Hypersexualisation des ados: ne nous trompons pas de combat ! edit
Le rapport de Chantal Jouanno «Contre l’hypersexualisation, un nouveau combat pour l’égalité», remis le 5 mars dernier, fait des constats courageux mais propose un saupoudrage de mesures, pas toujours étayées, qui risquent de rater leur objectif. L’hypersexualisation des préadolescents et des adolescents est un phénomène très préoccupant car il est associé non seulement à la diffusion de stéréotypes de genre tout à fait contraires au principe de parité, mais à celle d’images trash et pornographiques auprès d’enfants à un âge où leur représentation de la sexualité est encore très floue et où leur connaissance de leur propre corps est encore incertaine. Un certain nombre de comportements, actes de harcèlement, voire agressions sexuelles, qui inquiètent les éducateurs dans les cours de récréation de l’école primaire au collège, autant que les magistrats, s’inspirent des « modèles » de domination masculine et d’hypersexualisation banalisés par la pornographie. Alors que ces comportements sont masculins la plupart du temps, on regrette que la médiatisation du rapport centre au contraire le problème sur les vêtements des filles.
Le rapport Jouanno a cependant le mérite de s’appuyer sur les quelques chiffres disponibles relatifs à la diffusion de la pornographie auprès des adolescents (avec néanmoins de fortes incertitudes, puisque les chiffres donnés varient de 23% de mineurs de 9 à 16 ans selon Eukidsonline à 83% des 11-13 ans, selon l’entreprise Calysto) et de dresser un tableau de cette consommation. En plus du visionnage par les adolescents d’images trash principalement sur des pop up de sites pornographiques ou sur youtube, le rapport souligne la variété des formes de « cybersexe » auxquels s’exposent les mineurs : exhibitions sur les « chatroulettes », banalisation du « sexting » (envoi d’images sexuelles sur les textos) échanges de commentaires sur les blogs contre des images dénudées…
Mais le rapport ne s’attaque pas assez à la source du problème : les conditions de diffusion de la pornographie, dont les garçons sont les premières cibles. Alors même qu’il insiste sur le problème des messages véhiculés par ces contenus, « image déformée de la sexualité », « confusion grave entre sexe et violence », « image dégradante de la femme », qu’il souligne l’influence de la pornographie sur les comportements sexuels des mineurs, qu’il évoque l’existence de formes d’addiction, le rapport ne fait pas de la limitation de l’accès des mineurs à ces images un enjeu majeur. Il considère que les instances de régulation et de protection d’enfance sont assez nombreuses en France, et en dresse un bilan plutôt élogieux, alors même que leur sous-information des enjeux que constituent les risques médiatiques les empêche de devenir des relais efficaces de prévention.
Il y a dix ans la diffusion de la pornographie en masse à la télévision via Canal plus et les chaînes spécialisées (après minuit) inquiétaient déjà les experts de l’enfance. En 2002, trois rapports réunissant éducateurs, sociologues des médias, philosophes, associations de la société civile, ont été publiés demandant tous le renforcement de la lutte contre l’accès des mineurs à la pornographie : celui du CIEME (Collectif interassociatif Enfance, Médias, Education regroupant associations d’éducation populaire, associations de parents d’élèves, associations familiales, syndicats enseignants), Jeunes, médias, violences, celui de Blandine Kriegel, celui de Claire Brisset.
Pendant les années qui ont suivi, une certaine amélioration a été réalisée grâce au travail patient du CSA et à la vigilance des associations du CIEME : signalétique plus claire à la télévision, double-verrouillage des programmes X diffusés à la télévision, amélioration du cryptage sur Canal Plus, contrôle du nombre de programmes X diffusés par les chaînes autorisées à en diffuser. Mais aujourd’hui les images pornographiques se sont démultipliées à la télévision du fait des services à la demande dont le CSA vient d’autoriser la diffusion en journée, en laissant aux parents le soin de les verrouiller ! Le développement de l’accès à l’internet via les ordinateurs, les consoles de jeu vidéo, les téléphones portables ont ouvert l’accès des préadolescents et des adolescents à ces images, sans que des moyens de régulation et d’information du public ne soient mis en place à la hauteur des risques produits par ces services. Les pouvoirs publics ont promu la diffusion des nouvelles technologies, les familles se sont largement équipées, sans être accompagnées par des politiques suffisantes en matière d’éducation et de régulation.
Les rares campagnes d’information grand public ont mis l’accent sur la nécessité de moraliser les parents ou les enfants, comme la récente opération contre le Harcèlement à l’école, mais aucune émission de télévision grand public n’accompagne les parents sur les enjeux éducatifs et la mise en œuvre des outils du contrôle parental sur les ordinateurs et sur les téléphones portables. Le principal dispositif est en ligne (Internet sans crainte), mais, de ce fait, il est davantage utile aux formateurs qu’aux parents. Les actions menées dans les écoles restent ponctuelles et ne sont pas intégrées aux cursus scolaires.
Aucune enquête récente n’a fait le point sur les raisons pour lesquelles les trois-quarts des parents n’utilisent pas les logiciels gratuits proposés par les fournisseurs d’accès, et encore moins ceux du téléphone portable. Le gouvernement a même abandonné le contrôle de la qualité de ces logiciels depuis deux ans. La classification des contenus de programmes sur l’internet français et les contenus des téléphones portables prévue en 2007 n’a jamais été mise en œuvre. Or, d’après l’étude européenne Eukidsonline, l’accès des mineurs à des images sexuelles est cinq fois plus élevé en France qu’en Allemagne.
Le rapport Jouanno propose 12 recommandations, et quatre fois plus d’axes à l’intérieur de chacune. Les champs d’action très éclatés vont de la lutte contre les images sexualisées des enfants à l’interdiction des concours de mini-miss, la création d’un observatoire de la parité, la rédaction d’une charte enfant des acteurs économiques, la relance de la recherche et l’éducation à la sexualité et à la consommation, notamment. Afin de faire face efficacement à un problème qui concerne des questions urgentes d’ordre éducatif voire anthropologique, il importerait au contraire de se concentrer sur deux axes prioritaires : le renforcement d’une vraie régulation des médias, s’accompagnant d’une information large des parents sur les mesures de protection de leurs enfants, et la mise en place d’une éducation critique aux médias dans l’école et hors l’école.
Au lieu de préconiser un éparpillement de mesures éducatives, il est temps de mettre en place une éducation critique aux médias qui passe aussi bien par la contextualisation des images, que par la compréhension du fonctionnement économique des médias, des valeurs de la démocratie et des droits fondamentaux, dans des cursus identifiés.
En mettant sur le même plan l’autorégulation des professionnels de tous les secteurs et la régulation des médias par des instances étatiques comme le CSA, le rapport de Chantal Jouanno sous-estime la responsabilité propre de l’État en matière de protection des mineurs dans les médias et lance à la volée de nombreuses propositions sans les étayer. L’extension des pouvoirs du CSA au numérique, préconisée p. 111, demandait –au moins- une remise en cause de la promotion de l’autorégulation de l’internet préconisée par la Commission européenne. Les remarques sur la composition « non pluraliste » du même Conseil (p. 105) sont perdues dans la masse. La mise en cause des FAI pour la diffusion d’images pornographiques gratuites qui exigerait une modification en profondeur de leur responsabilité méritait à tout le moins un examen plus approfondi.
En passant sous silence le poids de la prise en compte des intérêts des opérateurs économiques dans le développement de la pornographie, qui a été utilisée une fois de plus comme stratégie de diffusion des technologies de l’information, le rapport Jouanno évite la mise en cause de la déréglementation des médias et celle de la dissolution récente des instances de corégulation intégrant la société civile comme le Forum des droits de l’internet.
La lutte pour l’égalité entre les hommes et les femmes est un enjeu politique et non cosmétique, la banalisation de la pornographie lui porte atteinte directement.
Les médias jouent aujourd’hui dans la socialisation des enfants et la transmission des repères un rôle tout à fait central, et c’est pour ces raisons qu’experts et associations d’éducation demandaient récemment une « refondation de la politique jeunesse dans les médias ».
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