La mouvance Hezbollah, une internationale liée à l'Iran edit
Dans les milieux islamistes chiites, le terme Hezbollah désigne une mouvance internationale faite d'organisations et d'individus qui se connaissent, entretiennent des relations régulières et, surtout, sont liés par une relation organique à l'Iran. Cette relation organique la distingue d’autres courants islamistes chiites. Le parti iraquien Daawa, par exemple, entretient avec Téhéran une relation essentiellement tactique basée sur la défense d'intérêts ponctuels communs et non sur une dépendance financière ou idéologique. Contrairement à la mouvance Hezbollah d’ailleurs, Daawa n'adhère pas au principe du gouvernement du docteur de la loi (wilayat al-faqih) qui fonde la République islamique d'Iran. Si ses dirigeants révèrent l'ayatollah Khomeyni pour le rôle politique et religieux central qu'il a joué, ils ont d'autres références religieuses tout aussi importantes, en particulier l'Iraquien Mohammed Baqer al-Sadr, assassiné par le régime de Saddam Hussein en 1980, mais aussi le Libanais Mohammed Hussein Fadlallah.
La mouvance Hezbollah est née au début des années 1980 de la volonté iranienne d’exporter la révolution islamique dans le monde musulman. Sous différents noms, les Hezbollah sont présents dans les monarchies du Golfe, en Afghanistan, au Pakistan, en Iraq. Organisations à part entière ou réseaux d’individus, les Hezbollah se caractérisent tous par une tendance marquée à se positionner à l’extrême du spectre politique. La crise libanaise vient d’en offrir une illustration en remettant sur le devant de la scène le Hezbollah du Hijaz (Arabie Saoudite) qui, le 14 juillet dernier, a signé un communiqué incendiaire dénonçant « les déclarations des traîtres Al-Saoud ». Il s’agit évidemment d’une réponse directe à la condamnation par le régime saoudien des conséquences désastreuses de l’aventurisme du Hezbollah libanais et de ses soutiens étrangers, référence à peine voilée à la Syrie et surtout à l’Iran. L’Arabie Saoudite, qui a été une cible privilégiée de la stratégie d’exportation de la révolution dans les années 1980, voit évidemment d’un mauvais œil la quête d’hégémonie régionale iranienne. Sa déclaration équivaut virtuellement à une prise de position contre l’Iran sur le dossier nucléaire.
Contrairement à d’autres mouvances islamistes chiites saoudiennes, le Hezbollah saoudien dispose d’une base populaire réduite, s’apparentant plus à un groupuscule sans stratégie politique claire autre que le recours régulier au terrorisme avec l’appui des durs du régime de Téhéran. On le soupçonne en particulier d’être à l’origine de l’attentat contre le camp militaire américain d’al-Khobar en 1996. Depuis, le groupe a choisi de faire profil bas. Sans s’associer directement au processus de réconciliation entre les Al-Saoud et les islamistes chiites de la Shiraziyya, une mouvance rivale, ils ne l’avaient pas condamné ouvertement. Le communiqué rompt avec cette stratégie, signalant sans doute la volonté iranienne d’adresser un message clair à son voisin et aux Etats-Unis dont il est toujours un partenaire privilégié. En bref, il s’agit de signifier que, comme au Liban, l’Iran dispose des instruments pour frapper les Occidentaux et leurs alliés là où cela peut leur faire le plus mal. Le Hezbollah du Hijaz est en effet principalement implanté dans la Province Est du royaume saoudien, là où réside sa population chiite mais surtout là où se situent ses réserves en hydrocarbures.
Contrairement à son homologue saoudien, le Hezbollah libanais est un parti politique de masse qui pèse d’un poids considérable sur la scène politique libanaise. Il a non seulement contribué fortement au départ de Tsahal du sud du pays mais a également développé des réseaux caritatifs qui profitent aux Libanais les plus modestes, y compris chez les non-chiites. C’est ce qui explique que malgré sa relation organique avec l’Iran, et contrairement au Hezbollah du Hijaz, le Hezbollah libanais est devenu au fil des années un acteur relativement autonome par rapport à son mentor. Les pasdarans, membres du corps des Gardiens de la révolution en Iran, encadrent les opérations de l’aile militaire du Hezbollah mais n’interviennent pas dans la prise de décision au sein de la branche politique représentée au Parlement. Ces dernières années, les observateurs avertis ont d’ailleurs convergé pour parler d’une « libanisation » du Hezbollah, soulignant à quel point il était devenu un facteur d’entretien du système confessionnel qu’il avait au départ combattu. Il a ainsi aujourd’hui renoncé à son objectif initial d’établir une république islamique et s’est rangé à l’avis que le maintient de l’équilibre entre les dix-sept communautés religieuses libanaises était le meilleur garant de la stabilité du Liban.
Ce processus de nationalisation s’est opéré parallèlement à une révision des objectifs initiaux de la politique étrangère iranienne. Les pragmatiques iraniens qui sont arrivés au pouvoir après la mort de Khomeyni ont desserré les liens avec la constellation des mouvements révolutionnaires étrangers financés par l’Iran. Priorité a été donnée au rétablissement de la confiance dans les relations avec le monde arabe. Tout en ne coupant pas les ponts avec le Hezbollah, l’Iran a donc réduit ses financements, en particulier après la fin de la guerre civile en 1991. La guérilla persistante du Hezbollah contre Israël contribue certes à son prestige au sein du monde musulman et lui donne une carte dans le jeu proche-oriental, mais sa première raison d’être est de renforcer la légitimité et l’emprise du parti chiite sur la scène libanaise.
La crise actuelle pourrait cependant marquer un tournant. Il est difficile de dire si l’Iran a directement instigué l’enlèvement des deux soldats israéliens. Le fait qu’il y ait un intérêt objectif n’en fait pas pour autant un commanditaire. En revanche, il est vrai que l’arrivée au pouvoir de Mahmud Ahmadinejad il y a un an maintenant et le bras de fer qui l’oppose à la communauté internationale sur le dossier nucléaire pourrait amener l’Iran à vouloir resserrer son emprise sur le Hezbollah libanais. Cela est-il dans l’intérêt du Hezbollah lui-même ? Non au vu de la réaction d’Israël à ce qui n’avait probablement été au départ conçu que comme un énième acte de guérilla sans conséquence majeure. La destruction des infrastructures libanaises et l’exode des populations du sud Liban ne peuvent qu’entamer sa légitimité auprès des Libanais, les chiites y compris. En se faisant l’instrument des ambitions iraniennes, le Hezbollah risque de tout perdre, cela d’autant plus que la politique étrangère de l’Iran a toujours été caractérisée par de nombreux revirements et volte-face.
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