Les partis politiques espagnols face à la logique de la législature edit
Alors que la France est toujours dans une séquence d’incertitudes électorales et politiques, l’Espagne en est sortie depuis que Mariano Rajoy a réussi à être investi président du gouvernement en octobre 2016. Certes, les systèmes institutionnels ne sont pas les mêmes. Pourtant la prime au pouvoir exécutif qui caractérise nos démocraties libérales conduisent à certaines réflexions parallèles.
Bien que le système espagnol soit parlementaire, on observe une présidentialisation du régime. Le président du gouvernement ne peut être renversé que par une motion de censure conduisant à l’élection d’un autre président. Cela implique l’union des oppositions. Dans l’état actuel du Parlement sorti des urnes le 26 juin dernier, aucune possibilité sérieuse ne menace l’imperturbable Mariano Rajoy. Qui plus est, il retrouve en mai la possibilité de dissoudre le Parlement et voilà l’hôte de la Moncloa à nouveau maître du calendrier, un atout décisif en politique. Par ailleurs, l’absence de majorité oblige l’exécutif à négocier chaque texte de loi et notamment le budget 2017 qui n’est toujours pas voté. Cette centralité parlementaire ne pourrait-elle pas à son tour devenir une réalité en France ? Enfin, dernier point de convergence : la crise d’un système politique et l’irruption de nouvelles forces provoquent la recomposition de l’offre partisane et des équilibres au sein des partis. Tout cela est en cours en Espagne… et bientôt en France.
Une droite contrôlée
Le Parti Populaire tenait son 18e congrès au moment même où Podemos organisait son 2e congrès. Il ne pouvait y avoir contraste plus frappant, en ce deuxième week-end de février 2017, entre l’unité organisée du PP et les divisions qui se faisaient jour à l’extrême-gauche. Mariano Rajoy a verrouillé le parti comme Aznar lui-même ne l’avait pas fait. Alors que le contrat de gouvernement passé avec les centristes de Ciudadanos obligeait à envisager des primaires pour la sélection des candidats, à limiter les mandats dans le temps, à exclure les militants poursuivis par la justice, aucune de ces propositions n’a été retenue effectivement. Rajoy envisage même d’être candidat à un troisième mandat… ce qui pourrait le conduire à gouverner jusqu’en 2024 ! La secrétaire générale du parti, María Dolores de Cospedal, a été maintenue alors même qu’elle était devenue ministre de la Défense. C’est une première dans l’histoire de ce ministère qui dit l’assurance du PP. On ne protège plus un ministère régalien des calculs partisans. L’équilibre entre la vice-présidente du gouvernement, Soraya de Santamaría, et la secrétaire générale Cospedal a été millimétriquement calculé par Rajoy qui travaille à ne faire émerger aucun successeur. Bref, de la continuité dans le plus pur style Rajoy. Il faudrait, pour tenter de démasquer ici ou là des indices de mécontentement, traquer ce qui s’est passé dans les congrès régionaux du parti. Or, si dans la petite fédération de la Rioja la candidate de l’appareil a été vaincue par le président du gouvernement local ; à Madrid, un fief absolu du PP, Cristina Cifuentes a pris le contrôle d’un bastion longtemps réservé à l’égard de Rajoy et que tenait sa grande rivale Esperanza Aguirre, condamnée à une retraite politique qui la fait souffrir comme Aznar souffre de sa marginalisation. La conclusion s’impose : Rajoy commande le PP et le PP, aujourd’hui c’est Rajoy !
Une gauche radicale perturbante et perturbée
Tandis que le congrès du PP relevait de la grand-messe, Vistalegre 2, comme l’appelaient ses organisateurs, donnait en spectacle la capacité des gauches à se diviser, se disputer puis à se rassembler derrière un leadership confirmé. La querelle au sein de Podemos promettait du sang et des larmes : Pablo Iglesias, le charismatique fondateur du parti, était contesté par son fidèle second Iñigo Errejón.
La motion de Pablo Iglesias (Podemos para Todas) obtient un peu plus de 50% des voix, celle de Iñigo Errejón (Recuperar la ilusión) 33,7% et la motion la plus radicale (Podemos en movimiento) 13%. Au final, Pablo Iglesias s’impose comme secrétaire général en étant réélu à plus de 89% par un vote direct. Le Conseil Citoyen National (62 membres), le parlement du parti, est dominé par 37 membres sur la ligne Iglesias, 23 de la ligne Errejón et 2 de la ligne anticapitaliste. Le parti revendique plus de 456 000 inscrits (le versement d’une cotisation n’est pas obligatoire) et le vote numérique a mobilisé près de 155 000 personnes, soit un gros tiers du total des militants recensés (1).
Iñigo Errejón estime que tout au long de l’année 2016, Podemos a dévié de sa trajectoire politique initiale qui consistait à dominer idéologiquement le débat. Il impute à Pablo Iglesias, et à son vif désir de leadership médiatique et personnel, le fait que Podemos s’est trouvé isolé sur la scène politique et que le « tout sauf Podemos » a conduit à la défénestration du secrétaire général du PSOE Pedro Sánchez. Le titre de la motion politique d’Iñigo Errejón était tout un programme : « retrouver l’espoir » c’est-à-dire être un lieu de créativité des nouvelles politiques publiques. Errejón donne pour exemple l’action de la maire de Barcelone Ada Colau qui, peu à peu, oblige toute la gauche à se positionner par rapport à ses choix. On a un exemple de la centralité recherchée : avec 25% des voix, elle est le centre de gravité de la politique municipale barcelonaise… ce qui lui fait regarder désormais l’horizon catalan.
Errejón veut donner l’image d’un parti capable de gouverner pour et avec le peuple quand Iglesias plaide encore pour la dimension contestataire du mouvement. Errejón a perdu. Iglesias domine, assez fermement, sans doute d’abord parce que sa notoriété lui a donné un avantage décisif sur son rival et ami. Ensuite parce qu’il incarne une forme de romantisme militant et rhétorique plus à même de susciter les passions que le raisonnement analytique d’Errejón. Enfin, les questions de personnes ont joué un rôle majeur : Iglesias a fait un chantage à son retrait (si sa motion ne gagnait pas, il se retirait de la direction politique). Or, quoiqu’on en dise, il est l’image charismatique de Podemos. Derrière tout cela, la question des alliances avec le PSOE entrait dans tous les calculs.
Peut-on encore sauver le PSOE ?
L’obsession d’Iglesias serait de dépasser le PSOE puis de le faire disparaître, donc de recomposer complètement la gauche avec Podemos en situation d’hégémonie, mieux même de monopole. Errejón, plus lucide, se rendait compte de l’impérieuse nécessité d’ouvrir la voie à une coalition avec les socialistes. Et les socialistes dans tout cela ?
En octobre dernier, le PSOE a vécu la crise la plus grave de son histoire depuis 1979 avec l’élimination de Pedro Sánchez, favorable à une discussion politique avec Podemos dans le but d’éviter le renouvellement de Rajoy. Depuis, le parti, bien administré par le socialiste asturien Javier Fernández, se reconstitue difficilement et prépare son 39e congrès. Auparavant, un vote des militants devra avoir choisi le nouveau secrétaire général le 21 mai prochain.
Trois candidats sont en lice : Patxi López, ancien lehendakari basque (2), ancien président de la Chambre des députés ; Pedro Sánchez, l’ancien secrétaire général, liquidé par les « élites » du parti ; Susana Diaz, la présidente de la Communauté autonome d’Andalousie, la baronne territoriale la plus puissante du parti. Derrière ces trois candidatures, trois stratégies différentes.
Susana Diaz est la candidate de l’appareil et des élus. Depuis déjà plusieurs mois, tout n’était que rumeur autour de sa candidature qu’elle a retardée jusqu’au tout dernier moment. Quand elle l’a présentée en mars dernier, elle était entourée de tout le gratin socialiste : Felipe González, José Luis Rodríguez Zapatero, Alfonso Guerra, Adolfo Pérez Rubalcaba, les grands barons territoriaux comme Ximo Puig (Valence), Gonzalez Page (Castille la Manche), Fernández Vara (Estrémadure). Comme le signalait Josep Ramoneda, dans les colonnes de El País, jadis une telle manifestation de force aurait plié l’affaire… Mais aujourd’hui les primaires sont des machines à division et des instruments à démonter des appareils. Pedro Sánchez lance sa campagne et malgré le rejet dont il est l’objet parmi l’appareil, on mesure sur le terrain sa popularité auprès des militants. N’oublions pas qu’en juillet 2014, il avait déjà gagné une semblable élection avec 48% des voix (64 000 suffrages). Sánchez veut un PSOE à gauche capable de tendre la main à Podemos dont il ne craint pas le baiser. Ce repositionnement à gauche pourrait redonner de la force électorale au parti et donc le placer en position hégémonique à gauche. Tel est le calcul de Pedro Sánchez.
Combien de militants voteront le 21 mai prochain ? Comment se répartiront les voix ? L’Andalousie donnera-t-elle une victoire ultime à Susana Diaz alimentant les suspicions de manipulation en cas de scrutin serré ? Autant de questions formelles qui recouvrent des questions politiques.
Sánchez défend l’union de toutes les gauches. Ce discours plaît aux militants. Susana Diaz en appelle à l’histoire du PSOE : ce n’est pas rien. Patxi López illustrerait une voie médiane de réconciliation qui, à l’heure actuelle n’est pas majoritaire.
Dimanche 9 avril, le PSOE a appris stupéfait le décès brutal de Carmen Chacon, ancienne ministre de Zapatero, et candidate malheureuse à la direction du parti en 2011. La mort de cette figure socialiste (elle avait tout juste 46 ans) a rappelé l’occasion ratée du renouvellement générationnel de 2011 : le vieux routier Pérez Rubalcaba s’était imposé de 22 voix sur la candidature Chacon. La ligne González avait repris le parti à la ligne Zapatero. Depuis, on sait comment évolue le PSOE.
France-Espagne : des comparaisons possibles
Nous rappelons cet épisode de 2011 car il pourrait bien être mis en parallèle avec le congrès socialiste de Reims de 2008. Une victoire à l’arrachée d’une ligne qui ne masque pas les divisions internes. Ces divisions se payent… et cher. L’échec du quinquennat de François Hollande est là pour le prouver. Enric Juliana, l’influent chroniqueur de La Vanguardia, s’interrogeait : et si Carmen Chacon avait été élue en 2011, aurait-elle préservée le PSOE de Podemos ? Question purement formelle qui a le mérite pourtant de montrer que les appareils sont les moins réactifs aux évolutions socio-culturelles que la crise initiée en 2008 a rendu plus intenses. La politique est certes un jeu de court terme construit sur des tectoniques plus lentes et plus durables. On serait bien inspiré de s’en souvenir davantage. Podemos exprime le rejet d’un modèle capitaliste qui a corrompu la démocratie et donc disqualifié, aux yeux d’un nombre croissant d’Espagnols, le principe de la représentation au profit d’une demande de participation. Démocratie participative contre démocratie représentative : le clivage est plus complexe que la division gauche-droite et donne toute sa chance, surtout à l’heure du numérique et des réseaux sociaux, à des mouvements plus ou moins puissants de contestation et de remise en cause du « système ». Ce phénomène est espagnol, mais aussi français et européen.
Les élections françaises, suivies de très près par les Espagnols, auront une influence sur le scrutin socialiste espagnol. Le double cyclone qui s’est abattu sur le PS, Mélenchon sur sa gauche, Macron sur sa droite, pourrait-il avoir des répliques sur le PSOE ? J’en fais ici le pari… sans vraiment prendre de risques. Mais du coup, la question « peut-on sauver le PSOE ? » doit se lire à l’échelle européenne. Mélenchon va-t-il importer une version française de Podemos quand Macron inventerait un nouveau centrisme ? Il n’y a que la droite française à regretter de ne pas disposer d’un appareil aussi bien tenu par le chef que le PP. C’était ce qu’Aznar disait déjà en 2004…
- Il n’y a pas de délégués au Congrès de Podemos. Tout militant vote directement, sans intermédiaire.
- Lehendakari : nom du chef du gouvernement basque. Patxi López est le seul socialiste et le seul non-nationaliste à avoir été chef du gouvernement basque de 2009 à 2012. Cela lui confère une vraie autorité politique, sans doute insuffisante cependant pour prétendre conquérir le parti.
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