Immigration: combien ça coûte ? edit
Toute tentative d’évaluation de l’impact de l’immigration sur le budget public, et plus particulièrement sur les comptes sociaux, revient à entrer en terrain miné. Banale dans les pays anglo-saxons, la moindre étude de ce genre a longtemps été soupçonnée en France d’intentions malignes à l’encontre des quelque 5,3 millions d’immigrés (dont plus de 2 millions sont aujourd’hui français). Et pourtant ! Périodiquement, ce débat passionnel sur les étrangers renaît, enfle et dérape. Peu de chiffres mais beaucoup de fantasmes. Une approche économique de la question, consistant à effectuer le bilan du poids de l’immigration sur les finances publiques, s’avère ainsi indispensable afin de dépasser certains préjugés. Une telle approche permet de comprendre en quoi l’immigration induit essentiellement un effet de taille sans qu’il y ait pour autant dégradation massive des comptes sociaux.
Tout d’abord, nombreux sont ceux qui mettent en exergue le fait que les immigrés (on entend par là toute personne née à l’étranger de nationalité étrangère) sont surreprésentés s’agissant de certains risques sociaux tels que le risque chômage ou famille. Afin de le vérifier, l’enquête budget des familles de 2006 permet d’évaluer la situation relative des migrants en matière d’utilisation de la protection sociale. Ainsi, par rapport aux autochtones, les immigrés (hors Union Européenne) seraient environ 1,6 fois plus nombreux à recevoir des allocations chômage, 3,8 fois plus représentés parmi les bénéficiaires du RMI et en moyenne 2,5 fois plus dépendants des aides au logement. Bien évidemment, ce n’est pas leur statut propre qui explique ces différences dans l’accès à certaines prestations sociales mais un certain nombre de leurs caractéristiques sociodémographiques : en moyenne, ils sont plus jeunes (70% des immigrés ont entre 20 et 60 ans contre 53% chez les autochtones), moins qualifiés (par exemple, presque 50% des immigrés âgés de 30 ans en 2006 avait un niveau de diplôme inférieur au baccalauréat contre 34% chez les autochtones) et ont davantage d’enfants (2,6 enfants par femme pour les immigrées contre 1,8 chez les femmes autochtones). Pour autant, à caractéristiques égales, la surreprésentation des populations immigrées dans les dispositifs d’aide au logement et d’allocations chômage se maintient en partie tandis qu’elle disparaît pour tous les dispositifs d’aide à la famille. L’explication tient dans ce cas dans les difficultés d’insertion qu’ils peuvent rencontrer sur le marché du travail (leur taux de chômage est environ deux fois supérieur au reste de la population).
Mais ce qu’on dit moins est que cette surreprésentation pour certains risques sociaux, tel que nous venons de la mettre en évidence, est du fait de leurs caractéristiques associée à une sous représentation pour d’autres risques tels que le risque vieillesse ou santé. Une explication réside dans la moindre utilisation du système de santé (entrainée fréquemment par un retour au pays d’origine après la vie active ou par une moindre couverture par les mutuelles) et des pensions relativement plus faibles en raison de carrières professionnelles moins remplies. Quand on sait que ces deux risques représentent plus des trois quart de nos dépenses sociales ! Une vision globale est donc plus que nécessaire lorsqu’on aborde cette question complexe de la redistribution opérée par la protection sociale. En poussant cette logique à l’extrême, cela revient sinon à pointer également du doigt les chômeurs, les retraités, les handicapés, les pauvres ou les malades, bref à remettre en cause la notion même de justice sociale.
Il convient ensuite de rappeler que les immigrés participent également au financement de la protection sociale au travers des cotisations qu’ils acquittent. Dans une pure logique comptable, on pourrait alors évaluer leur contribution nette (différence entre les contributions et les prestations) ce qui permettrait in fine de s’interroger sur les éventuels bienfaits d’une réduction de l’immigration, telle qu’elle est souvent défendue. A nouveau, les migrants ont une participation moindre au budget public puisqu’ils sont relativement moins qualifiés que les autochtones et connaissent plus de difficultés à s’insérer sur le marché du travail : par exemple, le total des taxes (impôt sur le revenu, TVA, cotisations sociales, etc.) versées par un immigré âgé de 35 ans en 2005 était en moyenne de l’ordre de 20% inférieur à la contribution moyenne du natif. Est-ce dès lors un argument suffisant pour conclure à un surcoût budgétaire de l’immigration ? Sans équivoque, la réponse est négative. En effet, notre système de protection sociale est essentiellement ascendant c'est-à-dire que les transferts se font pour l’essentiel des actifs vers les plus âgés. Ainsi, même si pour un âge donné la contribution nette des migrants est toujours inférieure à celle des autochtones (sauf au-delà de 60 ans du fait de leur sous représentation dans les risques vieillesse et santé), le fait qu’ils soient en moyenne plus jeunes (et donc regroupés dans les catégories de contributeurs nets à la protection sociale) va venir entièrement contrebalancer l’éventuel « surcoût » pour certaines branches de la protection sociale. Ainsi, la contribution nette globale de l’immigration au budget des administrations publiques serait positive et de l’ordre de 3,9 milliards d’euros pour l’année 2005. Au final, moins d’immigration c’est à la fois moins de dépenses sociales mais c’est aussi et surtout moins de cotisants.
Toutefois, une telle approche statique ne permet pas de connaître avec précision l'ampleur et le signe de la contribution nette des migrants au système de transferts sociaux. Un des problèmes cruciaux des estimations précédentes est de mesurer l'impact fiscal immédiat de l'immigration, qui varie par nature avec la structure par âge. On sait par exemple que les revenus d’une famille d’immigrés croissent avec le temps alors que les services qu’ils reçoivent diminuent ; qu’une partie des immigrés prétendra plus tard comme les natifs à leur pension de retraite, qu’une autre partie non-négligeable retournera dans les pays d’origine après la cessation d’activité. Le niveau d’analyse correcte ne peut donc qu’être intergénérationnel de sorte à intégrer les effets de cycle de vie. Dès lors, l’impact global de l’immigration, tel que projetée dans les prévisions officielles, apparaît légèrement positif dans le long terme du fait de l’apport perpétuel d’individus d’âge actifs et de la prise en compte de la contribution nette des descendants de ces immigrés : en son absence, le besoin de financement de la protection sociale à l’horizon du siècle augmenterait de 2 points de PIB.
Ce gain potentiel découlant de l’immigration est-il une raison suffisante pour orienter la politique migratoire en réponse au défi du vieillissement démographique ? Le Conseil d’Orientation des Retraites a récemment montré qu’un accroissement des entrées de 50 000 par an pourrait réduire le déficit des régimes de retraites d’un demi-point de PIB à l’horizon 2050. Ce qui est loin d’être négligeable mais reste relativement faible lorsque l’on compare ces résultats aux transformations démographiques qu’impliquent ces flux migratoires. Une politique plus sélective (en faveur des travailleurs qualifiés) permettrait d’amplifier ces gains à court-moyen terme tout en réduisant les évolutions démographiques, mais dans des proportions qui restent relativement faibles. Mais surtout, et contrairement à une idée reçue dans le débat public, cette amélioration n’est que temporaire puisque ces migrants vieilliront à leur tour. Il convient alors de bien différencier les politiques migratoires menées dans un objectif purement démographique de celles orientées dans un souci d’ajustement du marché du travail. Dans le premier cas, l’utilisation de l’immigration de masse afin de modifier la structure par âge de la population est vouée à générer une dynamique de population insoutenable à long terme. Mais si la solution du problème ne peut se réduire à une immigration de remplacement, la question de la contribution de l’immigration reste posée. Dans le second cas, l’apparition de pénuries de main-d’œuvre peut légitimer une relance de la politique migratoire ce qui nécessiterait un contrôle relativement fin des niveaux et de la structure des entrées, par exemple au travers de la mise en place d’un système à points semblable à ceux existant au Canada ou en Australie. Au final, la question qui consisterait à définir quel est le volume d’immigration acceptable et quels types de flux migratoires autoriser reste entièrement ouverte. Elle ne peut cependant s’extraire totalement d’un certain nombre de considérations juridiques et ethniques.
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