Martine Aubry atterrit, mais s’écrase edit
« C’est ça ma tristesse absolue. J’ai 66 ans et j’ai l’impression que tout ce que j’ai fait dans ma vie est abîmé, cassé. Tout ce à quoi j’ai cru. » (Journal du Dimanche, 28 mai 2017). C’est vrai que c’est triste, parce que Martine Aubry est sans doute sincère. Mais le plus triste, c’est qu’elle ne comprend pas ce qui lui arrive.
Après des décennies passées à contredire systématiquement les lois de l’économie, cela ne pouvait que mal se terminer. L’héroïne des 35 heures peut se réjouir que sa mesure fétiche a survécu, même si les gouvernements qui ont suivi ont tout fait pour en retirer le poison. Il y a quelque chose d’incroyable à l’impossibilité politique de revenir sur une loi aussi nuisible. D’une certaine manière, cette saga est un concentré de tout ce qui ne vas pas en France en ce qui concerne les politiques économiques.
On ne le dira jamais assez, une cause majeure du chômage de masse est le coût du travail trop élevé pour ce qui est des emplois peu qualifiés. Déjà plombées par des charges sociales parmi les plus lourdes au monde et par une réglementation tatillonne de conditions de travail, les entreprises n’avaient pas les ressources pour passer aux 35 heures payées 39. Alors, elles ont économisé sur ce qui coûte cher, soit en automatisant au maximum, soit en délocalisant. S’insurger contre les robots et les délocalisations, c’est comme se plaindre du marteau que vous aviez en main quand vous vous êtes tapé sur les doigts. Mais, bien sûr, une grande partie des employés qui ont effectivement travaillé 35 heures payés 39 apprécient, démocratiquement tant pis pour les chômeurs qui ne sont jamais qu’une minorité – à peine 10% de la population active. Il semble même impossible de convaincre l’opinion publique que les 35 heures ont été une cause du chômage de masse. Du coup, il est impossible de répudier la loi. Alors on bricole autour avec des mesures qui sont imparfaites tout simplement parce qu’on essaye de faire une chose, garder la durée légale à 35h, et son contraire, laisser les gens choisir en fonction de leurs intérêts.
Martine Aubry partage avec bien de ses collègues de droite et de gauche deux caractéristiques. Tout d’abord, elle fonde sa réflexion sur des convictions idéologiques, c’est-à-dire des croyances qui ne sont pas susceptibles d’être évaluées par une confrontation à la réalité. Le partage du travail, la base des 35h, est un célèbre contre-sens économique. Il suppose que la quantité d’emplois disponibles est donnée et excède ce que la population souhaite travailler. Imaginez juste un instant, qu’une entreprise française découvre comment stocker de vastes quantités d’électricité, un des Graal des énergies propres. Face à un marché mondial gigantesque, cette entreprise connaît une fabuleuse expansion. Elle va créer des emplois, et ces employés vont consommer et créer ainsi des emplois, etc. Ce n’est pas de l’utopie, cela se passe tous les jours, en France comme ailleurs, mais surtout dans les pays où l’économie est dynamique parce qu’elle n’est pas entravée par les règlements malthusiens défendus par Aubry ou Hamon. C’est pourtant simple à comprendre et amplement documenté, mais parfaitement ignoré, rejeté en fait, par leurs croyances idéologiques.
L’autre caractéristique très répandue dans les couloirs du pouvoir, c’est le fameux volontarisme politique, l’idée que l’on peut soumettre les (horribles) mécanismes économiques à des décisions politiques, grâce à un État stratège. En réalité, c’est exact, on peut le faire, mais avec quels résultats ? L’argument avancé est que les mécanismes économiques fonctionnent mal. Bien sûr qu’il existe des raisons pour lesquelles ces mécanismes peuvent mal marcher ou être dévoyés par des intérêts particuliers. La solution est de réparer ce qui marche mal, pas de chercher à bloquer les mécanismes. On sait le faire, on l’a fait, l’expérience accumulée de par le monde est considérable. On sait aussi que l’État stratège a la mauvaise habitude de se fourvoyer et que violenter les mécanismes du marché a un coût très élevé en termes de croissance et d’emplois, donc de niveau de vie et de paix sociale.
Mais tout ça n’est que du rabâchage. Martine Aubry et ses collègues l’ont entendu mille fois, mais ils n’en croient pas un mot. Ils citent mille exemples qui prouvent, sans discussion, que c’est de la poudre aux yeux inventée par les zélotes des marchés. Ils ne croient pas en la méthode scientifique – on prend toutes les informations disponibles pour voir ce qui est plausible et ce qui ne l’est pas – parce qu’elle aboutit à des conclusions opposées aux dogmes qui fondent leur action. Ils préfèrent la méthode idéologique qui consiste à sélectionner des exemples qui les confortent dans leurs croyances.
Car c’est bien de croyances que parle Martine Aubry. Manifestement choquée par la tournure des événements, elle ne semble pas désireuse de remettre en cause ses croyances. Quel dommage ! On aurait pu espérer que, peut-être, sait-on jamais, elle allait se demander si ce à quoi elle a cru est vrai. Qu’enfin, au moment où elle s’apprête à abandonner les joutes oratoires et les phrases choc qu’utilisent les politiques face à leurs adversaires, elle allait faire preuve de curiosité intellectuelle et repenser ses convictions. Mais, non, comme le Saint-Office face à Galilée, elle sait ce qui est vrai.
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