L’étrange fiscalité de l’intéressement edit
Durant l’été 2012, le gouvernement a fait voter une hausse de 8 à 20% du « forfait social », cette taxe pesant sur tous les éléments de la rémunération du salarié qui échappent aux cotisations sociales, dont essentiellement la participation et l’intéressement (ci-après la « participation »). Ce n’est, en accéléré, que la poursuite d’une montée continue depuis 2009 : le « forfait » a été mis en place cette année-là au taux de 2%, puis augmenté de deux points chaque année, jusqu'au récent bond à 20%. C’est un mouvement majeur dans sa philosophie fiscale. Comme tel, il mérite un vrai débat national et non ce grignotage subreptice et peu démocratique. L’Etat doit-il encore largement subventionner les formules de participation salariale ? La réponse doit être donnée clairement : c’est non !
Pour en juger, il faut rappeler que la participation est aujourd’hui considérée à l’égal d’une rémunération salariale et donc comme une charge pour l’entreprise, déductible d’impôt sur les sociétés. Pour autant, elle ne subit pas de charges sociales (à l’exception de ce forfait de 20%). Du côté du salarié, bien qu’elle soit très proche d’un bonus attaché aux résultats de l’entreprise, cette rémunération n’est pas soumise à l’impôt sur le revenu. C’est ce qu’on appelle une dépense ou une niche fiscale, qui coûte plus de 5 Md€ au budget de l’Etat (4 Md€ après passage de la mesure), sans compter le coût de l’exonération au titre de l’impôt sur le revenu des salariés.
Les entreprises jugent utile d’adopter des formules de rémunération variable pour leurs salariés, que ce soit pour accroître leur motivation au travail et leur productivité ou pour leur donner un sentiment plus fort d’appartenance à l’entreprise. Elles le font aussi pour rendre plus variables les coûts de production, ce qui leur est bien utile en période de reflux conjoncturel comme nous le vivons à présent (les chiffres français sur le coût du travail prennent mal en compte cet amortisseur important : un mois de participation en moins, cela fait une baisse de salaire de 8%).
Mais la question vient immédiatement : puisque ce comportement est choisi spontanément par l’entreprise et procède de sa bonne gestion, pourquoi faut-il que l’Etat y apporte un surcroît d’encouragement ? Le monde de l’entreprise, si prompt à vanter les vertus du « moins d’Etat », doit-il l’appeler au secours sur une fonction qu’il est capable d’assurer de lui-même (nous sommes le seul grand pays à adopter cette subvention étatique) ?
D’autant qu’il n’est pas sûr que les salariés y trouvent leur intérêt, comme l’indique un rapport récent de l’Inspection des finances : la hausse de la part variable du salaire se fait largement au détriment de la part fixe. Si les salariés sont heureux de toucher leur participation, combien d’entre eux ne préfèreraient-ils pas toucher l’équivalent fixe de cette part variable ?
Il est bien documenté aussi que les bonnes formules incitatives en matière salariale reposent avant tout sur des éléments que le salarié, à son poste de travail, peut maîtriser. La rentabilité globale de l’entreprise n’est pas, sauf pour les dirigeants, une variable sur laquelle il a une réelle influence. L’effet mobilisateur de la participation est du coup assez faible. A preuve que, laissées à elles-mêmes, les entreprises préfèrent des formules de rémunération variable plus spécifiquement liées à la performance du salarié.
Dans son esprit initial, lors des frondeuses années 60, la participation voulait mettre du liant et de la solidarité entre les partenaires sociaux, quand ceux-ci agitaient la « lutte des classes ». Le mot a disparu. Elle était aussi un placement d’épargne à long terme, qui plus est prioritairement placé en actions de l’entreprise même des salariés qui en bénéficient. Le placement à long terme n’a plus guère de sens dès lors que l’Etat, à des fins de gestion conjoncturelle, permet désormais la libération quasi-immédiate des fonds acquis. Faut-il d’ailleurs favoriser une épargne financière placée en actifs de l’entreprise dans laquelle on travaille ? On y met déjà son capital humain ; pourquoi y ajouter son capital financier ? En témoigne le fait que les salariés les mieux payés et les mieux éduqués retiennent de préférence des formules de placement de leur participation en actifs financiers indépendants de leur entreprise. Ce sont les salariés du rang, ceux qui sont les plus à risque, qui suivent l’injonction de placement interne.
Enfin, pourquoi offrir cette prime fiscale aux grandes entreprises et à leurs salariés (plutôt qu’aux petites, qui pour la plupart n’adoptent pas ou ne sont pas tenues d’adopter ces formules participatives) ou aux entreprises à forte productivité du travail (plutôt qu’aux entreprises de main d’œuvre). Est-ce à l’Etat de favoriser ces transferts ?
La crise est l’occasion unique de rebattre certaines cartes. L’exonération fiscale et sociale des formules de participation n’a plus vraiment de raison d’être. Évidemment, l’accroissement du forfait social (ou pour être moins hypocrite et plus commode, l’abandon de l’exonération de charges sociales) sera une charge accrue sur les entreprises. Il serait juste que le gouvernement annonce le bout de la route et troque la suppression intégrale de la niche fiscale contre une réduction de même montant des autres prélèvements sur les entreprises. C’est là que le bât blesse : le gouvernement corrige certaines dissymétries de notre code des impôts (on pense ici aussi à l’exonération des intérêts d’emprunt, sujet déjà évoqué sur Telos), mais toujours dans le sens de la hausse des impôts. Ce n’est pas loyal.
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