Réforme du système de santé: le numérique au secours de la politique edit
Les analyses sur l’avenir de la protection sociale et l’organisation des soins n’incitent guère à l’optimisme. Si les constats convergent sur ce qu’il conviendrait de faire, la réforme pourtant jugée indispensable se fait attendre comme s’il était plus confortable de rester sur une route connue et familière plutôt que d’explorer de nouveaux chemins.
C’est ainsi que l’on se réfugie dans un passé non seulement révolu mais qui n’a jamais existé en évoquant comme une période bénie la Sécurité sociale de 1945… oubliant qu’alors la sécu ne remboursait que très peu de soins mais versait essentiellement des revenus de remplacement (à une minorité de la population) pour compenser les conséquences de la maladie.
C’est ainsi que l’on entend encore des organisations de médecins se référer à la charte de la médecine libérale de 1927, donnée comme modèle d’organisation, en oubliant que fort heureusement la médecine d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celle du premier tiers du XXe siècle.
Crise des professions de santé, crise de l’hôpital, crise financière, rien n’y fait, chaque acteur reste étrangement replié sur lui-même, attendant un premier pas de l’autre.
Le résultat en est connu : développement des déserts médicaux, hypertrophie hospitalière faute d’organisation de la médecine ambulatoire, dévalorisation des actes cliniques ou profit d’actes techniques souvent inappropriés. S’y ajoutent une mauvaise utilisation du système de soins (le recours aux urgences en est la plus frappante illustration) et des restes à charges croissants pour les patients, premier facteur de renoncement aux soins.
Chacun s’adapte à cette situation, la sécurité sociale affichant des taux de remboursements de plus en plus fictifs parce que qu’assis sur des bases de remboursement déconnectées des prix réels, les professionnels préférant une liberté des tarifs à une opposabilité négociée avec l’ensemble des acteurs qui garantirait juste rémunération des professionnels et maîtrise des restes à charge.
Peu nombreux sont ceux qui croient à un tardif mais salutaire sursaut politique, tant la politique de santé fait peur aux décideurs et est paradoxalement absente du débat alors qu’elle est une des premières préoccupations des Français. Et si le salut venait de la révolution numérique ?
Imaginons. Nous sommes en juin 2016, des négociations conventionnelles ont repris après les élections professionnelles d’octobre 2015 qui ont donné lieu à des surenchères et focalisé les débats sur la valeur de l’acte.
L’absence de marges financières pour l’Assurance maladie favorise l’émergence d’une augmentation sensible de la valeur de l’acte… mais au détriment des rémunérations forfaitaires qui se développaient depuis les années 2000 et représentent désormais plus de 10% du revenu des généralistes.
Alors qu’un accord semble proche entre l’assurance-maladie et les syndicats de médecins libéraux, des médecins investissent les réseaux sociaux et trouvent immédiatement un soutien chez les patients. Certains réclament une rémunération forfaitaire pour les médecins qui « prescrivent » des applications santé à leurs patients en s’engageant à les conseiller et les accompagner pour l’interprétation et le suivi. D’autres revendiquent une reconnaissance et une valorisation des conseils donnés par téléphone ou de plus en plus souvent par internet, ils sont rejoints par des acteurs du maintien à domicile qui réclament un financement pérenne pour les outils de domotique et de robotique évitant une institutionnalisation prématurée. Ce mouvement fait rapidement tache d’huile, notamment chez les étudiants en médecine. Le gouvernement découvre son importance lorsque les organisations d’internes s’engagent en proposant un nouveau modèle d’organisation des soins, soucieux de la qualité de la pratique, de la préservation de la vie personnelle, fondé sur une organisation collective et pluridisciplinaire. Ils ont pris conscience que le modèle libéral peut répondre à leurs attentes, alors que l’installation libérale était massivement rejetée par les nouveaux diplômes, à condition de sortir du paiement à l’acte qui freine les coopérations professionnelles, l’organisation des parcours et surtout est incompatible avec une médecine 2.0.
Une nouvelle loi est élaborée avec les professionnels qui définit carrière, politique de revenus, déclinaisons territoriales et met ainsi fin aux rites conventionnels, pour les remplacer par des négociations avec les Agences régionales de santé qui permettent des engagements dans la durée, fondés sur une obligation de résultats.
C’est alors que, dépassant la remise en cause des modes d’allocations de ressources « traditionnels », une réflexion s’engage pour élaborer un nouveau statut pour les médecins. À l’origine de cette initiative on trouve des médecins libéraux exerçant dans les hôpitaux locaux, modèle peu connu d’organisation des soins qui permet à un patient hospitalisé dans un hôpital local d’être pris en charge par son médecin traitant, qui exerce sous un double statut.
Des médecins libéraux et leurs correspondants hospitaliers qui ont expérimenté des télé-consultations à l’origine organisées dans les Ehpad d’un territoire pour leurs résidents mais rapidement ouverts à tous les libéraux et à l’ensemble de la population, prennent la mesure de la valeur ajoutée d’un tel partage des compétences et proposent l’organisation d’Etats Généraux chargés d’élaborer un nouveau statut qui permette de sortir du carcan de la fonction publique hospitalière et de l’exercice isolé et inorganisé de la médecine libérale. Avant même d’avoir défini ce que pourrait être ce nouveau statut, les médecins arrachent aux pouvoirs publics la promesse que si ce statut est approuvé par plus de 30% des médecins en exercice il sera automatiquement adopté. Ce statut intermédiaire est aussitôt plébiscité par les jeunes médecins qui l’adoptent à plus de 90%.
Parallèlement les organismes complémentaires d’assurance-maladie, contestés depuis plusieurs années parce que devenus indispensables en même temps que difficilement accessibles pour les plus fragiles, connaissent une nouvelle crise. La segmentation des offres, nourrie par les informations issues d’une analyse du risque de plus en plus précise, par le traitement de données toujours plus nombreuses, conduit à vider de son sens une activité d’assurance dans laquelle l’aléa est considérablement réduit. Transformés en préfinanceurs de dépenses quasi certaines, ils voient leurs marges de manœuvre se restreindre encore au-delà de l’encadrement des contrats mis en œuvre par les pouvoirs publics pour répondre aux critiques.
Devant l’ampleur de cette crise la Mutualité Française organise des forums citoyens avec les autres complémentaires, les associations de patients dont les conclusions sont discutées avec les professionnels de santé qui s’interrogeaient sur leur statut et leur pratique. Très vite chacun comprend que la valeur ajoutée des organismes complémentaires réside autant dans leur capacité à accompagner, à innover, à proposer des services aux patients comme aux médecins, à organiser les parcours que dans le remboursement de dépenses sans souci de leur pertinence, de leur efficacité ou de leur coût.
Les professionnels, soucieux de garder la maîtrise de leur pratique s’engagent à mettre en place les mécanismes d’évaluation et de régulations indispensables pour attester de la pertinence et de la qualité des prises en charge. Des accords se nouent avec les complémentaires qui en contrepartie s’engagent dans une politique résolue de diminution des restes à charge et de revalorisation des actes cliniques.
De telles évolutions sont-elles du domaine du rêve ? Certainement pas. Comment imaginer une organisation figée face au développement des applications qui redonnent de l’autonomie aux patients, aux possibilités offertes par la télémédecine offrant à tous l’accès à une expertise partagée, à des coopérations professionnelles facilitées par les outils permettent dialogues et échanges d’informations, valorisent les compétences, plutôt que de tirer les professions vers le bas dans des logiques de défense de territoires, aux possibilités offertes par l’impression 3D au service de la santé.
Demain le traitement des données, le deep learning va transformer l’évaluation du médicament, faisant perdre la prééminence de l’évaluation avant la commercialisation, limitée parce qu’effectuée sur des populations sélectionnées, sans interactions médicamenteuses, sans pathologies multiples, sans problèmes d’observance, au profit d’une surveillance en temps réel, dans la vraie vie, grâce à la possibilité de discerner des effets délétères même avec de faibles signaux et d’intervenir même directement par le retrait d’un produit dangereux, contrepartie de la mise à disposition plus rapide de l’innovation.
C’est sous la pression des objets connectés, d’une information disponible et partagée que l’on va engager la plus profonde transformation de notre système de santé et de protection sociale, celle qui permet de passer d’une logique de moyens à une logique de résultats, du quantitatif au qualitatif.
L’État va devoir changer de posture, passer d’un contrôle tatillon et inefficace à un rôle de régulateur, d’Etat stratège.
Tous nos outils vont être remis en cause. La surveillance des épidémies passait hier par le développement de réseaux sentinelles, le travail de collecte de données de nombreuses agences, l’analyse en temps réel de quelques mots clés sur les moteurs de recherches suffit désormais à détecter le moindre épisode grippal.
Le mouvement de démocratie sanitaire qui s’est développé dans les années 2000 est à la recherche d’un second souffle. C’est la révolution numérique qui va lui offrir, bousculant les représentations institutionnelles qui devront se projeter dans l’avenir ou disparaitre.
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