Trump, les réseaux sociaux et la crise de l’information edit

25 novembre 2016

Le matin du 8 novembre, jour du scrutin présidentiel aux États-Unis, le Washington Post envoya un email pour indiquer que selon ses estimations, Hillary Clinton obtiendrait au moins 275 mandats soit 5 de plus que le minimum nécessaire pour être élu. En fin de soirée les médias annonçaient l’élection de Trump avec plus de 280 mandats.

Deux jours plus tard, le président du New York Times Arthur Sulzberger et le rédacteur en chef, Dean Baquet, envoyaient un email embarrassé à leur 1600 000 abonnés pour justifier le travail rédactionnel du journal qui avait évalué pourtant à 90% les chances d’Hillary Clinton d’être élue.

C’est peu dire que l’élection de Donald Trump a provoqué une remise en cause radicale de la politique éditoriale des médias et plus particulièrement de la presse écrite ainsi qu’un examen de conscience qui a alimenté de très nombreux articles depuis le 8 novembre. 229 quotidiens avaient pris position en faveur de Hillary Clinton, 9 en faveur de Trump. Parmi les chaînes d’information, seule Fox News avait clairement soutenu le milliardaire. Le résultat du scrutin a montré la faible influence des médias traditionnels et l’incapacité de leurs éditorialistes à comprendre le mécontentement d’une grande partie de la population même si de nombreux reportages sur le terrain avaient révélé les réserves des électeurs à l’encontre de Hillary Clinton, y compris dans une communauté hispanique pourtant stigmatisée par Donal Trump.

Dans une longue analyse publiée par le centre de recherche Nieman Lab, Joshua Benton souligne le rôle important joué par Facebook dans la désinformation des citoyens. Il est vrai que près de la moitié des Américains s’informent en priorité grâce aux pages d’actualité que leur fournit le réseau social. La seule catégorie de la population qui donne la priorité aux journaux est celle des plus de soixante-cinq ans. Or, les partisans de Trump se sont beaucoup plus mobilisés sur Facebook et Twitter que les supporters de Hillary Clinton, 11,9 millions pour le nouveau président sur Facebook contre 7,8 millions en faveur de Hillary. Pour Twitter, les chiffres sont comparables.

Ce ne serait qu’un moindre mal si les informations diffusées par le réseau social étaient fiables mais ce n’est pas le cas. Déjà pendant la campagne, de nombreux observateurs avaient souligné que les algorithmes dont Facebook est si fier font preuve en réalité d’un aveuglement total sur la qualité des contenus et se contentent de sélectionner les informations qui correspondent au profil de l’usager. Celui-ci est donc conforté en permanence par des nouvelles même totalement aberrantes mais qui renforcent son opinion et celle de ses amis. Benton cite le cas d’une annonce selon laquelle le pape François soutenait publiquement Trump. C’était évidemment faux mais deux millions de personnes la consultèrent alors que seulement 30 000 eurent accès au démenti.

Enfin, on a souligné l’écart entre la qualité des contenus des sites soutenant les Républicains et ceux qui appuient les Démocrates. Pour les trois principaux sites de droite repris par Facebook, on compte 38% d’informations fausses contre 19% pour les trois sites principaux de gauche.

Même si la poussée de populisme qui a permis l’élection de Donald Trump a bien d’autres causes, il paraît évident que la diffusion massive d’informations tendancieuses ou carrément inexactes sur les réseaux sociaux qui deviennent la référence en matière d’information au détriment d’une presse en plein déclin a eu forcément une influence sur le vote.

Comment peut-on remédier à une situation à laquelle les Français, en pleine campagne pré-présidentielle, ne peuvent être indifférents ? Les responsables des grands journaux américains reconnaissent qu’ils doivent être plus à l’écoute de catégories sociales marginalisées et donc négligées alors que des deux côtés de l’Atlantique, l’écart se creuse entre les grandes métropoles prospères, dynamiques et surinformées et des zones en crise auxquelles les grands medias s’intéressent peu et dont les habitants s’informent de plus en plus par les réseaux sociaux qui ont le mérite d’être gratuits

Il est clair cependant que la situation très particulière de Facebook est au cœur du débat et, là encore, la France ne peut être indifférente à la polémique qui s’est développée à ce sujet aux États-Unis depuis le 8 novembre.

Tout en reconnaissant leur rôle majeur dans l’information des citoyens, les dirigeants de Facebook ont, jusqu’à présent, refusé d’assumer les responsabilités d’un média. Ils ont même dissous l’équipe de collaborateurs qui s’occupait de sélectionner les sujets d’information et qui avait été contestée par les Républicains, pour s’appuyer exclusivement sur des algorithmes censés résoudre miraculeusement les questions de contenu.

Le flot d’informations non seulement fausses mais aussi diffamatoires qui s’est déversé pendant la campagne au détriment surtout d’Hillary Clinton a obligé Mark Zuckerberg à infléchir un peu sa position, suivi par Google, concerné par Google News et son service publicitaire AdSense. Le Washington Post du 16 novembre indique que les deux géants s’engagent à mieux vérifier la teneur des nouvelles qu’ils véhiculent et à éliminer les contenus les plus discutables. Google envisage notamment de rompre ses accords publicitaires avec les sites à caractère haineux ou diffamatoire qui, du coup, auront plus de mal à se financer. On ignore néanmoins quels seront les critères qui permettront de qualifier ainsi ces sites.

Facebook, de son côté est très discret sur les moyens surtout économiques qu’il compte déployer pour réaliser cet objectif. Son refus obstiné de s’accepter comme un média fonctionnant avec des journalistes professionnels, une rédaction en chef et une obligation de vérifier les informations et de respecter l’éthique de la profession est d’autant plus choquant que son rôle de fournisseur d’informations contribue à la notoriété et à la prospérité de l’entreprise qui se targue de 1,8 milliards d’abonnés sur la planète. Comme le souligne Paul Boczowski, un autre collaborateur de Media Lab, en 2015, Facebook a déclaré un bénéfice de 3,6 milliards de dollars alors que le New York Times, le plus beau fleuron de la presse américaine, qui entretient 1100 journalistes annonçait un profit de seulement 63 millions ce qui le contraindra probablement à réduire significativement ses effectifs dans l’avenir.

Une telle disproportion est difficilement acceptable. Peut-on espérer que cette situation qui menace économiquement et éthiquement l’information de qualité évolue de manière positive ? Il ne faut guère compter sur une réaction de l’administration américaine. On ne voit pas pourquoi l’équipe de Trump remettrait en cause un état de fait qui l’a puissamment aidé pendant la campagne électorale. L’Europe, à condition de parvenir à prendre une décision unanime a les moyens d’exercer une pression forte sur Facebook, Google et Twitter pour les contraindre à adopter une attitude de médias responsables. L’enjeu est capital. Si on ne parvient pas à réformer en profondeur l’information numérique qui dominera de plus en plus le monde des medias, les manipulations des électeurs ruineront nos institutions démocratiques.

Lire aussi, sur les aspects juridiques spécifiquement américains qui expliquent la position des réseaux sociaux, l’analyse des experts de la Wharton School publiée sur le site de notre partenaire ParisTech Review.