Médias : les parents sont-ils démissionnaires ? edit
Les parents accordent beaucoup d'importance aux médias. Quel que soit leur milieu social, ils redoutent : la violence médiatique à un niveau très élevé (90%) et son imprégnation sur les comportements des enfants, la vulgarité des contenus (73%), qui déteint dans leur langage, et la représentation crue de la sexualité (58%). Certes leurs inquiétudes ne semblent pas toujours rationnelles : alors qu’ils redoutent que les médias n’incitent les enfants à leur demander des achats inutiles, peu se plaignent d’une pression commerciale excessive (20%). Alors qu’ils sont inquiets de l’influence des médias sur leurs enfants, ceux-ci déclarent être équipés de téléviseurs dans la chambre (45% en sixième), de téléphone portable (49% en sixième), voire disposent d’un ordinateur personnel relié à Internet (28%).
Les parents sont-ils pour autant démissionnaires ? Pour leurs préadolescents, ils adoptent en réalité une attitude très proche vis-à-vis de la rue et des médias. Le degré d’autonomie concédé dans la rue, à la maison, est souvent de même nature que celui accordé sur les espaces médiatiques. Les plus inquiets le sont donc sur les deux espaces, qu’ils considèrent comme ouverts, les plus confiants aussi. Seule une minorité de parents français utilisent les médias comme réponse à une appréhension vis-à-vis de l’insécurité extérieure, plus importante dans les quartiers plus défavorisés. 17% des parents considèrent que les médias évitent à leurs enfants de sortir de la maison (24% en ZEP).
Les parents cherchent à encadrer les modalités de cet accès. Les deux-tiers d’entre eux considèrent que leur rôle de médiation doit durer au moins jusqu’à 16 voire 17 ans. La fréquentation des médias (radio, TV, jeux vidéo, Internet) par les enfants dès le CM2 s’accompagne donc d’une revendication de responsabilité parentale sur le long terme. A travers différentes modalités de guidage, les parents souhaitent maintenir une forme d’autorité « en pointillé » sur les consommations médiatiques de leurs enfants. Ils sont devenus des acrobates de la régulation des conduites des préadolescents. Ils rejettent massivement un modèle éducatif autoritaire ou même sévère. Voulant être présents, sans les paralyser, leur supervision veut s’exercer dans un climat de dialogue.
Pour ce faire, ils bricolent avec diverses mesures : organisant des activités extrascolaires sportives ou artistiques, surveillant les horaires de coucher, du moins les veilles de jours de classe, évitant la télévision et MSN durant certaines plages horaires. Le respect des pictogrammes chiffrés marquant des contenus déconseillés aux enfants selon leur âge, pour la télévision ou pour les jeux vidéo, fait partie des précautions parentales largement déclarées par les intéressés et confirmées par les enfants.
Dans un contexte où la régulation des médias s’est libéralisée sous l’impulsion des politiques européennes et de la démultiplication de l’offre, la protection de l’enfance a été doublement privatisée : renvoyée en amont à des pratiques d’autorégulation ou de corégulation via la classification des contenus par les opérateurs (chaînes de TV) ou les producteurs (jeux vidéo), renvoyée en aval à la responsabilité des parents pour maîtriser l’accès des plus jeunes.
Plus de neuf parents sur dix adhèrent au principe de la signalétique télévisuelle et à peine moins pour celle des jeux vidéo. Persuadés dans leur très grande majorité que les signaux de la classification télévisuelle émanent d’une instance étatique, ils leur font très largement confiance. A travers ces signaux, les parents, comme les enfants, se prononcent massivement en faveur d’un idéal de régulation des médias. Ces pictogrammes sont des balises qui les aident à assumer une tâche de protection et d’éducation qu’ils revendiquent. Les parents perçoivent aussi clairement leur dimension normative et souhaitent, en les soutenant, apparaître comme des parents responsables.
Les déclarations des parents sont significatives. Les parents indifférents à la signalétique ont des enfants deux fois plus exposés aux contenus télévisuels violents les plus graves, comme aux jeux vidéo violents. Les parents qui y sont attentifs ont des enfants plus de deux fois plus nombreux à ne pas pouvoir donner de titres de jeux vidéo violents auxquels ils auraient joué. L’attention des parents comme celle des enfants aux pictogrammes chiffrés n’assure certainement pas une protection étanche vis-à-vis des contenus à risques, qui sont disséminés dans l’environnement médiatique des enfants et qui leur restent souvent accessibles, mais elle en diminue nettement le niveau.
Mais les enfants respectent d’autant plus ces signaux que les parents eux-mêmes y accordent de l’attention. Loin de constater un effondrement de la transmission verticale, nous constatons qu’elle peut fonctionner pour les préadolescents dans l’environnement médiatique, dès lors qu’elle peut trouver des points d’appui.
Au final, le succès des classifications de contenus, produit de la corégulation des pouvoirs publics et des opérateurs, mesure surtout l’efficacité de la médiation parentale, même si la plupart des consommations médiatiques s’effectuent dès cet âge d’une façon solitaire. Tout ce qui affaiblit l’autorité parentale en diminue aussi l’impact, et notamment la séparation des parents, leur faiblesse symbolique vis-à-vis de l’autorité médiatique. Sur ce plan, tous les parents ne sont pas équipés à égalité. Les parents des milieux populaires hésitent davantage à interdire, de peur de « passer pour des ringards ».
Sur Internet, les recommandations des parents sont plus floues. Se sentant souvent mal assurés eux-mêmes, ils s’en remettent davantage aux enfants en les culpabilisant de leurs mauvaises rencontres et négligent des précautions élémentaires d’entretien de l’outil informatique, de création de sessions individuelles… Aucune émission de télévision grand public ne les y aide à ce jour. Vis-à-vis des radios, malgré les nombreuses alertes du CSA, les parents restent confiants et n’imposent que peu de restrictions.
Les parents sont donc aujourd’hui les gardiens en dernier ressort de la régulation médiatique dans la sphère familiale. Sauf situation de marginalité ou de fragilité particulière, leur vigilance est loin d’être éteinte. Encore faut-il les informer régulièrement sur les moyens d’agir par des communications claires qui les respectent, et solliciter leur participation à une corégulation, au lieu d’alimenter leur inquiétude, déjà vive. Quant à stigmatiser leur irrationalité, c’est risquer de faire long feu.
Les statistiques données dans cet article sont issues d’une thèse intitulée « Enfants, parents, médias et société du risque. Les classifications de contenu permettent-elles une régulation des médias ? ».
Vous avez apprécié cet article ?
Soutenez Telos en faisant un don
(et bénéficiez d'une réduction d'impôts de 66%)