Les jeunes sont-ils violents? edit

17 juillet 2023

Les émeutes qui se sont déroulées ces dernières semaines ont montré un niveau de violence qui semble inédit. On s’en est pris à des établissements publics, des magasins ont été pillés, des écoles incendiées. Les jeunes ont été en première ligne et parmi eux, les jeunes des cités (même si les violences se sont aussi répandues dans de petites villes, contrairement à 2005), parmi lesquels, on le sait, les jeunes d’origine étrangère sont fortement surreprésentés. Mais ces impressions demandent à être confirmées par des données plus solides. Peut-être y aura-t-il une exploitation des données concernant les mises en jugement des personnes interpelées, ce qui constituerait une information précieuse sur le profil des émeutiers (si ceux qui sont interpelés sont bien représentatifs des émeutiers).

On dispose déjà cependant, grâce à une vaste enquête qui avait été menée en 2021 sur les 18-24 ans[i] et qui comprenait une batterie de questions sur le rapport à la violence, d’informations précieuses sur le sujet. Le tableau 1 présente les réponses à un ensemble de questions sur la tolérance à la violence dans la vie publique. Pour l’ensemble des comportements répertoriés en ligne, on demandait aux jeunes (ainsi qu’à deux échantillons complémentaires de la génération des parents et des baby-boomers) de dire s’ils les trouvaient « acceptables », « pas acceptables mais compréhensibles » ou « jamais acceptables dans la société actuelle ». Dans le tableau les % regroupent les réponses « acceptables » et « compréhensibles » (des réponses corrélées sur l’ensemble des items et s’opposant à la réponse « jamais acceptables »). Les résultats sont ventilés en colonne en fonction des origines nationales des jeunes (selon le lieu de naissance du jeune et de celui de ses parents, par exemple une origine Maghreb signifie que le jeune lui-même ou un de ses parents est né au Maghreb). Les résultats sont classés par ordre décroissant des réponses de l’ensemble des jeunes. Je me contenterai dans ce papier de livrer les faits bruts qui ressortent de cette enquête. Plusieurs enseignements peuvent en être tirés.

Tableau 1. La tolérance à la violence publique chez les jeunes en fonction de l’origine et chez les adultes (source : enquête Jeunesse plurielle, Institut Montaigne 2021)

% trouvant acceptables ou au moins compréhensibles les comportements suivants

Lecture : les % regroupent ceux qui ont répondu « acceptable » et « pas acceptable mais compréhensible » (par opposition à « jamais acceptable »). Une analyse statistique montre que ces deux premiers items sont corrélés

* la question précisait : (Poste, écoles, perceptions d’impôts…)

Les institutions et les hommes politiques particulièrement ciblés

Le premier enseignement frappant est que la prise à partie des politiques (« s’affronter à des élus pour protester » et « insulter le Président de la République ») est le comportement violent le plus largement toléré. Pas loin de la moitié des jeunes trouve cela acceptable ou compréhensible. Mais dans ce domaine, il y a relativement peu de différences entre les catégories de jeunes, et même relativement peu de différences entre les générations. À un degré moindre l’item « pénétrer de force dans un ministère ou une préfecture pour interpeler directement un représentant de l’Etat » recueille un nombre important de suffrages (37% des jeunes et presque un tiers des adultes) et là également sans de fortes variations selon l’origine des jeunes. Ces résultats semblent montrer que la défiance et l’hostilité à l’égard des institutions et des hommes politiques sont assez largement partagées.

Les jeunes et général et ceux d’origine étrangère en particulier effectivement plus tolérants à l’égard de la violence publique

Deuxième enseignement, dans l’ensemble, les jeunes sont nettement plus tolérants à la violence publique que les deux générations plus âgées interrogées dans l’enquête (la génération des parents et celle des baby-boomers). C’est surtout vrai pour la violence physique (se battre avec la police ou avec d’autres) et pour les dégradations de biens publics ou privés. Les jeunes sont souvent deux fois plus tolérants à l’égard de ces comportements que les générations plus âgées. Ces résultats ne nous permettent pas de dire s’il s’agit d’un effet d’âge (auquel cas, cette tolérance à la violence diminuerait avec le vieillissement) ou d’un effet de génération (auquel cas elle perdurerait). Il est néanmoins assez frappant de constater que 16% des jeunes trouvent acceptable ou compréhensible le fait de dégrader l’espace public et que 14% émettent la même appréciation concernant la dégradation d’établissements publics (poste, écoles, perceptions d’impôts… était-il précisé dans la question), des pourcentages qui sont loin d’être négligeables pour des actes d’une extrême gravité.

Troisième enseignement, les jeunes d’origine étrangère sont effectivement nettement plus tolérants à l’égard de la violence publique que les jeunes d’origine française (nés en France de deux parents nés en France). Les écarts sont particulièrement forts concernant la dégradation des biens publics ou privés : dans ces cas, le taux de jeunes d’origine étrangère qui trouvent ces comportements acceptables ou compréhensibles n’est pas loin d’être deux fois plus élevé que celui des jeunes d’origine française. Ce sont entre un jeune d’origine étrangère sur quatre et un jeune sur cinq qui montre une certaine tolérance à l’égard de ces dégradations. Il est assez frappant de constater que la dégradation d’établissements publics est plus largement acceptée que, par exemple, la dégradation de commerces.

Concernant ces jeunes d’origine étrangère un résultat moins attendu peut-être concerne les jeunes originaires d’Europe du sud (Italie, Espagne, Portugal essentiellement) : ces jeunes semblent particulièrement tolérants à l’égard de la violence publique ; ils le sont un peu plus que les jeunes maghrébins[2]. Un effet de la culture méditerranéenne propre aux pays du sud de l’Europe ? Ce résultat est assez frappant car plus personne ne parle de problèmes d’intégration sociale des jeunes originaires de ces pays d’Europe.

Un tropisme masculin, mais qui n’est pas systématique

La tolérance à la violence publique est également plutôt une spécialité masculine. Cependant, ce tropisme genré sur la violence ne s’exerce pas dans tous les domaines, ce qui est plutôt une surprise. Ainsi, les jeunes filles sont presque aussi nombreuses que les garçons à tolérer l’affrontement avec la police et, surtout, elles excusent autant que les garçons les comportements violents à l’égard des institutions et des hommes politiques, ce qui prouve à nouveau à quel point cette défiance politique est généralisée. Les jeunes filles par contre sont nettement moins disposées à justifier les violences entre personnes et l’ensemble des dégradations de bâtiments et de biens publics ou privés. On notera que le surcroît masculin de tolérance à la violence est particulièrement marqué parmi les jeunes originaires d’Europe du sud, ce qui semble confirmer le particularisme des jeunes appartenant à cette aire culturelle.

La corrélation violence-déviance-tensions avec la police

L’enquête posait également des questions sur un certain nombre de comportements déviants (ne pas payer son billet de train, conduire sans permis et sans assurance etc.). Il y a une assez bonne corrélation entre la justification de ces comportements déviants et la tolérance pour la violence publique[3]. Par ailleurs, les jeunes qui ressentent plus fortement les tensions avec la police (mesurées à travers deux questions sur la fréquence ressentie des contrôles de police et le sentiment qu’ils sont ou non excessifs) justifient nettement plus souvent la violence publique.

On voit bien se dessiner le cercle d’interrelations entre la tolérance à l’égard des comportements déviants, les tensions qu’elle peut générer avec les forces de l’ordre et la justification de comportements violents à l’égard des institutions et des représentants de la loi. Bien sûr, les causes des émeutes ne peuvent se réduire à ce schéma, sûrement simplificateur, le phénomène étant certainement plurifactoriel et comportant d’autres déterminants économiques et sociaux qui n’ont pas été analysés dans ce court papier. Néanmoins les éléments qui y ont été rapportés font certainement partie de l’équation.

En tous les cas, la tentative du ministre de l’Intérieur de démentir l’idée selon laquelle les émeutes seraient liées à la mauvaise intégration des populations d’origine immigrée (en citant les prénoms de Matteo et Kevin parmi les personnes interpelées) ne résiste pas vraiment à l’analyse. D’un autre côté la tentative de la droite de lier ces événements aux entrées actuelles de migrants sur le territoire et à une immigration qui serait incontrôlée est tout aussi absurde, car les jeunes en question appartiennent aux deuxièmes ou troisièmes générations d’immigrés et sont bien de nationalité française. La question est donc bien celle, qui reste pendante, de leur intégration à la société française.

[1] Une jeunesse plurielle, Institut Montaigne 2021 ; voir aussi O. Galland 20 ans le bel âge ? Radiographie de la jeunesse française d’aujourd’hui, Nathan 2022

[2] Sur un score synthétique de tolérance à la violence publique, les jeunes d’Europe du sud ont le score moyen le plus élevé devant les jeunes originaires d’un pays africain hors Maghreb, puis les jeunes Maghrébins.

[3] Des scores synthétiques ont été construits à partir des questions sur la violence d’une part et des questions sur la déviance d’autre part. Le coefficient de corrélation entre ces deux scores est de 0,355.