NIMBY frappe la France… edit
Cet été, alors que se préparait le Grenelle de l’environnement, le débat sur le développement de l’énergie éolienne s’est enflammé. Dans le cadre des engagements internationaux pour la réduction des émissions et des objectifs européens en matière d’énergies renouvelables, le plan de Programmation pluriannuelle des investissements électriques prévoit l’installation de 12,5 GWe de puissance éolienne en 2010, soit environ 6 000 éoliennes de taille moyenne. C’est une révolution à prévoir dans les paysages, et même si les objectifs ne seront pas tenus à temps, elle est en cours et soulève déjà une opposition forte. Le syndrome NIMBY (Not In My BackYard – pas dans mon jardin) frappe donc en France pour l’énergie éolienne, alors qu’il a – cas unique en Europe – finalement épargné le nucléaire.
Le développement de l’énergie éolienne découle d’une double logique : par le sommet (top-down) et par la base (bottom-up). Par le sommet, les objectifs européens en matière de renouvelables imposent à tous les pays une contribution minimale dans leur production d’électricité. Pour la France, cette part doit être en 2010 de 21% au total, soit environ 6 % pour les renouvelables hors grande hydraulique. Alors que nous sommes très loin de ce chiffre, les gouvernements successifs ont dû adopter un système de prix de rachat garantis environ deux fois supérieurs aux prix de marché de l’électricité, afin de favoriser le développement des projets. Et cette politique commence à porter ses fruits, bien que l’essor de l’énergie éolienne en France soit encore incomparable à celui constaté au Danemark, en Allemagne et aujourd’hui en Espagne : dans ces pays les éoliennes se comptent par milliers.
Par la base, au plan local en France, l’initiative des projets résulte des efforts de prospection d’opérateurs spécialisés, qui financent les importants coûts de transaction associés au montage d’un dossier, puis les coûts de construction, avec en perspective les profits d’une production à prix garantis. Mais elle résulte aussi de l’action d’élus locaux, soucieux de développer de nouvelles ressources pour des territoires parfois en déclin. Aujourd’hui 1400 MWe sont déjà installés dans des sites très divers, par groupes de quelques unités ou dans des parcs plus importants.
Cependant la multiplication des projets, le fait qu’ils concernent de plus en plus des espaces « vides » ou purement agricoles suscitent une opposition croissante. Le premier attentat anti-éolien a eu lieu cet été, avec l’incendie d’un local technique et de deux pylônes. L’opposition à l’installation des éoliennes est structurée par des associations en général locales, mais fédérées et disposant ainsi d’un assez fort pouvoir d’impact. On ne peut toutefois analyser les oppositions aux éoliennes en France indépendamment d’une question qui n’a apparemment rien à voir : celle du nucléaire.
En effet les arguments des pro- et des anti-éolien ne peuvent éviter de faire référence à ce trait dominant du système énergétique français. L’électricité y est produite à 80% par de l’énergie nucléaire, avec pour conséquence des émissions de CO2 du secteur électrique bien inférieures à celles de nos voisins : un kwh entraîne l’émission de 350 g de CO2 en moyenne en Europe, de 85 g seulement en France. Pour certains des « anti », l’éolien ne se justifie pas du point de vue de ses effets sur le climat, alors que pour certains des « pro » l’éolien reste un élément central des stratégies de sortie du nucléaire.
Mais il faut en fait raffiner la sociologie des attitudes face aux deux sources d’énergie. On trouvera en effet des antis-éolien anti-nucléaire, des anti-éolien pros-nucléaire, des pro-éolien anti-nucléaire, enfin des pro-éolien pro-nucléaire ! Dans la première catégorie on trouvera des écologistes et néo-ruraux qui souhaitent la plus grande préservation des espaces naturels et agricoles et invoquent les économies d’énergie comme la solution principale, si ce n’est unique, des problèmes énergétiques. La deuxième catégorie regroupe souvent, notamment au sein des associations, des employés (ou ex-employés) des entreprises publiques du secteur de l’énergie, qui voient dans le nucléaire une solution fiable et considèrent que les fonds dépensés pour aider l’éolien constituent un gaspillage des deniers publics, au profit de quelques intérêts privés ou locaux. Les pro-éolien anti-nucléaire se trouvent en plus grand nombre dans la famille de l’écologie politique classique, au sein de sa frange la plus proche du courant des verts allemands. Enfin, les pro-éolien pro-nucléaire ne constituent sans doute pas le groupe le plus important : il faut en effet pour en faire partie considérer d’une part, que le nucléaire constitue une option à laquelle on ne peut échapper dans un contexte de lutte renforcée contre le changement climatique et d’autre part, que l’énergie éolienne constitue un complément utile pour la production d’électricité, dans un contexte européen plus diversifié et de plus en plus ouvert.
Or cette diversification sera d’autant plus utile que l’on souhaitera dans le futur renforcer l’électrification du bilan énergétique. Cela afin de limiter le recours au pétrole dans les transports et au gaz naturel dans le bâtiment, car l’hypothèse d’un pic de production pétrolière et gazière mondiale vers 2020-2030 est à prendre très au sérieux. Pour en rendre les conséquences moins sévères pour la France, le développement des solutions électriques, associées à de la production sans CO2, donc renouvelable et nucléaire, doit être encouragée. Aux Etats-Unis, on assiste depuis quelques mois, outre au redémarrage de l’énergie éolienne, à l’essor des associations en faveur du véhicule électrique hybride rechargeable sur le réseau. La firme Google a pris le relai et, après avoir couvert ses bâtiments de panneaux photovoltaïques, elle a lancé cet été un programme d’appels à projets de 10 millions de dollars pour le développement des hybrides rechargeables. Le slogan de son programme RechargeIT est : « rechargez votre voiture, rechargez le réseau, rechargez la planète ! »
La querelle de l’éolien renvoie donc la société française à des questions essentielles sur les objectifs de la politique énergétique et environnementale, l’articulation des stratégies d’offre et de demande, la nécessité ou non de diversifier le système et de rompre avec les exceptions françaises. Mais elle doit surtout conduire à réfléchir sur ce que nous sommes prêts à accepter, collectivement, pour que la lutte contre le changement climatique avance rapidement, sur la base de solutions technologiquement innovantes, quitte à ce que nous acceptions dans notre jardin beaucoup de centrales nucléaires et de plus en plus d’éoliennes.
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