Le nouveau marché syndical edit
Le 29 mars, le ministère du Travail a publié les résultats consolidés des élections professionnelles dans le secteur privé. Ces résultats compilent les voix recueillies par les différents syndicats lors des élections professionnelles d’entreprise. Ils ont été livrés par branches et au niveau national interprofessionnel. Ils serviront à établir la représentativité des syndicats dans chaque branche professionnelle et au plan national interprofessionnel. Quelles conclusions peut-on tirer de ces résultats ?
Rappelons brièvement les nouvelles règles du jeu. Pour faire partie des organisations représentatives, il faut être crédité d’au moins 8% des voix tant au niveau national interprofessionnel qu’au niveau de chaque branche. De plus, la réforme institue une nouvelle règle pour la signature des accords : une organisation doit représenter 30% de voix pour pouvoir signer seule ; pour s’opposer à un accord, les organisations doivent représenter 50% des électeurs. Les commentaires des résultats des élections professionnelles se sont souvent réduits à constater que la représentativité des cinq confédérations syndicales qui dominent le paysage syndical français était reconduite. Or ces résultats offrent matière à davantage de réflexions.
Les résultats offrent deux surprises. La première est que la CFDT avec 26% des voix talonne la CGT qui en recueille 27%, alors que l’on pouvait s’attendre à une plus forte domination de cette dernière. La seconde surprise est que la CFTC avec 9,3% des voix conserve sa représentativité et déjoue les pronostics qui annonçaient son élimination. Avec FO à 16% et la CFE-CGC à 9%, cinq confédérations franchissent donc le seuil de 8%, tandis que l’Unsa et Solidaires avec respectivement 4,3 et 3,5 échouent. Ces deux organisations avaient bénéficié d’une survalorisation d’une partie des médias, comme des responsables politiques qui leur ont accordé des places dans certaines institutions sans que cette désignation soit toujours en rapport avec leur représentativité.
Ces résultats révèlent un comportement différent des électeurs selon qu’ils doivent désigner des personnes qu’ils connaissent ou qu’ils sont appelés à choisir une organisation sur son nom, sur son image. Ainsi la CGT réunit aux élections prud’homales 34 % de voix mais n’en obtient plus que 27 % à ces élections professionnelles. Dans l’entreprise, les salariés votent pour des représentants syndicaux dont ils apprécient les idées et les actions. Aux élections prud’homales, ils choisissent des candidats d’organisations qu’ils ne connaissent qu’à partir de la représentation qu’ils en ont.
Au final, on dénombre deux grandes confédérations, CGT et CFDT, une confédération moyenne, FO, deux petites confédérations, la CFTC et la CFE-CGC. Cette dernière n’arrive que troisième dans le collège cadre, ce qui relativise considérablement sa représentativité, puisque c’est au nom de la spécificité cadre qu’elle justifie son existence. Ces résultats chiffrés illustrent les différentes cultures sociales qui traversent la société française : marxiste, sociale-démocrate, laïque, catholique, catégorielle. Ainsi se fonde le caractère quasi définitif du pluralisme syndical du pays.
La lecture des résultats par branches est aussi révélatrice : là où la CGT domine, la CFDT est faible, et inversement, là où la CFDT est première, la CGT est loin derrière. Il y comme une répartition de « marchés syndicaux ». Pour simplifier, la CGT tient le secteur industriel et du bâtiment, la CFDT celui du tertiaire. La CGT domine chez les ouvriers, la CFDT chez les employés et techniciens, FO dans le commerce de détail. Il ne sera pas aisé pour l’un de pénétrer fortement le secteur de l’autre. Ainsi aussi se perpétue un pluralisme syndical qui est fondé sur des catégories ou des secteurs.
Les changements dans la répartition des emplois selon les secteurs peuvent aussi aboutir à des modifications dans les rapports de force électoraux. En clair, la CFDT et la CFE-CGC peuvent profiter de la poursuite du recul de l’emploi industriel et de la hausse des qualifications de la main d’œuvre.
Cette réforme est donc salutaire pour les enseignements qu’elle offre aux syndicats d’abord, à l’opinion ensuite. Dans d’autres pays à pluralisme syndical comme la Belgique ou l’Espagne, ce système instauré de longue date n’est pas contesté.
Les initiateurs de la réforme en attendaient-ils une diminution du nombre d’organisations syndicales ? Dans ce cas, le résultat n’est pas probant. Certes l’Unsa et Solidaires qui espéraient entrer dans l’enceinte des représentatifs restent à la porte. Mais renoncent-ils pour autant à concourir la prochaine fois, dans quatre ans ? Leurs réactions à ce jour ne le laissent pas penser. Cinq confédérations, cela reste beaucoup plus que dans la plupart des pays européens. Malgré cette réforme, le pluralisme syndical français a de beaux jours devant lui.
Il faut toutefois nuancer cette analyse. Dans les branches où se négocient les conventions collectives, la règle du 8% pour participer aux négociations va réduire dans de nombreux cas le nombre d’organisations participantes. Ici la réforme peut jouer un rôle de structuration et de simplification du jeu des acteurs.
Enfin, c’est la façon dont les accords au plan professionnel et interprofessionnel pourront être dorénavant conclus qui aura le plus d’effet. En fixant un seuil de 30% de voix pour signer un accord et de 50% pour s’y opposer, la réforme peut créer une dynamique d’alliances et en même temps créer un suspense lors de la négociation de certains accords importants. Quand aucune organisation n’atteint le seuil de 30% nécessaire pour qu’un accord soit valable, les syndicats vont se trouver devant des choix où leur responsabilité sera en jeu. La fin d’accords signés par un ou deux petits syndicats donne à la négociation collective un intérêt et une autorité supplémentaires.
Le dialogue social français vient de faire un pas dans la transparence et la modernité. Qui s’en plaindra ?
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