Rebelle, princesse de Disney edit

2 août 2012

Depuis quelques années, la représentation de la princesse chez Disney est en train de changer. L’imaginaire de la femme soumise attendant son prince charmant est difficile à concilier avec l’un des présupposés des sociétés démocratiques, le principe d’égalité entre les hommes et les femmes.

On sait que l’égalité juridiquement proclamée ne conduit pas à une égalité réelle entre les genres, ni dans les carrières, ni dans les salaires – ni d’ailleurs, dans un sens contraire, pour l’espérance de vie ! Les contes modernes qui façonnent l’imaginaire des enfants participent à la construction des représentations de genre. Les entreprises mondialisées dans leur diffusion comme  Disney assurent un rôle non négligeable dans la promotion des valeurs occidentales. Dans le processus de « naturalisation » de l’indépendance des filles, la production d’histoires, d’héroïnes et de héros est cruciale. Elle peut permettre de consolider la poursuite d’un idéal commun, celui de la parité, en encourageant dès l’enfance le rêve d’indépendance chez les filles et son acceptation par les garçons. Elle est aussi en phase avec les attentes du public.

Rebelle est donc l’histoire d’une fille indépendante. Soumise à une éducation particulièrement austère, nécessaire selon sa mère pour « devenir une princesse », mais qu’elle vit comme une succession de brimades, elle refuse à l’adolescence le mariage de raison que sa mère a organisé pour elle, selon la tradition. Comme Disney n’est quand même pas une entreprise de contre-culture, ni une fabrique d’indignés : après le moment de la révolte, vient celui de la réconciliation avec son passé, qui permet à la princesse de triompher du mauvais sort et de gagner une certaine autonomie, tout en renouant avec sa famille.

Le projet auquel s’attaque ce scénario est donc passionnant et délicat. Comment inscrire les sociétés modernes dans une continuité avec leur tradition (et notamment avec leurs contes, qui sont une part essentielle de leur patrimoine symbolique) tout en faisant évoluer l’identité du personnage féminin principal vers des valeurs modernes ?

Dans les contes traditionnels (Grimm, Perrault) la figure féminine est marquée par une double soumission : soumission à son destin, tel qu’il a été formulé par des vœux émis à sa naissance (la Belle au bois dormant), voire des engagements pris avant même sa naissance (Raiponce),  et dépendance à l’égard de la rencontre avec « le » prince, seul capable de la faire accéder à sa vraie place, voire de lui redonner la vie (Blanche Neige, La Belle au bois dormant). Les contes participent notamment de la glorification de la domination masculine, tout en l’inscrivant dans un échange, qui prévoit des contreparties.

Depuis La Princesse et la Grenouille (2010) notamment, Disney a introduit une princesse qui veut avant tout être indépendante. Dans ce film, Tiana, princesse noire d’origine modeste, ne croit pas au prince charmant. Elle veut avant tout réaliser le rêve – prosaïque – qu’elle a formé avec son père, avoir un restaurant à elle ! Quand sa mère s’inquiète de ce qu’elle n’a pas trouvé l’amour, sa fille lui répond que cela peut attendre, car ce n’est que par son travail qu’elle pourra réaliser son rêve. Mais le déroulement du conte fait qu’elle va vouloir sauver le prince-crapaud. Sa compassion va avoir des conséquences dramatiques pour elle : elle va alors se transformer en grenouille et les deux héros – unis dans leur malheur – vont apprendre à s’apprécier, s’entraider et enfin s’aimer. La fin du film réconcilie le désir d’indépendance et la tradition, mais dans un sens qui fait plutôt la part belle à la tradition, et au masculin, puisqu’on nous fait comprendre que, par son simple travail, cette jeune fille pauvre n’aurait eu aucune chance de réaliser –seule – son projet.

Dans Raiponce (2011), la jeune fille ignore son statut de princesse, et cherche à conquérir sa liberté vis-à-vis de sa mère adoptive, la sorcière qui la garde enfermée dans une tour. Elle est cependant encore très soumise à sa mère, à laquelle elle peine à désobéir et dont elle ne comprend la méchanceté qu’à la fin. Assez dépendante de sa mère, elle n’en est pas moins indépendante des garçons. Sa mère l’a éduquée dans une suractivité pratique et artistique et dans l’hostilité du monde extérieur. Aussi quand le brigand et futur élu de son cœur se jette dans sa chambre, commence-t-elle par l’assommer d’un coup de poêle à frire, outil qui l’accompagne tout au long du film et qui semble particulièrement efficace. Elle l’enferme ensuite dans son placard en le roulant en boule comme un tapis ! Tout au long du film, malgré l’immense tresse qui la caractérise, et qui aurait pu être un handicap physique, elle semble nettement supérieure aux hommes qu’elle croise, par sa force et par sa magie. Sa libération la conduit à retrouver ses vrais parents, à prendre auprès d’eux, avec son amoureux, sa place de princesse. Elle se fait au prix du sacrifice de sa tresse magique, avec des cheveux courts, une des grandes conquêtes féminines du 20e siècle ! Mais la princesse retrouve d’autres formes de pouvoir magique, notamment par ses larmes !

Avec Rebelle, le désir d’indépendance du personnage féminin se double d’une grande habileté physique. Excellente cavalière, Mérida sillonne la forêt à toute vitesse sur son cher destrier. Entraînée par son père au tir à l’arc, elle se révèle une championne hors pair. Les cavalcades au cœur des Highlands feront certainement vibrer les cœurs des petites filles. Mais cette indépendance l’enferme dans une forme de solitude. C’est toute seule qu’elle va accomplir sa « libération » du joug maternel. Son père, bien sympathique, se révèle totalement impuissant et soumis à sa femme. Les autres personnages masculins, dont le graphisme est pourtant très amusant, sont traités de façon caricaturale : les pères des prétendants sont pour la plupart ineptes, leurs fils plus déficients encore. Quant aux petits frères, quoique bienveillants, ils n’ont pas encore accédé à la parole. C’est que la gent masculine est caractérisée tant par une tendance indéfectible à la dispute et la bataille, que par une terrible faiblesse dans le maniement du verbe.

Sans vouloir dévoiler tout le scénario, on se permettra de douter de la viabilité de la parité dans ce contexte. Si les filles sont habiles à parler, savent remettre leurs mères à leur place, mais que les garçons régressent à l’âge de pierre et renoncent au langage des mots, le partage des responsabilités semble mal parti. Pour preuve, le scénario lui-même perturbé par les incessantes querelles entre hommes, qui ne le font jamais avancer mais qui en brouillent le sens.

Mérida veut prendre son temps pour définir son destin. Elle semble, à la fin du film, avoir imposé « sa » loi à ses parents, choisir elle-même son compagnon – ce qui n’est quand même pas révolutionnaire – et surtout n’en choisir aucun, ce qui est plus original. Mais elle reste sous le toit familial et son indépendance se double d’une grande solitude, n’ayant tissé aucune amitié. C’est avec sa mère qu’elle partage toute l’aventure, après l’avoir mise en grand danger. Son affrontement lui permet donc surtout d’accéder à une forme d’égalité avec elle. Ayant intégré l’injonction de l’individualisme moderne à être elle-même et à prendre en main son destin, perd-elle dans le même coup la capacité à créer des liens en dehors de sa famille ?

Les princesses de Disney restent marquées par l’appartenance aux domaines traditionnels de la féminité : leur puissance vient de leurs cheveux, de leurs larmes, de leur maniement de la poêle à frire (Raiponce), de leur aptitude à la couture (Rebelle), ou à la cuisine (La Princesse et la Grenouille, Raiponce) et de leur beauté (dans les trois films). Avec Rebelle, la princesse expérimente deux domaines masculins, le maniement des armes et le goût de l’aventure. Mais, au même moment, les échanges avec les garçons deviennent inexistants et la sexualité rejetée hors du projet féminin. La libération de la princesse disneyenne est pour le moment paradoxale.

Les scénaristes affirment s’être inspirés de leur propre vie familiale. Sans doute l’ont-ils aussi été par le constat que la libération des femmes s’est accompagnée d’une baisse du mariage (encore -18% entre 2000 et 2010 en France), de la banalisation des divorces (le taux de divortialité a été multiplié par 4.5 depuis 1970 en France), de l’accroissement de la part des familles monoparentales dans l’ensemble des familles (doublement en France sur la même période, les enfants étant dans 85% des cas rattachés à leur mère). Dans la vraie vie aussi, l’indépendance des femmes peut s’accompagner d’une plus grande solitude.