La Chine après l’affaire Bo Xilai edit
Le régime chinois peut-il faire face aux tensions qui se multiplient ? Est-il encore en mesure de conserver son mandat hérité en 1949 des ruines de l’ancienne Chine et renouvelé pendant les réformes de Deng Xiaoping ? A-t-il les moyens de gouverner une société et une économie plus modernes, sophistiquées et interconnectées avec le reste du monde ? Y-a-t-il encore de la place pour un régime autocratique dans la future première économie du monde et au sein d’une mondialisation accélérée ?
L’affaire Bo Xilai, cet ancien premier secrétaire de la province de Chongqing et ancien membre du Politburo limogé en mars dernier, a ébranlé le parti et la légitimité du régime. Non seulement, cette affaire au sommet de l’État s’est déroulée littéralement sur la place publique, notamment le spectaculaire limogeage de Bo Xilai devant le Comité Central du parti ; mais elle a aussi failli déclencher une grave scission du régime. Pendant les jours qui ont succédé l’arrestation de Bo Xilai, des rumeurs de coup d’État ont circulé et de nombreuses purges ont eu lieu au sein des dirigeants de l’Armée où Bo Xilai, fils d’un des héros historiques du parti, avait tissé des réseaux solides. L’un des neuf dirigeants principaux du pays et le responsable de la sécurité interne, Zhou Yongkang, attirait tous les regards, puisqu’il était un supporter connu de Bo Xilai.
Pire encore, l’affaire Bo Xilai a connu un retentissement international, puisque son numéro 2 et ancien chef de la police de Chongqing, Wang Lijun, s’est réfugié au consulat américain et aurait révélé de nombreux secrets. C’est cet événement qui a provoqué la chute de Bo Xilai. Mais ce n’était pas tout : une avalanche de révélations dignes d’un film de James Bond ont suivi la mise en résidence surveillée de Bo Xilai et de sa femme, Gu Kailai. Il s’est avéré que cette dernière était sans doute responsable de l’assassinat d’un businessman anglais, Neil Heywood, en novembre 2011 à Chongqing. Ce dernier, très proche de Bo et de sa femme, était sans doute en charge du blanchissement de profits du couple dirigeant vers l’étranger. Cet aspect de l’affaire était grave puisqu’il mettait le doigt sur la corruption de l’élite politique chinoise, point extrêmement sensible dans l’opinion publique.
Derrière tous ces rebondissements se cachait le véritable enjeu de ce conflit : Bo Xilai, sans doute l’homme politique chinois le plus talentueux de sa génération, devait devenir en octobre prochain l’un des 9 dirigeants du comité central du politburo (l’organe qui gouverne la Chine). Or, cela provoquait beaucoup de remous parmi l’élite du parti, du fait des intentions peu dissimulées de Bo de dominer ce futur comité central et de s’éloigner du principe de gouvernance collective. Son populisme social et neo-maoiste faisait également peur à certains. L’enjeu était considérable. Si Bo Xilai restait en place au-delà du printemps, il serait impossible d’empêcher son élévation lors du 18e Congrès sans provoquer une lutte explosive.
Plus généralement, trois groupes se font face actuellement au sein du parti : le groupe des « princes héritiers », descendants de la première génération de leaders du parti communiste, mené par le futur secrétaire général Xi Jinping, mais aussi Bo Xilai ; le groupe de la Ligue Communiste mené par le président actuel Hu Jintao et le futur premier ministre Li Keqiang ; et le groupe dit de Shanghai mené par l’ancien président Jiang Zeming. Les marchandages entre ces trois groupes vont toujours bon train et n’ont sans doute pas encore abouti à la formule finale du prochain régime.
Mais le régime fait face à d’autres défis. L’économie chinoise est en pleine décélération, le taux de croissance devant atteindre à peine 8% en 2012, selon les dernières estimations de la Banque Mondiale. Plus encore, le gouvernement est au beau milieu de mesures restrictives pour ralentir le marché immobilier et tenter un atterrissage en douceur de la bulle immobilière. C’est une phase très délicate qui demande d’augmenter les salaires et la consommation pour compenser la baisse des investissements immobiliers. Le gouvernement est également en train d’initier un programme très risqué d’ouverture de son compte de capital et d’internationalisation du renminbi.
Il ne faut pas oublier non plus que la décennie qui commence sera celle du rattrapage des Etats-Unis par la Chine, phase historique sous haute tension géopolitique et qui demande beaucoup de doigté diplomatique. Ceci, alors même que la question du contrôle politique de l’Armée fait débat : les observateurs ne manquent pas de signaler la différence de positions entre le gouvernement civil et certains leaders de l’Armée sur les conflits en Mer de Chine méridionale et avec le Japon.
Le régime doit enfin faire face à des inégalités sociales devenues inacceptables, avec un coefficient GINI sans doute supérieur à 0,50 et à une explosion des conflits locaux dus à la corruption locale, aux inégalités, ou encore aux conflits environnementaux comme on vient de le voir au Sichuan. La jeune génération chinoise n’a pas connu 1989 et sait accéder à l’information sur internet : elle s’exprime et se mobilise de plus en plus vigoureusement. Le régime doit la prendre en compte.
Pourra-t-il faire face à ces forces centrifuges ? En l’état actuel des choses, il y a fort à parier que oui, et ce pour plusieurs raisons que l’on oublie souvent.
Avant tout, l’appareil du parti et de l’Etat s’est fortement institutionnalisé depuis deux décennies. Partout, au niveau central, le système suit une rigoureuse méritocratie qui offre une véritable dose de légitimité.
Fait le plus frappant si l’on contraste avec d’autres régimes autoritaires, Deng Xiaoping avait réussi à imposer la routinisation et l’institutionnalisation du processus de succession avant sa mort. Il est remarquable que personne ne remette en cause la mise à la retraite de tous les dirigeants du régime en octobre prochain (comme cela eut lieu en 2002).
Les travaux du chercheur Chien-Wen Kou révèlent que le choix des prochains dirigeants du régime est en fait extrêmement systématique : ils doivent avoir été membres du comité central, avoir moins de 63 ans (ou 68 ans s’ils continuent un mandat existant), avoir gouverné une province comme premier secrétaire et avoir eu une expérience ministérielle. De facto, ils doivent aussi avoir une formation universitaire de haut niveau et une expertise reconnue. Le nombre des dirigeants naturels répondant à ces critères est réduit à 11, un chiffre à comparer aux 9 places à pourvoir en octobre. En réalité, après l’éviction de Bo Xilai, ils ne sont plus que 10. Il en va de même pour tous les niveaux inférieurs, même s’il reste un peu de marge pour le marchandage entre factions.
Autre fait important, le choix final des dirigeants est sans doute en train d’avoir lieu cet été-même à Beidaihe ; il résultera d’une élection ouverte mais secrète au sein des 400 membres les plus élevés du parti.
Par ailleurs, l’utilisation progressive de la délibération publique pour la prise de décision dans un nombre croissant de domaines aide à asseoir une certaine légitimité politique. En somme, du fait de sa méritocratie et institutionnalisation progressives et de ses efforts de délibération pour la prise de décision, le régime semble avoir atteint un degré de stabilité qui devrait lui permettre de tenir le choc dans la phase actuelle. Mais pour combien de temps ?
Yves Tiberghien publiera en août L'Asie et le futur du monde (Presses de Sciences Po).
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