A quand un Baby Facebook ? edit

27 juin 2012

Aux prises avec un certain nombre de critiques sur le recueil des données personnelles et la présence massive de mineurs de 13 ans sur son site, Facebook travaille sur un projet d’ouvrir des comptes pour les enfants de moins de 13 ans. Le principe sur lequel travaillerait Facebook, selon les informations disponibles dans la presse, est celui d’un système liant le compte des enfants et celui des parents. Il permettrait à ces derniers de contrôler les contacts, l’utilisation des données personnelles de leurs enfants et leurs activités sur le site, et donc d’en devenir responsables.

37% des enfants français de moins de 13 ans ont un profil sur un réseau social en toute illégalité au regard des conditions d’utilisation de Facebook. Une telle solution les ferait à tout le moins rentrer dans une forme de légalité. D’autant que, comme le soulignent les défenseurs du projet, les parents n’y sont pas opposés, un grand nombre étant déjà au courant, voire « amis » de leurs enfants sur ces comptes.

Les objectifs économiques que l’on peut supposer à ce projet, dont on ne sait pas encore s’il aboutira, sont nombreux. Il pourrait ainsi dynamiser la croissance du réseau lui-même en augmentant le nombre de comptes d’enfants, mais aussi de parents. L’entreprise l’estime à 900 millions dans le monde en mai 2012, mais le rythme de croissance semble se ralentir. Cela lui permettrait de valoriser davantage ses recettes publicitaires en recul sur le début 2012, alors qu’elles constituent l’essentiel de son chiffre d’affaires. Ouvrir officiellement Facebook aux enfants permettrait au leader mondial des réseaux sociaux d’éviter que les mineurs n’aillent sur la concurrence. Il pourrait aussi collecter des données personnelles sur les enfants qui pourraient peut-être être utilisées après leur majorité. Cela l’aiderait dans tous les cas à fidéliser au plus vite les enfants, à s’inscrire dans leur vie et à accroître l’implication de leurs parents vis-à-vis de la marque. Les jeunes représentent une cible privilégiée : ils sont susceptibles notamment par leurs téléphones mobiles de se connecter très souvent sur Facebook et ses applications. La valorisation de l’entreprise américaine (à 100 milliards de $ lors de son entrée en bourse en mai dernier) repose en effet sur un gigantesque pari qu’il lui faut étayer pour rassurer ses actionnaires. Toutes ces perspectives pourraient aider l’entreprise à consolider un avenir qui n’a rien de stable. Certains observateurs conseillent cependant à Facebook de miser moins sur la publicité et de renforcer davantage les applications payantes (notamment les jeux) qui peuvent être réglées par cartes bancaires mais aussi directement via la facture téléphonique (solution pratique pour les mineurs !).

Dans ce contexte rapidement brossé, quel peut être l’intérêt des enfants de moins de 13 ans à se brancher au plus vite sur Facebook ? Facebook permet aux adolescents de construire un réseau de sociabilité numérique à travers l’élaboration d’une identité numérique. Le réseau peut faciliter la coopération entre ses membres et particulièrement entre les « amis » voire « amis d’amis » et la conquête d’une place sur la scène sociale. Mais est-ce vraiment une activité appropriée pour des enfants de moins de 13 ans ? L’injonction sociale à laquelle répond le succès de ces réseaux sociaux (« construis ton projet, ton réseau, ton identité ») semble démesurée pour les plus jeunes. Leur invisibilité partielle sur la scène sociale et numérique leur permet d’évoluer en diminuant la pression du groupe de pairs et son contrôle sur leurs moindres faits et gestes. Le groupe peut en effet encourager chacun (pas toujours pour le meilleur), mais la force du groupe peut aussi se retourner contre l’un de ses membres.

La complexité des normes de confidentialité rend illusoire sa maîtrise par les adolescents et incertain le contrôle parental. L’importance du nombre de comptes ouverts par des mineurs de 13 ans et les défaillances du réseau dans la protection des mineurs acceptés comme tels sur le réseau (entre 13 et 17 ans) montrent que l’entreprise elle-même est loin d’être à la hauteur de ses propres garde-fous. La Commission européenne a diligenté des chercheurs en 2011 pour tester le niveau de sécurisation des mineurs (Cédric Fluckiger pour la version française). Facebook prétend avoir mis en place des dispositifs de sécurité pour éviter l’inscription de mineurs trop jeunes. Leur rapport révèle que le système peut cependant être contourné en quelques clics. Parmi les principales défaillances relevées, les mineurs inscrits comme tels sur le réseau peuvent se voir  proposer des publicités pour adultes (sites de rencontre, jeux d’argent) ; s’ils sont harcelés, et qu’ils le signalent, les images ne sont pas retirées ; leurs profils sont par défaut ouverts aux amis d’amis ; le réseau n’explique pas facilement aux  parents comment mettre en place un filtre parental etc. Le rapport, disponible en anglais sur le site de la Commission, n’a sans doute pas été lu par de nombreux utilisateurs… Sur la base de ce constat, on voit mal pourquoi des parents confieraient leurs enfants plus jeunes à cette plateforme.

Mais au-delà de ces questions techniques, se posent plusieurs questions d’ordre éducatif. Est-il vraiment souhaitable d’encourager des moins de 13 ans à exposer leur vie privée sur de tels réseaux ? Est-il vraiment souhaitable de leur faire croire que vivre sans Facebook soit un destin diminué ? N’est-ce pas là risquer de construire, avant même la consolidation de leur subjectivité, une forme de dépendance ? Est-il vraiment souhaitable de les envoyer sur ces plateformes alors qu’on ne sait pas comment retirer les images qui pourraient leur porter préjudice ?  Est-il vraiment souhaitable de les offrir en pâture au grand jeu de la traçabilité commerciale sur lequel repose tout le business model de Facebook, avant même qu’ils n’aient conscience de ses conséquences ?

Le projet de Facebook pour les moins de 13 ans a au moins deux mérites : il pose la question d’espaces publics numériques adaptés aux adolescents voire préadolescents, et de la place du service public sur Internet ; il rappelle l’urgence de l’accompagnement éducatif des activités des mineurs de plus ou moins 13 ans, présents depuis 2002 au moins sur les plateformes du web 2.0.