Cancún : six avancées et cinq lacunes edit
Le sommet de Cancún qui s'est achevé le 13 décembre a permis de refermer la parenthèse acrimonieuse du sommet de Copenhague de 2009. Mais dans deux ans, le protocole de Kyoto arrivera à échéance. Les accords approuvés à l’unanimité par les 193 pays participants au sommet permettent-ils d’aborder l’avenir avec espoir ?
Certes, Cancún a permis d’éviter et de dépasser l’atmosphère délétère de l’an dernier à Copenhague. Cette année, les hôtes mexicains ont su éviter les tensions entre diplomates chinois et président américain, les prises de parole colériques de certains dirigeants, ou encore les négociations en petit comité entre les États-Unis et les BASIC (Brésil, Afrique du Sud, Inde, et Chine). Le processus de négociations dans le cadre onusien que l’on croyait moribond a su aboutir à des accords en bonne et due forme. Ce texte de plus de 24 pages, assorti d’une déclaration des pays participants au protocole de Kyoto et de nombreuses annexes, forme une nouvelle base juridique et normative qui permet d’aller de l’avant. Et l’engagement est pris collectivement de se retrouver entre le 28 novembre et 9 décembre 2011. Il est donc tentant de proclamer Cancún comme une véritable avancée, comme l’ont fait de nombreuses délégations, notamment américaine et chinoise, ou encore le New York Times, le Globe and Mail canadien et le China Daily.
Et pourtant, si la forme y est et si le flacon est élégant, force est de constater que le parfum est pratiquement inodore. Aucun mécanisme crédible n’est inclus dans ces accords. Aucun traité contraignant n’est ébauché pour remplacer le protocole de Kyoto qui expire dans deux ans. Aucun pays développé, pas même le Japon, n’est prêt à prendre des engagements formels dans l’état actuel des choses. Et le Fonds vert (Green fund) créé en grande fanfare à Cancún n’a pas encore son financement, ni une répartition claire et crédible des engagements pris « collectivement » par les pays développés.
Pour mieux comprendre le chemin parcouru et l’immensité de ce qui reste à faire, il faut se pencher sur la répartition réelle des gaz à effet de serre. En utilisant les données sur les émissions de C02 (qui représentent la majorité des émissions de gaz à effet de serre) publiées en 2010 par l’Agence internationale de l’énergie, plusieurs faits sont clairs.
En 1990, date de référence utilisée lors du protocole de Kyoto, les pays développés de l’Annexe 1 représentaient plus de 61% des émissions globales. Cela donnait un sens à l’approche de Kyoto qui demandait aux pays développés d’avancer les premiers. En revanche, une fois que les États-Unis eurent fait faux-bond, suivis par l’Australie, les pays ratificateurs de Kyoto ne représentaient plus que 37% des émissions globales en date de 1990 (UE 27 = 19%). La Chine représentait alors 10%.
En 2008, les données sont totalement changées. Les pays ratificateurs de Kyoto (comprenant l’Australie) ne représentent plus que 26% des émissions et leur exemple pèse de moins en moins, d’autant que parmi eux, seule l’UE (représentant 13%) a suivi ses engagements par des actions réelles. Les États-Unis demeurent déterminants avec 19% et la Chine pèse désormais 22%.
Il est donc clair qu’aucun mécanisme ne peut être crédible sans la participation des deux plus gros acteurs, États-Unis (qui cumulent la plus lourde responsabilité historique avec plus de 35%) et Chine (10% de responsabilité historique). L’effet d’entraînement de Kyoto s’essouffle, et ses propres participants ont perdu la motivation d’être des héros pour les autres (à part l’UE, en partie).
Quelles sont les avancées de Cancún ? On peut en souligner six.
1. Avant tout, les accords de Cancún forment une rigoureuse et utile mise au point sur l’ensemble des faits et principes cumulés depuis plus de vingt ans. L’accord forme une base normative et légale utile. Il renforce également l’engagement de principe de tous les États du monde de limiter le réchauffement climatique à 2°C (article I-4). Il réaffirme le principe de responsabilité commune mais différenciée, impliquant une responsabilité plus large des pays développes, mais partagée par les pays en voie de développement (même si le texte reconnaît que le processus de développement et d’éradication de la pauvreté demeure leur priorité première).
2. Par ailleurs, ils démontrent la capacité de négociation des États au sein du cadre des Nations Unies, chose qui pouvait être mise en doute après le désastre de Copenhague l’an dernier.
3. Ils engagent les pays développés à de véritables baisses de leurs émissions d’ici 2020, les engagements précis devant être indiqués en 2011.
4. Ils reconfirment que la date de 1990 formera la base de mesure, une victoire significative pour l’Union européenne qui entend ainsi obtenir un crédit pour son effort depuis 1990.
5. Ils obligent les pays en développement à une déviation significative de la courbe de leurs émissions par rapport a la situation normale (« business as usual ») d’ici 2020, invitant les pays à chiffrer leurs engagements publiquement.
6. Ils confirment la formation d’un Fonds vert (Green Fund) devant aider les pays en développement à prendre des mesures réelles contre le climat. Les accords reconfirment le chiffre de 30 milliards de $ proposé à Copenhague pour la période 2010-2012 et engagent pour 100 milliards par an d’ici 2020. Le Fonds vert aura un conseil directeur de 24 membres, 12 de pays développés et 12 de pays en développement, et un strict processus de monitoring scientifique. On peut envisager une nouvelle sorte de Banque mondiale, ce qui serait une avancée institutionnelle véritable.
En revanche, derrière ces engagements, il faut citer cinq lacunes cruciales qui marquent la limite de ces accords de Cancún.
1. Le protocole de Kyoto est quasiment défunt. Cancún devait permettre aux parties membres de Kyoto de s’engager formellement à une nouvelle période de réduction après 2012 et à la pérennité du protocole. Hélas, les États-Unis ont non seulement continué à s’opposer au protocole, la Russie, le Canada, et surtout le Japon se sont tous positionnés publiquement contre Kyoto, laissant l’UE et l’Australie seules. Il est quasiment sûr que Kyoto ne s’en remettra pas.
2. Par ailleurs, les engagements de principes pris par les pays développés sur la réduction de leurs émissions et sur le Fonds vert en sont toujours au niveau des principes. Aucun traité n’est en place. Aucun chiffre mesurable n’est encore indiqué. Aucun mécanisme crédible n’a émergé.
3. La faiblesse principale des négociations reste américaine. Tant que la politique intérieure et l’alignement politique du Congrès interdisent tout progrès et bloquent toute marge de manœuvre pour l’administration, aucun engagement américain n’est possible. Cette situation continuera sans zaucun doute jusqu'en 2012 et sans doute plus longtemps. Sans engagement américain, pas d'engagement des Chinois, des Canadiens, des Russes et maintenant des Japonais.
4. L’autre faiblesse est chinoise. Certes les Chinois ont bougé par rapport à Copenhague et ont montré flexibilité et engagement derrière le processus de négociations. Mais il n’est pas encore politiquement possible de prendre une décision massive permettant une inflexion plus profonde des émissions chinoises. Tant que les États-Unis et la Chine ne bougent pas suffisamment dans le cadre de ce qui est nécessaire pour l’objectif des 2°C, les négociations ne peuvent que piétiner.
5. Enfin, les accords de Cancún conservent la catégorie désormais artificielle de pays en développement, alors que les intérêts et réalités des pays émergents et des autres pays en développement sont divergents.
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