Pari à Bali edit
A partir d'aujourd'hui et jusqu'au 14 décembre, les pays signataires de la Convention Cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique (CC-NU-CC) et les pays "parties" au Protocole de Kyoto se rencontreront à Bali, respectivement pour leur treizième et troisième conférence annuelle. Cette conférence sera l'occasion d'un déplacement massif d'officiels, de représentants d'organisations internationales, d'ONG, de chercheurs, d'observateurs envoyés par les plus grandes entreprises mondiales. De multiples sessions permettront de couvrir les aspects organisationnels de la Convention Cadre et du Protocole ; des événements collatéraux (side-events) permettront de faire connaître recherches, propositions, actions d'entreprises. Cela avant que les négociations internationales ne prennent progressivement la place centrale, dans la deuxième semaine de la rencontre.
Pour Yvo de Boer, secrétaire exécutif de la convention, la conférence de Bali doit lancer les négociations en matière d'accords de réduction des émissions de gaz à effet de serre, pour l'après 2012, terme actuel du Protocole de Kyoto. Dans cette négociation, dont Bali ne sera qu'une première étape, il y a cinq groupes d'acteurs : d'une part les pays industrialisés ayant ratifié le protocole, au premier rang desquels l'Europe et que devrait prochainement rejoindre l'Australie, d'autre part les Etats-Unis, les grands pays émergents, les pays moins avancés et enfin les pays exportateurs d'énergie. L'enjeu de la gouvernance mondiale pour le climat n'est rien moins que de construire un cadre de régulation qui soit conciliable avec les objectifs divergents de ces cinq catégories de pays.
Pour les Etats-Unis et tant que l'administration Bush reste aux affaires, la solution réside avant tout dans le développement des technologies énergétiques à faibles émissions. C'est une option " gagnant-gagnant " pour l'économie américaine... tant que le surcroit de déficit public causé par les dépenses fédérales de R&D ne constitue pas un problème. L'Europe a une position différente et clairement définie : il s'agit au contraire de fixer un plafond mondial aux émissions, un cap qui doit limiter à moins de 2°C le risque d'augmentation moyenne de température. Puis il faut répartir les objectifs d'émission entre les pays, ce qui impliquerait en Europe des réductions d'émissions de 60 à 80 % en 2050 par rapport à 1990, position déclinée en France dans l'objectif " Facteur 4 ". Les grands pays émergents, Brésil, Inde, Chine sont parvenus jusqu'à aujourd'hui, tout en reconnaissant la réalité du problème et son importance, à éviter tout engagement quantitatif sur les émissions, afin de sauvegarder leur croissance. Du côté des pays moins avancés, ce sont les plus vulnérables au changement climatique parce qu'ils comprennent souvent une forte proportion d'écosystèmes fragiles, également parce que leur économie pâtira des bouleversements climatiques et qu'elle ne permettra pas de dégager les ressources nécessaires pour les politiques dites d'adaptation. Enfin les pays de l'OPEP auront plus à souffrir des politiques de réduction des émissions du fait de la diminution des exportations et des prix du pétrole, que du changement climatique lui-même, puisque leurs systèmes urbains et leurs infrastructures sont déjà largement artificialisés. On le voit, il sera difficile d'identifier une solution conciliant ces différentes préférences.
Cela a conduit deux chercheurs de la LSE et d'Oxford - pourtant convaincus de l'urgence de l'action - à conclure dans la revue Nature qu'il fallait abandonner l'espoir d'une architecture unique et laisser tomber Kyoto. Leurs cinq propositions alternatives suggèrent : de se concentrer sur les vingt pays responsables de 80 % des émissions ; de laisser se développer des marchés du carbone locaux et non globaux ; de mettre en œuvre un " investissement de guerre " pour les technologies énergétiques ; d'augmenter également l'investissement sur l'adaptation au changement climatique ; enfin de travailler sur des " Politiques et Mesures " à la bonne échelle, en remplaçant l'universalisme environnemental par le fédéralisme. Toutes ces propositions sont bienvenues, aucune ne sera formellement récusée dans la négociation et elles doivent être dans l'ensemble reprises. Mais elles ne suffiront pas à la stabilisation, puis à la décrue des émissions mondiales, qui d'après les conclusions du GIEC devrait intervenir au plus tard vers 2020.
En effet le temps de la transition est trop court pour que l'on puisse compter sur les seules actions spontanées et fragmentées. Même si elle n'est pas immédiatement englobante, l'architecture post-2012 devra comporter des objectifs quantitatifs de limitation et de réduction des émissions (QELROs, pour Quantitative Emission Limitation or Reduction Objectives), selon la terminologie usitée dans toute la période pré-Kyoto. La question centrale pour les négociateurs européens à Bali devient donc de savoir comment préparer le terrain pour une nouvelle étape dans l'introduction des QELROs. Le premier déblocage devra provenir des Etats-Unis. Au G8 d'Heiligendam cet été, G. W. Bush a marqué un tournant en annonçant son souhait d'amener progressivement les pays émergents sur des objectifs quantitatifs. Après les initiatives locales dans les Etats du nord-est et en Californie, la candidate Hillary Clinton propose maintenant dans son programme énergie-environnement d'instaurer un système " cap and trade " visant à réduire les émissions américaines de 80 % en 2050. Le deuxième verrou devra être levé dans les grands pays émergents, en particulier Chine, Inde et Brésil. La présentation du programme chinois de réduction des émissions avant l'été est apparu à beaucoup comme un contre-feu destiné précisément à parer à l'introduction d'objectifs quantifiés. Mais cette position ne sera pas tenable indéfiniment, d'une part si la pression américaine augmente et d'autre part si des solutions d'objectifs flexibles sont proposées, pour tenir compte de leur souci de préserver la croissance. Enfin très récemment, et pour la première fois, les pays de l'OPEP ont donné quelques signes positifs, montrant leur prise de conscience de l'importance du problème, alors que jusqu'à aujourd'hui leurs représentants dans les négociations internationales s'étaient surtout attachés à torpiller toute ébauche d'accord.
Avant Bali, les lignes de la négociation internationale sont donc en train de bouger et s'il ne faut pas attendre des décisions majeures et la mise en œuvre d'un grand accord sur le climat à ce stade, l'étape sera stratégique. L'analyse des conclusions du rapport du GIEC montre qu'il faut absolument conserver l'esprit de Kyoto et l'Europe dispose dans cette perspective d'un leadership incontestable. Il faudra le consolider à Bali en adoptant, notamment par rapport aux Etats-Unis, une position ferme sur la nécessité d'introduire rapidement un système multilatéral d'objectifs quantitatifs ayant vocation à s'étendre progressivement. Mais il faudra un peu plus tard négocier encore sur l'intensité des objectifs et offrir aux grands pays en développement des modalités de mise en œuvre acceptables pour qu'ils puissent concilier croissance économique et réduction des émissions.
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