Dilma devra-t-elle rompre avec Roussef? edit
Lorsque, en 2007, se pose la délicate question de la succession du Président Lula, peu de regards se tournent vers Dilma Rousseff. Pourtant, l’ancien métallo décide d’en faire sa dauphine. Pour Lula, les faiblesses supposées de sa protégée sont au contraire des atouts dans sa quête de pérennisation du projet politique du Parti des Travailleurs (PT) à la tête du pays. N’a-t-elle jamais gagné le moindre scrutin ? Cela la rendra redevable du parti et de son mentor. N’est-elle pas réputée pour être une technocrate froide ? Cela permettra de lui façonner une image de bonne gestionnaire, essentielle pour aspirer à gagner la Présidence de la République. Car le Président Lula et ses conseillers en sont convaincus : le bilan économique et social du PT au pouvoir est en mesure de porter un(e) candidat(e) au Palais du Planalto, aussi inconnu soit-il (elle) des Brésiliens, à condition que ce (cette) dernier (dernière) réussisse à incarner la continuité des années Lula. Dilma Rousseff, qui fut ministre de l’Energie (2002-2005) puis de la Maison Civile de la Présidence (2005-2010), et à ce titre coordinatrice de l’action gouvernementale, correspond à ce profil. Franklin Martins et João Santana, les communicants du Président, se chargeront de construire ce message, qui sera amplement relayé durant la campagne. Avec plus du tiers du temps d’antenne à la télévision mis à la disposition des candidats, la coalition soutenant Dilma Rousseff réussira à mettre sur orbite l’ancienne ministre, ce qui lui permettra in fine de devenir, avec près de 57% des voix, la première femme Présidente du Brésil.
Si la construction d’une vaste coalition électorale fut déterminante pour garantir la victoire de Dilma Rousseff, son maintien en tant que majorité gouvernementale constituait un enjeu tout aussi essentiel. En effet, le régime politique brésilien issu de la Constitution de 1988 se singularise par l’existence d’un système politique présidentialiste évoluant dans un système de partis particulièrement fragmenté (le « présidentialisme de coalition »). Or, contrairement à sa quasi-omniprésence médiatique dans la presse internationale (ainsi que dans les travaux universitaires européens portant sur les partis politiques), le PT n’a jamais été majoritaire au Parlement. De ce fait, Lula s’employa à construire et à élargirsa majorité, quitte à faire alliance « avec Judas » (en reprenantses mots). C’est cette coalition hétéroclite, allant de l’extrême gauche au centre-droit et aux intérêts divergents (voire opposés), qui constituera l’ossature politique du gouvernement de Dilma Rousseff.
Or, le legs économique et politique des gouvernements Lula, qui constituait le ciment de cette ossature, commença à prendre l’eau. L’économie, qui avait été tirée vers le haut par l’augmentation du prix des matières premières destinées à l’exportation, ainsi que par la dynamisation du marché intérieur ne croit plus à la vitesse souhaitée. Surtout, une perception de cherté de la vie s’est installée, dégradant les perspectives économiques des brésiliens, notamment de ceux qui accédèrent au marché de consommation de masse durant les années Lula (estimés à 40 millions de personnes selon l’INSEE Brésilien). Ces derniers, qui avaient constitué le cœur de l’électorat acquis au PT depuis 2002, prirent leurs distances avec la Présidente. Peu à peu, ce hiatus entre le discours (positif) du gouvernement et la perception (négative) des Brésiliens de la « Classe C » s’amplifia, devenant une colère sourde qui déboucha, en juin 2013, sur une révolte sociale dans les grands centres urbains. Cette mobilisation massive écorna l’image de la Présidente, qui était jusqu’alors bien évaluée dans les études d’opinion. Dès lors, ses relations avec la majorité, qui pouvaient être difficiles, mais qui s’exprimaient mezza voce, commencèrent à devenir explicites.
En effet, contrairement à son mentor, adepte du contact avec les politiques, Dilma Rousseff n’accorda qu’une place subalterne dans son agenda au dialogue avec sa majorité, au profit d’un suivi détaillé – voire obsessionnel pour certains – des programmes gouvernementaux. Ayant le vent en poupe dans d’opinion en début de mandat, Dilma Rousseff n’hésita pas à démettre 11 ministres de son gouvernement accusés – àtort ou à raison – de malversations. Ces remaniements, réalisés sans ménagement, contribuèrent à distancer la Présidente de sa majorité, et notamment du Parti du Mouvement Démocratique Brésilien (PMDB). Ce ne fut donc pas une surprise si la majorité resta silencieuse lors des manifestations de 2013. Il n’empêche que, dans la perspective des présidentielles de 2014, Dilma Rousseff disposait de l’attribut de la fonction présidentielle (notamment du pouvoir de nomination), ainsi que du soutien du charismatique Lula, pour l’emporter, d’autant plus que l’opposition n’avait pas réussi à traduire politiquement l’insatisfaction populaire. Sans alternatives concrètes de pouvoir, les partis de la majorité finirent par adhérer, sans conviction, à la candidature de la Présidente. Comme en 2010, les communicants de Dilma Rousseff réussirent un « tour de force », en positionnant l’image deDilma Rousseff comme un acteur du changement, alors que la fonction Présidentielle la prédestinait à incarner la continuité. Au terme d’une campagne d’une rare agressivité, DilmaRousseff fut réélue avec 51.6% des voix. De son côté, le PT réussissait à gagner la Présidence de la République pour la quatrième fois consécutive. Un record.
Pour autant, malgré la mise en évidence de la fragilité de la coalition gouvernementale lors du cycle électoral de 2013-2014, Dilma Rousseff ne se rapprocha pas de sa majorité suite à sa réélection, alors qu’un scandale aux implications politiques et économiques majeures venait de faire son apparition. En effet, durant la campagne électorale, plusieurs médias (pour la plupart proches de l’opposition) avaient fait état d’une enquête de la police fédérale concernant un vaste système de corruption liant des membres éminents de la majorité et de l’opposition avec des intermédiaires véreux, des dirigeants des principales entreprises de BTP et des cadres dirigeants de la principale entreprise publique du pays, Petrobras, visant à alimenter les caisses noires des partis politiques et les comptes en banque de ces hommes politiques.Suite au scrutin d’octobre, la justice mit en examen plusieurs hommes d’affaires ainsi qu’une cinquantaine de parlementaires de la majorité soupçonnés par la police d’avoir pris part à ces malversations. Or, non seulement le gouvernement ne se prononça pas sur le sujet, mais il tenta de profiter de cette conjoncture politique pour tenter de reconfigurer les contours de sa majorité au détriment du PMDB, suite aux différents entre la Présidente et ce parti durant son premier mandat. L’élection des Présidences du Sénat et de la Chambre des Députés, en février, fut l’occasion pour le parti centriste de faire valoir son influence sur les partis de la coalition gouvernementale. Malgré leurs mises en examen dans l’affaire Petrobras et les mises en garde du gouvernement, Renan Calheiros et Eduardo Cunha réussirent à être élus présidents des deux Chambres. Dès lors, en faisant un usage immodéré de leurs prérogatives, ces derniers mirent enmouvement un agenda législatif contraire aux intérêts du gouvernement, débouchant sur une guerre de nerfs entre les deux pouvoirs.
Or, comme nous l’avons souligné, le Brésil est en panne de croissance depuis l’arrivée de Dilma Rousseff. La paralysiedes secteurs du BTP et de l’énergie (correspondant à près de 10% du PIB brésilien) suite au scandale Petrobras arrive au plus mauvais moment pour le gouvernement, qui mise désormais sur l’investissement privé pour relancer l’activité(par le biais de l’attribution de concessions), tout en réduisant les dépenses publiques afin d’assainir ses comptes. Toutefois, sans le soutien du Parlement, ces objectifs semblent inatteignables.
C’est donc face à cette crise politique et économique inédite, traduite par une brusque chute de la popularité de la Présidente (plus que 15% de satisfaits en mars 2015), que Dilma Rousseff dut se faire violence et accepta de sacrifier une part importante de ses prérogatives. Concernant l’économie, elle accorda une large autonomie à son ministre des finances, Joaquim Levy, bien vu des milieux financiers internationaux, afin de drainer des investissements privés. Pour la politique, elle décida d’accorder à son Vice-Président, Michel Temer (par ailleurs président du PMDB), un droit de regard concernant les nominations au sein de l’exécutif, afin de neutraliser la rébellion existante au sein de la majorité. Aujourd’hui, il est difficile de dire si cette mutation forcée de Dilma Rousseff lui permettra de reprendre la main sur l’agenda politique et économique du pays, et surtout, si elle lui permettra de renouer à moyen terme avec les années de croissance des années Lula.
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