Le sarkozysme est-il un atlantisme ? edit
La politique de Nicolas Sarkozy vis-à-vis des Etats-Unis et de l'Otan marque-t-elle une rupture avec la tradition initiée par De Gaulle et fondée sur le triptyque "amis, alliés, pas alignés" ?
Il faut avant tout s'accorder sur les termes du débat, car il existe au moins deux acceptions possibles du mot atlantisme. La première renvoie lato sensu à une attitude consistant à considérer la relation avec les Etats-Unis - et donc l'Alliance atlantique - comme une donnée historique et stratégique majeure pour notre pays. Selon cette définition, sarkozysme rime clairement avec atlantisme. Depuis son élection, le nouveau président ne cache pas son souhait de rétablir, après la crise irakienne de 2003, une relation franco-américaine "normale" pour deux pays depuis si longtemps amis et alliés ; et, depuis bien avant d'arriver à l'Elysée, il ne fait pas mystère de sa proximité avec l'Amérique.
Mais y a-t-il là une rupture? Non. Tous les présidents de la Cinquième République (y compris le général de Gaulle) ont voulu, en début de mandat, instaurer une relation franco-américaine étroite, et tous les successeurs du Général ont commencé, chacun bien sûr avec son style propre, par afficher une forme de proximité personnelle avec l'Amérique. Certes, le style de Sarkozy, dans ce domaine comme dans d'autres, est plutôt... voyant. Mais s'il est incontestablement atlantiste en ce sens-là, ses prédécesseurs, peu ou prou, l'ont été avant lui.
D'où la nécessité, pour la clarté du débat, d'une définition plus opérante. Est alors atlantiste stricto sensu (par opposition, pour schématiser, à "gaulliste") l'attitude consistant à accorder une priorité systématique à la recherche de l'entente avec les Etats-Unis, et ce au-delà des nécessités strictes de l'Alliance et donc au risque de l'alignement sur l'Amérique : telle était bien la ligne de partage entre les uns et les autres lors de la crise de 2003. La politique de Sarkozy vis-à-vis des Etats-Unis et de l'Alliance marque-t-elle, dès lors, une rupture avec le consensus "gaullo-mitterrando-chiraquien" fondé sur le triptyque "amis, alliés, pas alignés" ?
L'affirmer en l'état actuel des choses constitue un procès d'intention. D'abord parce que l'intéressé lui-même le conteste : n'a-t-il pas, devant le Congrès des Etats-Unis en novembre dernier, dans un discours où ses critiques ont voulu voir une déclaration d'atlantisme caractérisé, affirmé vouloir être "un ami debout, un allié indépendant, un partenaire libre", souscrivant ainsi implicitement à la formule védrinienne ?
Ensuite et surtout parce que ses principales décisions de politique étrangère ne peuvent, à ce jour du moins, être interprétées comme l'expression d'un pure et simple alignement.
L'Irak ? Se rendre à Bagdad, comme l'a fait Bernard Kouchner à l'automne 2007, ne va guère au-delà d'une simple reconnaissance d'une situation de fait.
L'Iran ? Envisager le renforcement des sanctions contre ce pays, comme le souhaite Paris, peut parfaitement s'interpréter dans le sens de la volonté de voir l'emporter la persuasion plutôt que la coercition dans le dossier du nucléaire iranien et ne marque au demeurant pas de véritable rupture avec la politique antérieure.
L'Afghanistan ? Y renforcer la présence militaire française dans le cadre de la force internationale (ISAF) comme l'a décidé Sarkozy ne signifie pas nécessairement s'inscrire dans un schéma suiviste à l'égard de Washington (même si l'on peut avoir des réserves sur la stratégie menée, ce que Paris d'ailleurs ne cache pas) mais simplement prendre en compte les fondamentaux de l'Alliance. L'Afghanistan, faut-il le rappeler, n'est pas l'Irak : l'Otan y opère dans le cadre d'un mandat des Nations unies. C'est donc la solidarité collective de ses membres, pierre angulaire de l'Alliance, qui s'y trouve en jeu.
L'Otan, justement : la volonté annoncée par le président dès l'été 2007 et réaffirmée au sommet de Bucarest en avril dernier - même si officiellement rien ne devrait être décidé avant le printemps 2009 - d'un retour de la France dans la structure militaire de l'Alliance constitue la principale pièce à charge du procès en atlantisme de Nicolas Sarkozy. Il est cependant permis d'être sceptique sur la validité de la démonstration.
Certes, pendant toute la Guerre froide, la volonté de revenir sur la décision prise par de Gaulle en 1966 constituait le " marqueur " indiscutable d'une option atlantiste, justement parce que cette décision était devenue par la suite la pierre de touche du gaullisme en politique étrangère. Mais le monde a changé, et l'Alliance n'a désormais plus grand chose à voir avec ce qu'elle avait été jusqu'à la chute du mur de Berlin. Naguère bloc militaire intégré sous commandement américain, elle est aujourd'hui davantage un cadre de coalitions ad hoc et à géométrie variable. En fait, ce sont désormais beaucoup moins les institutions - fût-ce l'institution atlantique - que les situations qui déterminent la nature des relations entre alliés, et donc le rapport aux Etats-Unis. La crise irakienne de 2003 l'a bien montré : les deux pays les plus opposés à Washington ne furent-ils pas l'Allemagne et la France, pays respectivement le plus et le moins "intégré" dans l'organisation otanienne ?
La question de la place de la France dans l'Alliance, au demeurant, n'est pas posée d'hier. Les deux prédécesseurs de l'actuel président, François Mitterrand puis Jacques Chirac, avaient déjà tenté - le premier dans la discrétion, le second plus ouvertement - une normalisation du statut particulier de notre pays au sein d'une Alliance dans les activités de laquelle, depuis la fin de la Guerre froide, la France n'avait cessé d'accroître son implication effective. Et si ces tentatives ont échoué, à aucun moment le rapprochement pragmatique avec la structure de l'Otan n'a été interrompu : il a même culminé au lendemain de la crise de 2003 avec le retour, pour la première fois depuis 1966, d'officiers français dans les états-majors intégrés.
Surtout, comme Mitterrand puis Chirac, Sarkozy a posé des conditions au retour complet de la France dans la structure de l'Otan : qu'une place lui soit faite à la mesure de son statut de grande puissance politico-militaire, que l'Otan permette enfin l'émergence d'une défense européenne autonome dans le cadre de l'UE et que cette structure soit - enfin - adaptée au nouveau contexte stratégique : autant d'exigences qui excluent tout retour "sec" à la structure de l'Otan, qui serait en effet synonyme de pur et simple alignement.
Si les intentions atlantistes imputées à Sarkozy relèvent donc à ce stade du procès d'intention, il reste que c'est à l'aune de cette triple conditionnalité que l'on pourra déterminer, sans doute pas avant 2009 et la décision définitive qui sera prise dans ce dossier, si dans les faits la continuité "gaulliste" l'emporte bel et bien sur la rupture "atlantiste".
La première condition devrait être remplie sans difficulté : il est en effet peu probable qu'apparaisse un problème comparable à celui qui avait surgi en 1995-1997 à propos du commandement sud de l'Otan.
La seconde pourrait être atteinte plus facilement que prévu : le discours américain sur l'autonomie militaire européenne a nettement changé ces dernières semaines, ce qui n'est pas sans effet sur les plus atlantistes de nos partenaires européens, la Pologne par exemple - le cas britannique restant évidemment le plus problématique.
Au total, c'est donc sur la capacité de la France à influencer l'évolution de l'Alliance - que ce soit dans ses structures, ses missions ou ses contours géographiques - que se jouera le succès ou l'échec de la normalisation en cours. L'Elysée souligne à cet égard l'efficacité avec laquelle, à Bucarest, Paris et Berlin se sont opposés à Washington sur la question de l'élargissement à l'Ukraine et à la Géorgie pour mettre en avant l'influence croissante de la vieille Europe dans les orientations de l'Alliance. Il faut en accepter l'augure, mais rester vigilant.
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