A propos des chiffres du mal-logement. Une réponse à Olivier Galland edit
Sur Telos, Olivier Galland s’en est pris au rapport annuel 2018 de la Fondation Abbé Pierre, dans une tribune intitulée « Méfions-nous des chiffres militants ». M. Galland oppose à nos « chiffres du mal-logement », qui font référence dans le monde du logement depuis plus de quinze ans, la statistique publique qui, d’après lui, montrerait une réalité bien moins alarmante que nos alertes quant à l’importance et la gravité du mal-logement.
Ce que semble ignorer ce sociologue spécialiste de la jeunesse, c’est que « les chiffres de la Fondation Abbé Pierre » sont eux-mêmes issus de la statistique publique, en particulier de l’enquête nationale logement (ENL) de l’Insee 2013, dernier millésime en date. Opposer l’un à l’autre constitue donc un contre-sens regrettable.
Le travail de la Fondation Abbé Pierre consiste à définir statistiquement une vision du mal-logement. Cette définition évolue avec le temps en fonction de l’émergence de nouvelles formes de mal-logement dans le débat public et de la disponibilité des sources statistiques. Elle correspond donc à notre lecture du logement : elle n’est pas figée et a vocation à être débattue, ce que nous faisons d’ailleurs régulièrement au sein des instances auxquelles nous participons, qu’il s’agisse de l’Observatoire de la pauvreté et de l’exclusion sociale ou du Conseil national de l’information statistique. Nous en discutons également lors de nos conférences de presse annuelles auprès des journalistes qui, contrairement à ce que croit savoir Olivier Galland, analysent souvent avec vigilance les sources de nos analyses.
M. Galland critique nos chiffres car, selon lui, « le problème tient évidemment en grande partie au flou des définitions retenues par la FAP. On parle de « personnes vivant dans des conditions de logement très difficiles », mais qu’est-ce que cela veut dire exactement ? On ne le sait pas. ». Cette attaque est fausse et caricaturale. Si Olivier Galland avait pris la peine d’ouvrir notre rapport, il aurait pu y trouver les précisions à la portée de n’importe quel lecteur. Notre définition du mal-logement est précise et s’appuie sur 13 catégories statistiques issues de l’ENL 2013, mais aussi, pour des situations plus marginales, de l’enquête sans-domicile 2012 de l’Insee, du recensement de la population, de l’enquête de la FNASAT sur les gens du voyage et des chiffres sur l’avancée du plan de traitement des foyers de travailleurs migrants. On peut partager cette approche ou pas, la juger trop large ou trop restrictive, estimer qu’elle s’appuie sur des sources statistiques imparfaites, mais lui reprocher son imprécision est simplement une erreur manifeste et très dommageable.
Olivier Galland oppose en particulier à nos chiffres (4 millions de mal-logés et 12 millions de fragilisés par la crise du logement) la diminution constante du pourcentage de logements privés du confort sanitaire de base (toilettes, eau chaude, salle de bain…). Il conclut sa démonstration en nous interpelant : « pourquoi le nier ? » Il serait en effet absurde de le nier et c’est d’ailleurs pour cela que… nous le répétons à longueur de rapports. Le rapport 2018 précise ainsi, à quelques paragraphes des quelques mots incriminés par M. Galland : « La qualité du parc de logements s’améliore rapidement, et la part des logements privés du confort sanitaire de base se réduit comme peau de chagrin d’année en année. » Difficile d’être plus clair. Encore une fois, cela montre que M. Galland n’a visiblement pas lu notre rapport, pas même son introduction. Il ne s’agit pas d’une simple phrase dans notre rapport, mais d’un rappel que nous faisons régulièrement lors des conférences de presse, justement pour éviter les approches simplistes qui nieraient cette évolution positive indéniable dans le monde du logement. Il existe suffisamment de tendances alarmantes pour ne pas nous priver de rappeler les bonnes nouvelles avérées.
D’où peut alors venir notre désaccord ? Olivier Galland estime que le mal-logement est plus faible que nous le pensons et est orienté à la baisse car le nombre de logements « comportant un défaut ou plus » est en diminution. En disant cela, a-t-il conscience qu’il réduit le nombre de personnes mal logées au nombre de logements comportant un défaut ? C’est à l’évidence une définition du mal-logement très personnelle, qui n’est partagée à ce jour par aucune institution ni aucun expert, mais qu’il ne prend pas la peine de justifier.
Qu’en est-il alors des personnes sans abri, sans domicile, sans logement personnel, hébergées chez des tiers, vivant dans un logement surpeuplé, menacées d’expulsion, précaires énergétiques, vivant en copropriété en difficulté etc. ? Toutes ces personnes ne vivent pas forcément dans des logements privés du confort sanitaire de base ou comportant « un défaut ou plus ». Mme B, à Montreuil, qui vit depuis des années dans 11 m² à six personnes dans le studio d’une amie, menacée d’expulsion, qui l’héberge, sera sans doute surprise d’apprendre qu’elle appartient à la France des bien logés.
Si la part des logements sans confort de base diminue bel et bien, en revanche d’autres indicateurs, pour les personnes en bas de l’échelle sociale, montrent une certaine dégradation au cours des dernières années, comme le nombre des expulsions locatives, la prégnance de la précarité énergétique, l’effort financier excessif pour se loger ou le surpeuplement. Rappelons que ces constats s’appuient sur des chiffres issus d’enquêtes publiques qui ne font l’objet de contestations par personne. En réalité, le mal-logement n’est pas simplement affaire de bâtiment, mais se trouve au carrefour entre la qualité physique des logements, leurs conditions d’occupation et la précarité des ménages.
En ce qui concerne le surpeuplement, thème principal de notre dernier rapport, nous nous basons là aussi sur les deux dernières enquêtes logement (ENL) de l’Insee de 2006 et 2013 pour montrer l’augmentation du nombre de personnes touchées par le surpeuplement accentué ou modéré. M. Galland cite quant à lui à l’appui de sa critique une autre enquête (SRCV), portant sur une autre période (2005-2015 au lieu de 2006-2013) et comptabilisant d’autres unités (le pourcentage de ménages plutôt que le nombre de personnes). Or, la plupart des chercheurs privilégient l’enquête logement plutôt que l’enquête SRCV, car l’enquête logement existe depuis 1955, est beaucoup plus précise, porte précisément sur les conditions de logement et surtout s’appuie sur un échantillon beaucoup plus vaste que l’enquête SRCV.
Par ailleurs, choisir de compter le pourcentage de ménages touchés par le surpeuplement est à notre sens moins précis et moins juste que de compter comme nous le faisons le nombre de personnes touchées. En effet, le nombre de petits ménages a fortement augmenté au cours des dernières années, tendant à « écraser » le pourcentage de ménages en surpeuplement, alors même que le nombre de personnes touchées s’est accru. En effet, ce sont les ménages nombreux qui sont le plus touchés par ce phénomène.
En conclusion, il aurait été plus simple, si Olivier Galland avait des questions à poser sur des chiffres, de s’adresser directement à nous plutôt que de mettre en cause le sérieux de nos chiffres voire l’honnêteté de notre démarche. Sachant que la Fondation Abbé Pierre, qui régulièrement appelle à un développement de la connaissance comme de la fréquence de la production statistique nationale en matière de mal-logement, reste et restera également disposée à échanger sur les indicateurs pertinents à retenir et à faire évoluer avec tous les acteurs de bonne volonté.
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