Pourquoi un résultat « gagnant-gagnant » est possible pour la Grèce et l’UE edit
Lors des élections grecques de janvier dernier, Syriza a recueilli 36,3% des votes et a formé un gouvernement de coalition dirigé par Alexis Tsipras, soutenu par le Parti des Grecs Indépendants, parti de centre-droit. Jusqu’à il y a encore cinq ans, Syriza n’avait jamais obtenu plus de 5% des voix à l’échelle nationale.
Cette spectaculaire « révolution » politique n’aurait pas eu lieu si elle n’était la conséquence de désastreuses de politiques d’austérité. Elles ont été imposées pendant cinq ans, entre 2010 et 2015, par deux accords-cadres successifs d'assistance financière (ou « Master financial assistance facility agreements ») signés par le gouvernement grec et ce qui est communément désigné sous le nom de Troïka (Commission européenne, Banque Centrale Européenne et FMI) en contrepartie de prêts de 226,7 milliards d’euros ayant pour objectif de renflouer financièrement le pays. Ces fonds ont presque exclusivement été captés par le système bancaire européen afin d’éviter la réduction de valeur de prêts toxiques contractés précédemment par le gouvernement et les banques grecques, ainsi que pour assurer le remboursement d’intérêts et des opérations en capital.
Seuls 11% des fonds de sauvetage se sont retrouvés sur les comptes publics grecs. Les conditions liées aux plans de sauvetage comprenaient des coupes claires dans les dépenses publiques et la protection sociale, de très fortes hausses des impôts directs et indirects, ainsi que des réductions généralisées, dépassant les 40% dans beaucoup de cas, des salaires et des pensions de retraite. Il en a résulté une contraction spectaculaire du revenu national de l’ordre de 25%, une hausse du taux de chômage au-delà des 27%, l’élévation du taux de surendettement, et l’accroissement dramatique de la pauvreté et des inégalités. Les électeurs des classes moyennes, de toutes tendances politiques, ont massivement voté pour Syriza, exigeant une nouvelle donne pour la Grèce au sein de la zone euro, qui mettrait un terme aux rigoureuses politiques d’austérité et poserait les pierres d’une stratégie viable de relance de la croissance.
Des négociations difficiles entre le nouveau gouvernement grec et ses partenaires de la zone euro ont déjà commencé. Après l’échec d’un premier accord préliminaire le 16 février, une semaine plus tard il était convenu d’une déclaration commune établissant une liste préliminaire recensant des mesures structurelles conditionnelles, et des réformes devant être élaborées avant la fin du mois d’avril et mises en œuvre dans les quatre mois qui suivront. Cette liste inclut des engagements pris par le gouvernement précédent mais susceptibles d’être révisés par le gouvernement actuel dans un esprit de « flexibilité octroyée ».
Selon cet accord préliminaire, la Grèce ne recevra aucun fonds de ses créditeurs – et cela inclut les 1,9 milliards d’euros dégagés grâce aux profits du Programme pour les Marchés de Titres qui ont déjà été versés par la BCE à des pays de la zone euro – tant qu’une évaluation positive de la mise en œuvre de l’ensemble des conditions du plan de sauvetage n’aura pas été menée à l’issue de la période de quatre mois. En outre, le gouvernement grec n’est pas autorisé, pour l’instant, à émettre des bons du Trésor à court terme étant donné qu’il en a déjà atteint le plafond (fixé par la BCE à 15 milliards d’euros), et ce alors que les obligations gouvernementales ne sont pas acceptables pour la BCE. Par conséquent, les liquidités dans le système bancaire ne sont pour le moment injectées que par l’intermédiaire de l’Emergency Liquidity Assistance Programme, ou Programme d’Aide d’Urgence en Liquidités de la BCE, pour un coût plus élevé.
Malgré les apparences, le processus de négociation et l’accord qui a été conclu ont débouché sur d’indéniables avancées politiques et économiques, tant pour le gouvernement grec que pour les dirigeants de la zone euro. Mais il a aussi mis au jour de nouveaux risques qu’il va falloir désamorcer avec soin.
Si l’on excepte ceux, peu nombreux, qui expriment leur total désaccord et militent pour une rupture franche avec le passé, au risque même d’un échec des négociations, voire du « Grexit », les taux de popularité de l’actuel gouvernement grec dépassent les 80%, résultat de la position qu’il a adoptée dans cette négociation. Pour la plupart des Grecs, c’était la première fois depuis 2010 qu’un de leurs gouvernements signalait à ses créditeurs et à la communauté internationale l’erreur fondamentale, et ses conséquences dramatiques, qu’a représenté, du fait de sa mauvaise conception, le plan d’austérité et de réformes structurelles qui non seulement a appauvri de vastes segments de la population, mais a également alourdi le poids de la dette, dégradé les capacités d’investissement, poussé à l’émigration des milliers de diplômés très qualifiés, et a donc réduit les chances de gains de compétitivité du pays sur le long terme.
Pour les dirigeants institutionnels de la zone euro, cet accord préliminaire est la preuve de leur capacité à prendre en compte et respecter les résultats issus de processus démocratiques, à faire montre – et il ne peut en être autrement – d’ouverture et souplesse dans l’élaboration et la conduite de leur politique, et à défendre le modèle social européen.
Au moment où l’euroscepticisme croît à travers le continent, le fait d’avoir conclu un accord entre des gouvernements de diverses sensibilités politiques qui tous défendent les valeurs fondamentales de l’Europe a renforcé la légitimité du projet européen. Cela a permis aussi de faire passer un message fort contre la montée inquiétante de l’extrême-droite.
Le contenu de l’accord offre également des avantages économiques aux deux parties. Du côté grec, le gouvernement y gagne un certain degré d’autonomie pour faire évoluer le consensus politique national et opérer des choix dans les réformes structurelles. Ce faisant, il a le pouvoir de mettre en œuvre son objectif d’un déplacement vers les plus hauts revenus du poids de la politique d’ajustement, de s’attaquer à l’évasion fiscale, et de renforcer l’égalité et la protection sociales. En outre, le texte de l’accord lui-même laisse la porte ouverte à une réévaluation de l’objectif fondamental de réduction du déficit sous les 3% du PIB à un niveau qui « prenne en compte la conjoncture économique. « L’austérité à outrance, contre-productive, c’est terminé », a affirmé un expert allemand.
Le résultat sera bénéfique non seulement pour la Grèce mais pour l’ensemble des pays membres de la zone euro. Pour cette dernière, qui continue d’être caractérisée par une stagnation et une déflation inédites, trouver un compromis sur le cas grec offre l’opportunité d’un virage politique, attendu et indispensable à la fois, en vue de moins d’austérité, plus de souplesse et un meilleur échelonnement des objectifs à atteindre. Un tel virage politique aura des répercussions positives en ce qui concerne le commerce, l’investissement, la croissance et l’emploi. Une politique fondée sur le consensus renforce aussi les institutions et les forces politiques qui la mettent en œuvre (c’est –à-dire le Parlement européen, la BCE, la Commission européenne, les socio-démocrates, les Verts, etc.) qui tous ont milité pour plus de mesures à même de relancer la croissance au lieu d’attendre la fin du cycle de dépression économique, ou qui ont favorisé l’évolution du consensus politique dans leur propre pays.
Enfin, et ce n’est pas le moindre, la perspective d’arriver à un compromis raisonnable a renforcé la légitimité et la force de la zone euro face aux eurosceptiques qui ne cessent d’annoncer sa dissolution au vu des intérêts divergents et des déséquilibres économiques qui existent entre ses membres.
Malgré ces avancées potentielles, de nombreux risques persistent qui pourraient générer des coûts importants, tant pour l’économie grecque que pour la zone euro. Les réduire implique des décisions politiques courageuses qui permettent d’atténuer les divergences politiques et restaurer la confiance entre des partenaires qui affirment vouloir continuer à travailler ensemble.
Dans le très court terme, l’injection de liquidités dans l’économie est essentielle. Une économie ne peut pas bien fonctionner si les consommateurs, les investisseurs ou les exportateurs n’ont pas le minimum d’assurance que l’accès au crédit se maintiendra dans les six mois qui suivent. Le fait de lier le versement des prêts de la BCE à l’approbation et la mise en œuvre de réformes structurelles, qui par essence requièrent du temps pour être élaborées et mises en œuvre, peut avoir des conséquences négatives, et cela a déjà commencé : cela alimente une incertitude généralisée et des retraits de fonds des agences bancaires, et cela favorise la fuite des capitaux et d’autres expédients. Il faut donc que la conditionnalité soit révisée : les mises en œuvre des réformes doivent être liées à l’allègement de la dette ou au financement du développement, et non pas au remboursement des crédits à court-terme. Le remède doit bien être administré, mais ne doit pas tuer le patient.
Le deuxième défi concerne le problème de la gestion de la dette. Comme de nombreux économistes l’ont souligné dès 2010 (Boone & Johnson, 2010; Cabral, 2010; Wyplosz, 2010; Eichengreen, 2010), l’évolution de la dette extérieure des pays membres de la zone euro était toxique dès l’origine. Encore aujourd’hui, et ce malgré l’initiative du secteur privé qui a réduit le poids de sa dette privée de 130 milliards d’euros en 2011-2012, sans allègement officiel de sa dette, la Grèce verra sa dette extérieure continuer à augmenter, saper l’activité nationale et faire s’effondrer l’investissement et les perspectives de croissance. Les pays de l’euro-zone devront continuer à venir à la rescousse de la Grèce en allongeant la durée de ses prêts afin de lui permettre de rembourser ses créditeurs.
L’allègement de la dette peut être mené de diverses manières : rééchelonnement et restructuration pourraient s’accompagner d’échanges de dettes contre capitaux, émission d’obligations indexées sur le PIB, titrisation de la dette, etc. Tout ceci s’il y a bien respect la mise en œuvre de réformes structurelles significatives de la part de la Grèce. Si cela n’est pas fait, elle continuera à ne pas pouvoir sortir du piège creusé par une faible productivité et un surendettement dans lequel elle se trouve aujourd’hui, et la zone euro continuera de souffrir. La responsabilité des deux parties dans la recherche d’un accord viable est de toute première importance pour le futur de l’Europe.
Une nouvelle donne doit donc être établie entre la Grèce et ses partenaires de la zone euro : une nouvelle donne fondée sur un accord politique efficace pour renforcer la zone euro et relancer la croissance, et qui garantisse la cohésion sociale et préserve les institutions démocratiques. Une telle nouvelle donne peut véritablement être un accord gagnant-gagnant pour la Grèce comme pour la zone euro.
Traduit par Sébastien Le Pipec
Bibliographie
Boone, P. and S. Johnson “Greece, the Latest and Greater Bubble”, Economix, 11 March 2010.
Cabral, Richard, “The PIGS’ External Debt Problem”, VOX CEPR’s Policy Portal, May 2010.
Eichengreen, Barry, “Portents of the Greek Rescue”, Eurointelligence, 15 April 2010.
Wyplosz, Charles, “And now? A dark scenario”, VoxEU.org, 3 May 2010
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