème pour un autre site du groupe. D’autre part, exproprier Mittal pour céder les actifs à un repreneur tiers comme Severstal, c’est se heurter à des problèmes de marchés et de propriété intellectuelle. En effet, Mittal fournit les industriels de l’automobile européens à partir de Florange ; demain il pourrait le faire à partir d’autres usines. Quant au repreneur de Florange, il devrait passer des accords de licence avec Mittal pour continuer à exploiter les procédés de transformation d’aciers pour l’automobile. Que se passera-t-il si Mittal refuse de céder les licences nécessaires à la poursuite de l’exploitation des usines de l’aval de la filière ?
Juridiquement, Arcelor Mittal pourra poursuivre l’État français, ne serait-ce qu’au titre des dommages créés au groupe industriel et à l’insuffisance de l’indemnisation. Enfin et surtout, si une telle nationalisation provisoire était menée à bien, l’État devrait notifier l’aide publique accordée au repreneur puisque nul n’imagine une quelconque rentabilité pour les hauts fourneaux. L’État devrait expliquer aux autorités de la concurrence bruxelloise pourquoi il soutient un repreneur qui aggrave le problème des surcapacités et pourquoi il écarte contre son gré un industriel qui essayait de rationaliser l’activité du secteur. Autant dire, mission impossible.
Si, à bien des égards, la nationalisation n’est pas une solution, il reste à comprendre pourquoi le gouvernement socialiste s’engage dans une telle impasse et pourquoi, de surcroît, il bénéficie du soutien de la droite souverainiste avec Guaino, centriste avec Borloo ou libérale avec Breton.
Trois raisons émergent des non-dits du débat actuel. La première tient à la popularité inquiétante des thèses anti-mondialisation. Qu’un groupe multinational décide du sort de la sidérurgie française est intolérable. La deuxième tient au primat du politique sur l’économique dans la tradition étatiste française. Qu’un industriel privé tienne tête à l’État, incarnation de l’intérêt général, est inacceptable. La troisième tient à la symbolique du sidérurgiste lorrain. Voilà maintenant trente ans que la sidérurgie de la région est en restructuration permanente. Les cimetières sont pleins des promesses non tenues par des hommes politiques de tous bords. Manquer une fois de plus à la promesse donnée c’est achever de décrédibiliser la politique.
Le gouvernement peut encore trouver une issue qui ne compromette pas l’essentiel, mais chaque jour qui passe voit la rhétorique anti-entreprise, anti-mondialisation, marquer des points, malgré les efforts réels faits par François Hollande pour promouvoir son socialisme de la production et son compromis saint-simonien. Bientôt il sera trop tard.
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